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Abraham Merritt : sur la sorcellerie moderne

lundi 13 novembre 2023, par Denis Blaizot

Cette lettre, parue dans The Argosy, en accompagnement de la publication originale de « Burn, Witch. Burn ! » en 1932 1932 , suscitera un profond intérêt chez les lecteurs des FAMOUS FANTASTIC MYSTERIES [1].

Cela jette un peu de lumière sur le point de vue de l’auteur de cette grande histoire diabolique parue dans le numéro de juin de F. F. M.. Et cela est également pertinent pour une autre belle histoire de sorcellerie qui sortira le mois prochain « Creep, Shadow ! ». écrit par ce même génie de la littérature fantastique.

Ai-je déjà eu des expériences réelles dans la terra incognita de la science que nous appelons la sorcellerie ? Oui, plusieurs. Je vais vous donner un exemple. Il y a des années, j’étais dans un quartier peuplé de fermiers allemands robustes que nous, à Philadelphie, appelions les « Néerlandais de Pennsylvanie ». Ils croyaient encore en bon nombre des légendes de leurs ancêtres où le « chasseur sauvage » chevauche les tempêtes de leurs montagnes comme il chevauche le Hartz en Allemagne. Je faisais une enquête ; les automobiles étant moins nombreuses qu’aujourd’hui, je montais à cheval. Je me retrouvai dans la nuit à une vingtaine de kilomètres au nord de Lebanon et je cherchai refuge dans une ferme d’apparence confortable. J’étais fatigué et je voulais me coucher tôt. Le fermier me montra ma chambre et me dit de ne pas m’inquiéter des bruits que je pourrais entendre, qu’une de ses filles avait été « ensorcelée », et que le « docteur en maléfice » venait lui retirer le sortilège.

Naturellement, je demandai si je pouvais être présent.

Il hésita, sortit pour consulter quelqu’un, et revint me dire que je le pouvais si je me taisais et « m’agenouillais quand ils s’agenouillaient ». Je fus d’accord. Vers dix heures, la grande cuisine commença à se remplir d’hommes et de femmes. Il y avait une grande table au centre et, sur le côté, un lit clos avec un panneau coulissant qui, une fois tiré, fermait complètement le lit — un peu comme ceux que l’on voit dans les maisons bretonnes.

C’était une nuit claire, la lune était pleine. À dix heures trente, le « docteur exorciste » entra. Je n’ai pas la place de le décrire, ni les chants, prières et gestes particuliers qui commencèrent à ce moment. Mais simultanément à son apparition, le fermier amena l’enfant « ensorcelée ». Elle avait environ onze ans, émaciée, littéralement la peau sur les os ; dans les derniers stades de l’anémie, jugeai-je. Elle fut étendue nue sur une couverture posée sur la table. Après une demi-heure de rites, le sorcier sortit. Il revint avec une brebis d’un an. Après un chant en solo des plus extraordinaires et une série de gestes pendant lesquels nous sommes tous restés agenouillés, il sortit un couteau, éventra l’agneau vivant, lui trancha les quatre pattes et plaqua l’animal sur l’enfant qui fut, bien sûr, aussitôt « trempée de son sang ». Rapidement, il attacha l’animal et l’enfant ensemble, les pattes antérieures aux bras, les pattes postérieures aux jambes ; les attacha en rond, enroula étroitement la couverture autour des deux et jeta le paquet dans le lit clos, fermant le panneau dessus.

Je dormis peu cette nuit-là ; la scène ayant eu un effet difficile à décrire dans ce bref espace. Au matin, je partis sans poser de questions. Mais je décrivis la scène au Dr Lowell et, trois mois plus tard, à sa demande, je retournai à la ferme. Je posai des questions sur l’enfant et le fermier l’appela. C’était une jeune fille d’une santé radieuse !

C’est ce que je vis moi-même : l’opération et son résultat apparent. Le Dr Lowell en prit des notes complètes pour accompagner des cas similaires sur lesquels il avait enquêté.

Le point est le suivant. La procédure n’était absolument pas scientifique, comme nous le savons en science. Aucun médecin orthodoxe ne croirait que les rites et le bain de sang auraient pu aider l’enfant. Pourtant, elle s’est rétablie. Ce fermier m’aurait-il écouté un instant, ou n’importe quel expert médical ou n’importe qui d’autre qui aurait tenté de le convaincre que les rites et les bains de sang n’avaient rien à voir avec la guérison ? Certainement pas. Mais si la science pouvait découvrir ce qui se cache réellement derrière ce rétablissement, sinon une coïncidence, alors quelles lois naturelles, quoique inconnues, opéraient dans les chants et les gestes pour produire, peut-être, un rythme qui rendait le bain de sang efficace... alors une superstition aurait été transformée en formule, le « surnaturel » rendu naturel.

New York, N.Y.

A. Merritt

J’espère ne pas avoir laisser trop de coquilles dans cette petite traduction.

[1Julillet 1942.