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H. G. Wells : L’étoile
jeudi 27 décembre 2018, par
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La Science illustrée
La Science Illustrée
La science illustrée est un journal hebdomadaire de vulgarisation scientifique créé en octobre 1875. Son premier numéro porte porte la date du 18 Octobre 1875. Les principaux rédacteurs sont Adolphe Bitard, Louis Figuier et Élysée Reclus pour la première année mais ils cèdent la place à de nouveaux noms dès le début de la seconde année. Cette première version a duré au moins jusqu’en 1877.
Le titre fût repris par Adolphe Bitard en décembre 1887 peu de temps avant sa mort et Louis Figuier prend sa relève dès le mois de mars 1888.
Largement illustré, il contient dès le premier numéro de janvier 1888 des nouvelles et romans à épisode. Les romans seront signés entre-autre par Louis Boussenard, Albert Robida et Jules Verne. On y retrouvera également les signatures de rédacteurs des revues La Nature et la Revue Scientifique.
À partir du n°340 ( premier numéro du second semestre 1894) la date disparaît de la première page du cahier hebdomadaire, mais reste inscrite sur la couverture.
La première page du fascicule n°901(4 mars 1905) porte en regard de la date les mentions S.I. N°901 et S.A.N. N°175. S.A.N. est l’abréviation de Sciences, Arts, Nature, créée en novembre 1901. Doit-on comprendre que ce fascicule était vendu sous deux titres ?
Je n’ai pour l’instant aucune information sur le devenir de cette publication au-delà de l’année 1905.
N° 625 & 626 — Novembre 1899
1899
Illustrations : Ed. Carrier
Le premier jour de l’année nouvelle, trois observatoires différents signalèrent, presque simultanément, le désordre survenu dans les mouvements de la planète Neptune, la plus éloignée de toutes les planètes qui se meuvent autour du Soleil. En décembre déjà, Ogilvy avait attiré l’attention sur un ralentissement suspect de sa vitesse. Une telle nouvelle était peu faite pour intéresser un monde dont la plus grande partie des habitants ignoraient l’existence de la planète Neptune. Aussi, en dehors du monde astronomique, la subséquente découverte d’une faible et lointaine tache animée dans la région troublée, ne causa aucune importante excitation. Les gens scientifiques cependant trouvèrent cette nouvelle assez remarquable, avant même qu’on sût que la masse récemment découverte devenait rapidement de plus en plus grande et de plus en plus brillante, que ses mouvements étaient tout à fait différents de la révolution régulière des planètes et que la déviation de Neptune et de son satellite prenait maintenant des proportions saris précédent.
On peut difficilement, sans une certaine éducation scientifique, se rendre exactement compte de l’énorme isolement du système solaire. Le Soleil, avec ses grains de planètes, sa poussière de planétoïdes et ses impalpables comètes, nage dans un vide immense, qui confond presque l’imagination. Au-delà de l’orbite de Neptune c’est l’espace, vide autant que l’observation humaine l’a pénétré, sans chaleur, lumière, ni son, le vide incolore et morne, pendant trente-millions de fois un million de kilomètres. C’est la moindre évaluation de la distance qu’il faut traverser avant d’atteindre la plus proche des étoiles. À part quelques comètes moins substantielles que la plus légère flamme, rien jamais, à la connaissance humaine, n’avait franchi ce gouffre d’espace avant l’apparition, au commencement du XXe siècle, de cet étrange vagabond, vaste masse de matière énorme et pesante qui, de l’obscur mystère des cieux, se précipitait inopinément dans le rayonnement solaire.
Le second jour, pour tout télescope qui se respecte, elle était clairement visible comme un point d’un diamètre à peine sensible, dans la Constellation du Lion, près de Régulus. En peu de temps, de simples jumelles pouvaient l’apercevoir.
Le troisième jour de la nouvelle année, ceux qui, dans les deux hémisphères, lurent les journaux, furent avertis pour la première fois de la réelle importance que pouvait avoir cette insolite apparition dans les cieux. Un journal de Londres intitula la nouvelle Une collision de planètes, et publia l’opinion de Duchaine que cette étrange planète nouvelle heurterait probablement Neptune. Les chroniqueurs développèrent le sujet ; si bien que dans la plupart des grandes capitales du monde, on était, le 3 janvier, dans l’expectative, encore que vague, de quelque imminent phénomène astronomique ; et quand, autour du globe, la nuit suivit le crépuscule des milliers de gens levèrent les yeux vers le ciel pour voir… les vieilles et familières étoiles, telles qu’elles avaient toujours été.
À Londres, l’astre apparut vers l’aurore à l’heure où Pollux disparaît et les étoiles pâlissent : une aurore d’hiver, une infiltration de lumière malsaine qui s’accumule, et la lueur du gaz et des lampes qui brillait jaune aux fenêtres où les gens veillaient. Le policeman somnolent l’aperçut ; les foules affairées dans les marchés s’arrêtèrent bouche bée ; les ouvriers se rendant à leur ouvrage matinal, les laitiers, les cochers des fourgons des postes, les viveurs et les noctambules qui rentraient excédés et pâles, les vagabonds sans logis, les sentinelles à leur poste, et, dans la campagne, le laboureur cheminant à travers champs ; les braconniers rentrant furtivement, par toute la contrée encore sombre qui se réveillait ; sur la mer les marins en vigie épiant le jour, tous purent voir une grande étoile blanche surgir, soudain dans le ciel occidental.
Elle était plus brillante qu’aucune étoile de nos cieux ; plus étincelante que l’Étoile du Soir. Une heure après le lever du Soleil, elle scintillait encore, plus large ’et plus blanche, non plus une simple tache de lumière clignotante, mai s un petit disque rond d’un éclat net et clair. Là où la science ne peut atteindre, les hommes s’étonnent et craignent, se contant les guerres et les fléaux que présagent ces signes, enflammés dans les cieux. Les Boers opiniâtres, les noirs Hottentots, les nègres de la Côte d’Or, les Espagnols, les Portugais, les Français épiaient dans l’ardeur du Soleil levant la disparition de cette étrange étoile nouvelle.
Dans cent observatoires, ce fut une excitation contenue qui se changea bientôt en exclamations lorsque les deux lointains astres courant de-ci et de-là semblèrent se poursuivre. On rassembla les appareils photographiques, les spectroscopes, toutes sortes d’instruments pour enregistrer ce nouvel et surprenant phénomène : la destruction d’un monde. Car c’était un monde, une planète sœur de la nôtre, en vérité infiniment plus grande que notre Terre, qui, si soudainement, s’élançait vers la mort flamboyante. Neptune avait été bel et bien frappé par l’astre étrange venu de l’espace extérieur, et la violence du choc avait incontinent fait, des deux globes solides, une vaste masse incandescente. Ce jour-là, deux heures avant l’aube, la grande étoile pallide et blanche décrivit son orbe dans le ciel, disparut vers l’ouest, et le Soleil monta derrière elle. Partout les hommes s’émerveillaient ; mais entre tous, ceux qui s’émerveillaient le plus furent ces marins, habituels contemplateurs des étoiles qui, par les lointains de la mer, n’avaient rien su du nouvel astre, et le voyaient maintenant se lever comme une lune minuscule, monter vers le zénith, flotter au-dessus de leur tête et s’enfoncer vers l’ouest avec les dernières ombres de là nuit.
Quand, à nouveau, l’étoile se leva sur l’Europe, partout s’étaient rassemblées des foules attentives : sur la pente des collines, sur les toits des maisons, dans les plaines, les yeux fixés vers l’Est pour voir apparaître la grande étoile nouvelle. Elle surgit, précédée d’une splendeur blanche, comme l’éclat d’un grand feu pâle, et ceux qui l’avaient vu paraître la nuit précédente s’écrièrent en la voyant : « Elle est plus grande ! Elle est plus brillante ! » Et de fait, la lune à demi-pleine, prête à disparaître par-delà l’horizon occidental, était vraiment, dans ses dimensions apparentes, hors de toute comparaison ; mais elle n’avait pas dans toute sa grandeur autant d’éclat qu’en avait maintenant le petit cercle de cette étrange étoile nouvelle.
« Elle est plus brillante ! » criaient les gens, s’attroupant dans les rues. Mais dans les observatoires obscurs, les veilleurs retenaient leur souffle et s’interrogeaient du regard. « Elle s’approche ! disaient-ils, elle-est plus près ! »
L’un après l’autre répétait : « Elle est plus près ! » Le télégraphe, à petits coups, s’empara de ces mots ; ils tremblotèrent au long des fils du téléphone et, dans des milliers de cités, des compositeurs aux mains noircies manièrent les caractères : « Elle est plus près ! » Des gens qui écrivaient dans des bureaux, frappés d’une étrange inquiétude, posèrent leurs plumes ; d’autres qui causaient, en mille endroits, saisirent la possibilité inimaginable de la signification de ces mots : « Elle est plus près ! » Cela courut au long des rues qui s’éveillaient, dans les villages tranquilles sous la gelée blanche ; ceux qui avaient lu la nouvelle sur les bandes du télégraphe se tenaient sur le pas des portes dans les lueurs jaunâtres du matin et l’annonçaient aux passants : « Elle approche ! » Les jolies femmes, fraîches et rayonnantes, apprirent la chose contée plaisamment entre deux danses et feignirent un intérêt compréhensif qu’elles ne sentaient pas : « Plus près, vraiment ? Comme c’est curieux ! Comme il faut que ces astronomes soient des gens habiles pour découvrir des choses pareilles ! »
Les trimardeurs solitaires cheminant par la nuit glaciale se murmuraient ces mots, pour se réconforter, en regardant au ciel : « Elle fait joliment bien de s’approcher, car la nuit est aussi froide que la charité ! Tout de même, si elle approche, elle n’amène guère de chaleur. »
« Que peut me faire une nouvelle étoile ! » s’écriait une femme en pleurs, agenouillée auprès d’un mort.
L’étudiant, levé de bonne heure pour préparer quelque examen, se posa la chose en problème, pendant que la grande étoile blanche étincelait, large et brillante, à travers les fleurs de gelée de sa fenêtre : « Centrifuge, centripète, disait-il avec son menton dans sa main ; arrêter une planète dans sa course ; lui enlever sa force centrifuge, et puis après ? La force centripète s’en empare et elle vient tomber dans le Soleil ! et alors !… Sommes-nous sur son chemin ? Je me le demande !… »
Ce jour-là s’en fut comme les Autres, et, avec les dernières veilles des ténèbres glaciales, se leva de nouveau l’astre-étrange. Il était si brillant que la lune croissante semblait n’être qu’un pâle et jaune spectre d’elle-même, flottant immense dans le crépuscule. Dans une cité du Sud-Afrique, un homme fameux s’était marié et les rues étaient illuminées pour fêter son retour avec son épouse : « Les cieux même ont illuminé ! » dit un flatteur. Sous le capricorne, deux amants nègres, affrontant par amour l’un de l’autre les bêtes sauvages et les esprits mauvais, s’étaient blottis dans un fourré de roseaux où voltigeaient les lucioles : « C’est notre étoile ! » murmuraient-ils et ils se sentaient étrangement réconfortés par sa douce clarté.
Le grand Mathématicien était, assis devant son bureau et repoussait quelques papiers. Ses calculs étaient presque finis. Dans une petite fiole blanche restait encore un peu de la drogue qui l’avait tenu éveillé et actif pendant quatre longues nuits. Chaque jour, serein, clair, avec la même patience, il avait fait son cours à ses élèves, puis était immédiatement revenu à ses importants calculs. Son visage était grave, un peu tiré et hectique à cause de son activité facticement entretenue. Pendant quelque temps il sembla perdu dans ses pensées. Soudain, il se leva, alla à la fenêtre et fit remonter le store. Au milieu du ciel, au-dessus de l’amas des toits, des cheminées et des clochers de la ville, roulait l’astre.
Il le regarda comme on regarde dans les yeux un ennemi courageux, « Tu peux me tuer, dit-il, après un silence ; mais je te tiens – toi et tout l’univers – dans l’étreinte de ce petit cerveau. Je ne changerais pas même maintenant ! »
Ses regards rencontrèrent la petite fiole. « il n’y a plus besoin de dormir, maintenant ! » dit-il.
Le jour suivant, à midi, il entra, ponctuel, dans l’amphithéâtre où il faisait son cours, posa son chapeau au bout de la table, selon son habitude, et choisit soigneusement un gros morceau de craie. C’était un sujet de plaisanterie parmi ses élèves, qu’il ne pouvait faire son cours s’il n’avait sans cesse ce morceau de craie entre les doigts, et il avait été frappé d’impuissance une fois qu’ils lui avaient soustrait sa provision. Il s’avança et regarda, sous ses sourcils gris, les rangées de jeunes et frais visages qui s’inclinaient ; puis il commença, à sa façon accoutumée, en phrases étudiées : « Des circonstances surviennent – circonstances hors de mon pouvoir, dit-il – qui – reprit-il après une pause – m’empêcheront de compléter le cours que je me proposais d’achever avec vous. – Il peut sembler, messieurs – pour exprimer la chose clairement et brièvement, – que l’Homme a vécu en vain ! »
Les étudiants s’entre-regardèrent. Avaient-ils bien entendu ? Fou ? Il y eut des sourcils relevés et des lèvres grimaçantes, mais deux ou trois figures continuèrent à fixer avec attention la face calme et encadrée de gris du professeur.
« Il sera intéressant, disait-il, de consacrer cette leçon à une exposition – claire autant que je le pourrai vous la rendre – des calculs qui m’ont conduit à cette concision. – Supposons… »
Il se tourna vers le tableau noir, méditant quelque schéma comme il en avait l’habitude. « Que veut-il dire avec : l’homme qui a vécu en vain ? » murmura un étudiant à l’oreille d’un second. « Écoute ! » répondit l’autre en indiquant le professeur.
Alors ils commencèrent à comprendre…
Cette nuit-là, l’étoile se leva plus tard, car son propre, mouvement vers l’Est l’avait quelque peu entraînée du Lion vers la Vierge ; et son éclat était si grand que le ciel devint, à mesure qu’elle se levait, d’un bleu lumineux, et les étoiles s’effacèrent tour à tour, sauf Jupiter près du Zénith, Capella, Aldébaran, Sirius et les chiens de l’Ours. Elle était très blanche et belle. En maints endroits du monde, on vit, cette nuit-là, un halo pâle qui l’encerclait. Elle devenait visiblement plus grande ; dans le ciel clair et réfractif des Tropiques, elle paraissait avoir près du quart des dimensions de la Lune. Il gelait encore en Angleterre, mais le monde était aussi brillamment illuminé que par un clair de lune d’été. On y voyait assez, avec cette froide et claire lumière, pour lire une impression tout à fait ordinaire, et, dans les cités, les lampes brûlaient jaunes et blêmes.
Par tout le monde, on veilla cette nuit-là par toute la chrétienté, un morne murmure flotta dans l’air vif des campagnes, comme le bourdonnement des abeilles dans la bruyère, et ce tumultueux murmure croissait en clameur dans les cités. C’était le son des cloches d’un million de beffrois, de tours et de clochers, mandant aux peuples de ne plus dormir, mais de se rassembler dans les églises et de prier. Et dans le ciel, tandis que la nuit passait et que la Terre poursuivait sa route, plus large et plus claire montait l’étoile éblouissante.
Les rues et les maisons étaient éclairées dans toutes les villes ; les chantiers et les docks ruisselaient de clarté, et toutes les routes dans l’intérieur des contrées étaient tout au long de la nuit encombrées de gens et de lumières. Sur toutes les mers qui entourent les contrées civilisées, les paquebots aux machines haletantes, les vaisseaux aux voiles gonflées, surchargés d’hommes et de créatures vivantes, gagnaient le large, vers le Nord. Car déjà l’avertissement du mathématicien fameux avait été télégraphié dans le monde entier et traduit en cent langages divers. La planète nouvelle, et Neptune, enlacées en une étreinte de flammes, tournoyaient vertigineusement d’une allure sans cesse plus rapide, vers le Soleil. Déjà, à chaque seconde, cette flamboyante masse franchissait des centaines de milles et à chaque seconde, sa terrifiante vélocité s’accroissait.
D’après la direction de sa course actuelle, à vrai dire, elle devait passer à une centaine de millions de miles de la terre, et l’influencer à peine ; mais près de sa route prévue, jusqu’à présent fort peu troublée, se trouvait l’énorme planète Jupiter et ses lunes, tournant splendidement autour du Soleil. À chaque instant, maintenant, croissait l’attraction entre l’étoile flamboyante et la plus grande des planètes.
Et le résultat de cette attraction ? Inévitablement, Jupiter dévierait de son orbite en une course elliptique, et l’étoile ardente, écartée par attraction de son élan vers le Soleil, décrirait une courbe, heurterait peut-être notre Terre, et certainement passerait fort près d’elle. « Tremblements de terre, éruptions volcaniques, cyclones, hautes marées, inondations et une élévation constante et régulière de la température, jusqu’à je ne sais quelle limite », avait prophétisé le grand mathématicien.
Au-dessus des têtes, pour confirmer ces paroles, solitaire, froide et livide, étincelait l’étoile de la destruction prochaine.
À beaucoup de ceux qui, jusqu’à ce que leurs yeux leur fissent mal, la fixèrent cette nuit-là, il sembla qu’elle approchait visiblement. Et cette nuit-là aussi, le temps changea : le froid qui avait saisi toute l’Europe centrale, la France et l’Angleterre, s’adoucit vers le dégel.
Mais il ne faut pas s’imaginer, parce qu’il a été parlé de gens priant toute la nuit, se réfugiant sur les vaisseaux ou s’enfuyant vers les montagnes, que le monde entier était déjà plongé dans la terreur à cause de l’étoile. De fait, l’usage et la coutume dirigeaient encore le monde, et en dehors des conversations, à des moments de loisir, sur la splendeur de la nuit, neuf personnes sur dix s’affairaient encore aux occupations habituelles. Dans toutes les cités, les boutiques, à part, quelqu’une ici et là, ouvraient et fermaient à leurs heures ordinaires ; les médecins et les pompes funèbres poursuivaient leur commerce, les ouvriers allaient aux usines, les soldats faisaient l’exercice, les savants étudiaient, les amants se rencontraient, les voleurs faisaient le guet et s’enfuyaient, les politiciens préparaient leurs projets. Les presses des journaux ronflaient toutes les nuits, et plus d’un prêtre de telle ou telle église refusa d’ouvrir son saint édifice pour favoriser ce qu’il considérait comme une panique absurde.
Les journaux insistaient sur la leçon de l’an mil, car alors aussi, les peuples avaient anticipé la fin. L’étoile n’en était pas une – un simple gaz – une comète ; et si c’était une étoile, elle ne pouvait possiblement pas heurter la terre : il n’y avait aucun précédent. Ce même soir, à sept heures quinze, heure de Greenwich, l’étoile devait atteindre sa plus grande proximité de Jupiter. Alors le monde saurait quelle tournure les choses prendraient. Les avertissements du grand mathématicien étaient traités par beaucoup d’habile et laborieuse réclame. Enfin, le bon sens, un peu échauffé par la discussion, signifia ses inaltérables convictions en allant se coucher. De même aussi, barbarie et sauvagerie, déjà lassées de la nouveauté, s’en furent à leurs occupations nocturnes, et à part ici et là quelque chien hurlant, le monde des bêtes ne prêtait aucune attention à l’étoile.
Cependant, quand enfin les Européens attentifs virent l’étoile se lever, une heure plus tard il est vrai, mais pas plus grande que la nuit précédente, il y eut encore assez de gens éveillés pour se rire du grand mathématicien – pour considérer le danger comme passé.
Mais tout aussitôt les railleries cessèrent. L’étoile croissait. D’heure en heure elle augmentait avec une persistance terrible, un peu plus grande à chaque heure, un peu plus près du zénith de minuit, de plus en plus brillante, et cela jusqu’à la nuit du lendemain. Si elle venait droit sur la terre sans décrire de courbe, si elle ne subissait aucun ralentissement aux environs de Jupiter, elle pouvait franchir l’espace intermédiaire en une journée. Mais quoi qu’il en ait été, il lui fallut cinq jours entiers pour venir à proximité de notre planète. La nuit suivante elle atteignit le tiers de la grosseur de la lune quand elle se couche et le dégel commença. Quand elle apparut au-dessus de l’Amérique, elle avait presque la grosseur de la lune, avec une blancheur aveuglante – et brûlante. Un vent chaud se mit à souffler à mesure que montait l’étoile, et il augmentait continuellement de force. Dans la Virginie, au Brésil, et dans la vallée du Saint-Laurent, elle brillait par intermittence à travers une course fantastique de nuages orageux, secoués d’éclairs violets, tandis que s’abattait une grêle d’une violence inouïe. Dans le Manitoba il y eut un dégel subit et des inondations dévastatrices. Sur toutes les montagnes de la Terre, cette nuit-là, la neige et la glace commencèrent à fondre, et tous les grands fleuves qui venaient de l’intérieur des continents coulèrent épais et troubles, et bientôt, dans les terres basses, entraînèrent des troncs d’arbres tournoyants et des cadavres d’hommes et d’animaux. Les eaux montaient sûrement et constamment sous la clarté lugubre et se déversaient par-dessus les rives, poursuivant dans les vallées les populations qui s’enfuyaient.
Au long des côtes extrêmes de l’Amérique du Sud et dans l’Atlantique Austral, les marées furent si hautes qu’aucune mémoire d’homme ne se souvenait de semblables, et la tempête lança les eaux, en maints endroits, à des vingtaines de milles dans l’intérieur du pays, submergeant des villes entières. Si grande devint la chaleur pendant cette nuit, que le lever du Soleil sembla la venue d’un peu d’ombre. Les tremblements de terre commencèrent et ne cessèrent d’augmenter. Bientôt, dans toute l’Amérique, depuis le Cercle arctique jusqu’au cap Horn, les flancs des montagnes se mirent à chanceler et à glisser, des gouffres s’ouvrirent, les murs et les maisons s’écroulèrent. Tout un versant du Cotopaxi s’effondra en une vaste convulsion et un tumulte de lave jaillit si haut, si large, si rapide et si liquide, qu’en un seul jour il atteignit la mer.
Ainsi l’étoile avec la lune hâve dans son sillage, traversa le Pacifique, traînant derrière elle, comme les pans flottants d’une robe, l’ouragan et la vague énorme qui s’augmentait en sa marche pénible, écumante et impatiente, et se précipitait sur les îles, les unes après les autres, les nettoyant de toute trace humaine. Puis le flot parvint, rapide et terrible, avec un éclat aveuglant et le souffle d’une fournaise, mur d’eau de cinquante pieds de haut, courant avec un rugissement d’affamé, sur les longues côtes de l’Asie, et se précipita à travers les plaines de la Chine. Pendant un moment, l’étoile, maintenant plus ardente plus large et plus brillante que le Soleil dans toute sa force, répandit son impitoyable clarté sur l’immense et populeuse contrées ; les villes et les villages avec leurs pagodes, les arbres, les routes, les vastes champs cultivés, des millions de gens sans sommeil, contemplant avec une impuissante terreur le ciel incandescent ; et ensuite, très bas d’abord et augmentant à mesure qu’il approchait, le tumulte du flot. Ce fût ainsi la fin de millions de gens, cette nuit-là – une fuite vers nulle-part, les membres alourdis par la chaleur, la respiration haletante et l’air qui manquait, et, derrière, le flot comme un mûr rapide, et éblouissant. Puis, la mort !
La Chine étincelait de clarté blanche, mais au-dessus du Japon, de Java et de toutes les îles de l’Asie Orientale, la grande étoile passa comme un globe de feu rouge et terne à cause de la vapeur, de la fumée et des cendres que les volcans crachaient pour saluer sa venue. À la surface coulait le flot de lave, et, au-dessous les flots bouillonnants, et la Terre entière était agitée et tourmentée par des secousses et des tremblements terribles. Bientôt, les immémoriales neiges du Tibet et de l’Himalaya se mirent à fondre et se précipitèrent par dix-millions de canaux qui se creusaient sans cesse et convergeaient vers les plaines de la Birmanie et de l’Hindoustan ; les sommets inextricables des jungles indiennes s’enflammèrent en mille endroits, et sous les eaux rapides, parmi les souches et les troncs, des choses sombres s’agitaient encore faiblement et réfléchissaient les langues rouge-sang des flammes. Dans une inexprimable confusion, une multitude d’hommes et de femmes s’enfuyaient au long des larges routes, aux bords des fleuves vers la dernière espérance des hommes : la mer.
Plus grande encore devenait l’étoile, plus grande, plus ardente et plus brillante, avec maintenant une rapidité terrible. L’Océan tropical avait perdu sa phosphorescence, et des vapeurs tournoyantes s’élevaient en volutes fantastiques des vagues sombres qui plongeaient incessamment à l’entour des vaisseaux que secouait la tempête.
Alors, il se fit un prodige. Il sembla à ceux qui, en Europe, attendaient le lever de l’étoile, que la Terre avait cessé de tourner. En mille endroits des plaines et des montagnes, les gens qui avaient fui les inondations, l’écroulement des maisons, l’affaissement des collines, attendirent en vain le lever de l’astre. En une incertitude terrible, les heures suivirent les heures, et l’étoile ne parut pas. Une fois encore, les hommes contemplèrent les vieilles constellations qu’ils avaient cru perdues pour toujours. En Angleterre, le ciel était ardent et clair, encore que le sol frémît perpétuellement ; mais, dans les Tropiques, Sirius, Capella et Aldébaran brillaient à travers un épais voile de vapeur. Quand enfin la grande étoile se leva environ dix heures plus tard, le Soleil monta presque immédiatement derrière elle, et au centre de son foyer blanc, était un disque sombre.
C’était pendant son passage au-dessus de l’Asie que l’étoile avait commencé de tomber derrière le mouvement du ciel ; soudain, comme elle passait au-dessus de l’Inde, sa clarté s’était voilée. Toute la plaine de l’Hindoustan, depuis l’Indus jusqu’aux bouches du Gange, était cette nuit-là une immense étendue d’eau, hors de laquelle s’élevaient les temples et les palais, les monts et les collines noirs de monde. Chaque minaret, était une masse confuse de gens qui tombaient, un par un, dans les eaux troubles ; à mesure que la chaleur et la terreur les surprenaient. Toute la contrée semblait gémir et se lamenter : Tout à coup une ombre passa sur cette fournaise de désespoir ; un souffle de vent frais et un amas de nuages s’élevèrent dans l’air rafraîchi. Les gens qui, presque aveuglés, regardèrent l’étoile, virent un disque noir se glisser, au travers de son rayonnement. C’était la lune, passant entre l’étoile et la Terre. Au moment même où les hommes criaient vers Dieu pour ce répit, avec une étrange et inexplicable rapidité, dans l’Est monta le Soleil ; alors, avec une affolante vélocité, étoile, Soleil et Lune se précipitèrent ensemble à travers les cieux.
Ce fut ainsi que bientôt, l’un derrière l’autre, se levèrent pour les Européens anxieux, l’étoile et le Soleil. Ils se poursuivirent impétueusement pendant un moment, puis ralentirent leur course, et enfin s’arrêtèrent, confondus en un seul rayonnement de flamme au Zénith. La lune n’éclipsait plus l’étoile et se trouvait hors de vue dans la splendeur du ciel. Bien que ceux qui étaient encore en vie, regardassent pour la plupart ce spectacle avec cette même stupidité que la faim, la fatigue, la chaleur et le désespoir engendrent, il y en eut quelques-uns qui purent saisir la signification de ses signes. L’Étoile et la Terre avaient été à leur plus grande proximité, avaient subi leurs communes perturbations et l’étoile avait passé. Déjà elle s’éloignait, de plus en plus rapide, dans la dernière phase de sa chute vertigineuse vers le Soleil.
Alors les nuages se rassemblèrent, effaçant le ciel ; le tonnerre et les éclairs tissèrent leur vêtement autour du monde ; par toute la Terre, il y eut un déluge de pluie ; tel que les hommes n’en avaient vu de semblable auparavant ; et là où les volcans crachèrent leurs flammes contre la voûte des nuages, il retomba des torrents de boue. Partout les eaux se déversaient hors des terres, laissant des ruines envasées et le sol jonché, comme un rivage après la tempête, de tout ce qui avait flotté, les cadavres des hommes et des animaux. Pendant des jours, les eaux s’écoulèrent emportant sur leur passage les décombres, les arbres et les maisons, empilant d’immenses digues et creusant de titaniques ravins sur la surface du pays. Ce furent les jours de tristesse qui suivirent l’Étoile et le cataclysme. Pendant ces jours et pendant beaucoup de semaines et de mois, les tremblements de terre continuèrent.
Mais -l’étoile était passée. Et les hommes, pousssés par la faim et reprenant lentement courage, purent regagner leurs cités en ruines, leurs greniers incendiés, et leurs champs détrempés. Les quelques vaisseaux qui avaient échappé aux tempêtes, arrivèrent déroutés et délabrés, sondant leur route avec précaution parmi les récents haut-fonds et les nouvelles lignes d’eaux des ports autrefois familiers. Quand les tempêtes se calmèrent, les hommes s’aperçurent qu’en tous lieux les journées étaient plus chaudes que jadis, que le Soleil était plus grand et que la lune, diminuée des deux tiers de ses anciennes dimensions, développait ses phases en vingt-quatre jours.
Mais de la nouvelle fraternité qui se développa parmi les hommes, de la conservation des lois, des livres et des machines, de l’étrange changement qui se produisit en Islande, au Groenland et sur les rives de la mer de Baffin, tel que les marins qui y parvinrent alors trouvèrent ces contrées verdoyantes et gracieuses, si bien qu’ils pouvaient à peine en croire leurs yeux ; cette histoire ne raconte rien, non plus que de l’activité humaine maintenant que la Terre était plus chaude, au nord et au sud, vers les pôles. Elle n’a à s’occuper que de la venue et de la disparition de l’étoile.
Les astronomes de Mars – car il y a des astronomes dans la planète Mars, encore qu’ils soient fort différents des hommes – furent, comme on le pense, profondément intéressés par ces phénomènes : Sans doute, ils virent les choses à leur propre point de vue. « Considérant la masse et la température du projectile lancé à travers notre système solaire jusqu’au Soleil, écrivit l’un d’eux, on est surpris du peu de dommage que la Terre qu’il a manquée de si près, a supporté. Toutes les démarcations anciennes des continents et les masses des mers sont restées intactes, et à vrai dire, la seule différence semble être une diminution de la décoloration blanche (qu’on suppose être de l’eau congelée) autour de chacun des pôles. » Ce qui montre simplement combien la plus vaste des catastrophes humaines peut paraître peu de chose vue à une distance de quelques millions de miles.