Accueil > Mes auteurs favoris > William Livingston Alden (1837 — 1908) > W. L. Alden : Perdus dans le blizzard

W. L. Alden : Perdus dans le blizzard

mardi 31 décembre 2024, par Denis Blaizot

Ebooks gratuits
Des Epub et Pdf faits avec soin pour vous faire redécouvrir des œuvres anciennes tombées dans le domaine public.

auteur : William Livingston Alden

Titre : Perdus dans le blizzard

Titre original : Lost in a blizzard (1894 1894 )

Traducteur : Denis Blaizot

Corrections : Lydie Blaizot Lydie Blaizot Lydie Blaizot (Cherbourg, 12/07/1973) est une écrivaine française de fantastique, de science-fiction et de fantasy.

Première édition française : 2024 2024

Cette nouvelle a été publiée dans The Pall Mall Magazine – mars 1898 1898


Les gens pensent que le blizzard est la pire sorte de tempête de neige. C’est assez vrai, mais cela ne suffit pas à expliquer ce qu’est un blizzard. C’est une tempête de neige et quelque chose d’autre, et c’est justement ce quelque chose d’autre qui en fait un blizzard. Je ne sais pas exactement ce qu’est cette autre chose, et je n’ai jamais connu un homme qui le savait. Je suis prêt à sortir dans n’importe quelle tempête de neige que vous me montrerez, à condition qu’il ne s’agisse que d’un coup de vent et d’une grosse chute de neige. Mais s’il y a cette touche supplémentaire qui en fait un blizzard, vous ne pourrez pas me faire sortir, peu importe ce que vous m’offrirez. J’ai connu un seul blizzard et cela me suffit.

C’était le troisième hiver que je vivais dans cette petite maison de deux pièces. J’avais avec moi un homme, pour m’aider à la ferme, qui s’appelait Cassidy. Il avait passé sept ans dans l’armée, où il apprit à obéir aux ordres, quels qu’ils soient, sans exprimer aucune opinion personnelle. Il avait beaucoup neigé toute la journée et il y avait environ six pouces de neige fraîche, mais j’avais l’impression que cela se calmerait dans le courant de l’après-midi. Et comme je voulais marcher jusqu’à Lucullus pour chercher quelques pommes de terre et avoir quelques nouvelles, je partis juste après midi et je parcourus les sept miles d’ici jusqu’à l’épicerie sans aucun problème. Je restai à l’épicerie plus longtemps que prévu, car il y faisait chaud, et les gars étaient sociables et généreux. Je n’eus aucune nouvelle, sauf que la vieille Mme Watson, qui habitait à trois miles de chez moi, était morte de la variole, et qu’elle gisait seule dans sa maison. Son beau-fils, qui vivait avec elle, était venu à Lucullus après avoir fermé la maison, dès que la vieille dame eut rendu l’âme. Cela semblait plutôt inhumain de laisser la pauvre vieille femme seule et négligée de cette façon, mais quand on y pense, elle n’avait plus froid ni ne se sentait seule, et je ne peux pas dire qu’il était nécessaire que son beau-fils reste dans la maison, au risque d’attraper une maladie.

Je partis de Lucullus vers quatre heures, avec un sac de pommes de terre d’un poids moyen sur le dos. Vous voyez, je n’avais pas amené les chevaux avec moi, car ils travaillaient à la ferme, et je me croyais assez fort pour porter un peck1 ou deux de pommes de terre sans le sentir. Mais la neige était bien plus épaisse qu’au début et il soufflait un vent moyennement fort. En conséquence, lorsque je rentrai à la maison, j’étais mort de fatigue et j’aurais souhaité ne jamais avoir voulu de pomme de terre. J’allumai le feu, qui ne brûla pas très bien à cause du bois mouillé, et après m’être préparé une tasse de thé, je m’assis dans mon fauteuil et commençai à fumer. Je dus m’endormir presque immédiatement, et quand je me réveillai, il était huit heures et le feu était éteint. Je regardai autour de moi pour voir où se trouvait Cassidy mais, chose inhabituelle, il n’était pas dans la maison. Puis je remarquai que le vent hurlait comme une meute d’Indiens sauvages, faisait trembler les fenêtres et secouait toute la cabane. J’ouvris la porte juste un moment et, à la façon dont la neige me souffla au visage comme s’il s’agissait de boisseaux de grenaille, je sus qu’un véritable blizzard s’était levé.

Ne pas voir Cassidy ne m’alarma pas, car il était assez endurci pour prendre soin de lui, mais je pensais aux chevaux. S’il avait profité de mon absence pour s’enivrer, il aurait peut-être oublié de mettre les chevaux à l’écurie, et alors ils mourraient sûrement de froid avant le matin. L’écurie se trouvait à une quarantaine de mètres de la maison, et je n’aimais pas l’idée d’affronter la tempête et de m’en occuper moi-même, mais il n’y avait rien d’autre à faire si je voulais m’assurer que les bêtes allaient bien. J’enfilai donc mon manteau, allumai une lanterne, et partis sans attendre. Au moment où je sortais, je faillis être renversé par la force du vent. Mais le pire était la façon dont la neige volait. L’air était plein de neige qui semblait tomber environ deux fois plus épaisse que lors d’une tempête de neige ordinaire. Au lieu d’être constitué de flocons mous, cela ressemblait à des millions de petits morceaux de glace, aussi durs et tranchants que des morceaux de verre pilé. Il m’était presque impossible de garder les yeux ouverts, et la neige les frappait si fort qu’elle m’aveuglait. La façon dont elle me cinglait le visage et les mains était comme des milliers de fouets, et j’aurais crié de douleur si cela m’avait fait du bien. Sous mes pieds, il y avait le sol nu à certains endroits, puis il y avait un dénivelé de deux à six pieds de haut. Je ne pouvais pas voir à plus d’un mètre devant moi, mais connaissant l’emplacement de l’écurie, je partis dans cette direction, et comptais l’atteindre avant d’être vaincu par le vent, la neige et le froid. Mais je n’avais pas fait plus de la moitié du chemin, à mon avis, quand le vent éteignit ma lanterne. Je fouillai alors ma poche pour chercher des allumettes, espérant pouvoir allumer la lanterne en la tenant sous mon manteau, je découvris que je n’avais pas ma boîte d’allumettes avec moi et je me souvins que je l’avais donnée à l’un des gars de l’épicerie, qui avait probablement oublié de me la rendre.

Comme je n’avais aucun moyen d’allumer la lanterne, cela ne servait à rien de chercher l’écurie, car je ne voulais pas aller tâter les chevaux dans le noir. Ils sont jeunes et à moitié dressés. Je fis donc demi-tour, avec l’intention de rentrer dans la maison le plus vite possible en espérant que Cassidy s’était correctement occupé des chevaux. Je ne doutais à aucun moment que je pourrais trouver la maison facilement, car elle n’était qu’à quelques mètres, et comme j’avais tourné le dos au vent en me rendant à l’écurie, il me suffisait de marcher face à lui jusqu’à ce que j’ai trouvé la maison. Le vent avait-il brusquement tourné ? Ou avait-il soufflé dans une demi-douzaine de directions à la fois ? Le fait est qu’après avoir marché pendant près d’une demi-heure, je me rendis compte que j’étais perdu, et que je n’avais pas la moindre idée de l’endroit où se trouvait la maison.

S’il y avait eu un homme plus effrayé que moi dans l’État du Minnesota lorsque je découvris que j’étais perdu, je l’aurais plaint. À cette époque, la maison la plus proche de la mienne était celle de la vieille Mme Watson, et elle se trouvait à cinq bons kilomètres de là. Il n’aurait servi à rien d’appeler à l’aide, même s’il y avait eu quelqu’un chez la veuve, à l’exception de la dépouille de la vieille dame. J’étais seul dans la prairie, et il n’y avait pas une chance sur mille que je puisse continuer à marcher toute la nuit, et si je ne le faisais pas, je serais certainement mort avant le matin. C’était l’endroit le plus isolé où je me sois jamais retrouvé, et j’injuriai Cassidy et les chevaux d’en être la cause. Ayant un peu soulagé mon esprit, je repris courage et réfléchis au fait que ma maison devait être quelque part à moins d’un quart ou d’un demi-mile de moi, et que si je marchais d’abord dans une direction puis dans une autre, il y avait une chance acceptable que je la trouve. J’étais presque sûr que lorsque la lanterne s’était éteinte, j’avais dû partir dans la bonne direction. J’ai toujours entendu dire que si vous essayez de marcher en ligne droite les yeux fermés, vous continuerez à tourner progressivement vers la gauche jusqu’à faire un cercle complet. Je pensai que c’était ce que j’avais probablement fait et que la maison devait se trouver quelque part sur ma droite, alors je me préparai et recommençai, amenant le vent sur mon côté gauche. Je marchai encore une demi-heure, mais je ne pus trouver la maison, puis j’abandonnai tout espoir de la revoir un jour.

Je me cognai contre un arbre. Cela ne m’aida pas, car il y avait beaucoup de grands arbres éparpillés sur mon terrain, et celui-ci aurait pu être n’importe lequel d’entre eux. Je fouillai tout le tour du tronc pour l’identifier, vous comprenez, mais ça ne servit à rien. Cependant, alors que je faisais le tour de l’arbre, je découvris quelque chose qui ressemblait à un homme appuyé contre le tronc, du côté sous le vent. Cela me fit d’abord sursauter, mais lorsque je secouai l’homme, il retrouva sa voix. Je fus heureux de reconnaître Cassidy, qui s’était perdu dans le blizzard après avoir rentré les chevaux, s’était cru mort et se tenait contre l’arbre pour pouvoir mourir debout, ce qui, selon lui, serait mieux que de s’allonger et de mourir comme un simple civil, comme il le dit.

Je ne fus jamais aussi heureux de voir quelqu’un de ma vie, car quand un homme est convaincu d’être sur le point de mourir seul, c’est un grand réconfort que quelqu’un vienne mourir avec lui. Quand je dis à Cassidy que la maison ne pouvait pas être très loin et que nous la trouverions sûrement si nous continuions à la chercher, il renonça à l’idée de mourir et redevint joyeux. Nous partîmes à la recherche de la maison, et comme aucun de nous deux n’avait la moindre idée de la direction à suivre, nous décidâmes qu’il valait mieux marcher avec le vent, plutôt que d’essayer de marcher contre lui. Bras dessus, bras dessous, pour ne pas nous séparer, nous décidâmes de continuer à marcher jusqu’à ce que nous trouvions soit la maison, soit un autre abri. Heureusement, Cassidy avait du tabac, et bien que je ne sois pas un amateur de tabac à chiquer, je n’ai jamais rien apprécié de plus qu’un gros morceau de la carotte de tabac de Cassidy.

Nous dûmes marcher au moins deux heures et nous étions presque au bout de nos forces. Le thermomètre était bien en dessous de zéro, et le vent et la neige réunis doublaient la sensation de froid. Je pouvais à peine mettre un pied devant l’autre. Quant à Cassidy, il voulait s’allonger et s’endormir. Ce qui, bien sûr, équivalait à mourir de froid. Tout d’un coup, je me heurtai à quelque chose de solide, et même si je voyais à peine ma main devant mon visage, je savais que nous étions enfin arrivés à une maison.

En tâtant le côté de la maison, j’arrivai à une fenêtre et, ne voulant pas perdre de temps à chercher la porte, nous avons martelé la vitre et avons crié aux occupants de la maison de se réveiller et de nous laisser entrer. Le blizzard faisait beaucoup de bruit, mais quand même, s’il y avait eu quelqu’un dans cette maison, il aurait dû nous entendre. Voyant que nous ne pouvions réveiller personne, je sortis mon couteau et je réussis à retirer le verrou de la fenêtre et à ouvrir le châssis. Ensuite, nous entrâmes tous deux et refermâmes la fenêtre, renversant une chaise. Je chuchotai à Cassidy qu’il ne devait pas dire un mot quoi qu’il arrive, mais qu’il devait me laisser m’expliquer, si le propriétaire devait se réveiller et commencer à tirer. Ma propre idée était que si nous restions parfaitement silencieux, nous ne serions pas dérangés avant le jour, et comme je connaissais tout le monde dans cette région du pays, il n’y aurait pas de problème si le propriétaire voyait à qui il avait affaire.

Rester silencieux, c’était très bien, mais nous ne pouvions pas rester immobiles au même endroit toute la nuit, et dès que nous commençâmes à bouger, nous heurtâmes des meubles. Je n’ai jamais vu une pièce aussi encombrée que celle-ci. J’essayais de localiser la cheminée, dans l’espoir de trouver des allumettes et une bougie, mais le chemin pour y accéder était bloqué par des meubles et je dus renoncer à la chercher. Une autre chose curieuse à propos de cette pièce était que chaque chaise et chaque table semblaient être en équilibre sur un pied. Quoi qu’il en soit, chaque fois que Cassidy ou moi touchions quelque chose, cela tombait avec fracas. Le bruit que nous faisions me convainquit qu’il n’y avait personne d’autre que nous dans la maison. Je crus pendant quelques minutes que le propriétaire était entré dans la pièce sans faire de bruit. C’est à ce moment-là que je tombai par hasard sur Cassidy. Je le fis trébucher et nous tombâmes tous les deux assez lourdement. Le pied d’une chaise cogna Cassidy dans le bas du dos, lui arrachant un gros juron, et je reconnus sa voix. Fidèle à lui-même, Cassidy ne dit pas un mot. Nous étions tous deux considérablement meurtris à ce moment-là, mais la lutte nous avait un peu réchauffés, et nous convînmes que nous étions dans une maison déserte et que nous ferions aussi bien de nous étendre par terre et de nous reposer jusqu’au matin.

En conséquence, Cassidy s’allongea là où il était, et je commençai à chercher s’il y avait un morceau de tissu quelque part dans la pièce que nous pourrions mettre sur nous. Cette fois, je tombai sur une table que je n’avais pas encore atteinte, même si j’étais tombé sur au moins dix petites tables au cours de la soirée. C’était une table particulièrement grande qui se trouvait, à mon avis, au milieu de la pièce. Je tendis la main et tombai sur une sorte de monticule qui se trouvait sur la table, recouvert d’un gros tissu. Je bondis en arrière comme si j’avais marché sur un hochet, car j’étais sûr à ce moment-là que nous étions entrés par effraction dans la maison de la veuve Watson et que son corps était déposé sur cette table.

Je tâtonnai un peu dans la pièce et dès que je tombai sur Cassidy, je lui dis que nous étions dans la pièce où se trouvait la dépouille de la veuve et que nous avions probablement fait ce qu’il fallait pour mourir de la variole. Cassidy déclara qu’il lui fallait plus qu’un cadavre pour s’effrayer, et qu’il avait déjà eu la variole une fois et ne pouvait l’avoir une seconde fois. Alors il se mit en boule et s’endormit en moins d’une minute. Malgré la fatigue, je n’arrivais pas à dormir. Je sais aussi bien que vous que si vous ne touchez pas aux morts, ils ne vous gêneront pas. Cependant, je n’aimais pas l’idée d’être enfermé dans le noir avec le défunt le plus inoffensif que l’on puisse trouver, et plus j’y pensais, moins cela me plaisait. Et puis, le froid était épouvantable et j’avais peur de ne plus jamais me réveiller si je m’endormais. Après environ une heure, je sentis qu’il était de mon devoir de réveiller Cassidy, ce que je fis. Je lui dis que c’était une mort certaine pour nous de dormir dans une chambre avec une température pareille, et qu’il devait se lever et continuer à bouger s’il ne voulait pas que son sang se fige avant le matin.

Cassidy réussit à se relever avec mon aide, mais ses membres étaient si raides qu’il ne pouvait pas marcher sans s’appuyer contre le mur. Je lui fis saisir mes épaules et danser une gigue avec ses pieds. C’était une gigue assez mauvaise, mais au bout d’un moment son sang commença à circuler, et dès qu’il put danser tout seul, je le lâchai et me mis à danser moi-même. Cela semblait plutôt irrespectueux pour la défunte que deux hommes dansent des gigues dans la même pièce qu’elle, mais même si je veux toujours traiter les défunts avec le respect approprié, je ne me sentais pas disposé à l’époque, et je ne le suis toujours pas, à me figer par respect envers quiconque, mort ou vivant.

Après avoir dansé jusqu’à l’épuisement, je proposai à Cassidy de faire une dernière recherche d’allumettes, car si nous en trouvions, il serait facile d’allumer un feu avec les meubles cassés. Cassidy accepta et entreprit de palper le mur dans une direction, tandis que je faisais la même chose dans la direction opposée. Nous avions déjà essayé cela auparavant, mais nous nous mêlions toujours à ces satanés meubles et ne parvenions jamais à faire le tour de la pièce. Cette fois, nous fîmes mieux. Je trouvai la cheminée avec mon front, et je la trouvai si bien que je faillis perdre connaissance. Cependant, il n’y avait pas d’allumettes dessus et nous n’étions pas mieux lotis qu’auparavant. Soudain, Cassidy poussa un cri et m’appela. Il avait trouvé un lit et des draps. Je n’étais pas du tout surpris. Certaines personnes pourraient trouver étrange que nous n’ayons pas trouvé le lit plus tôt, mais j’avais passé en revue tellement de meubles cette nuit-là que je n’aurais pas été surpris si nous étions entrés en contact avec une douzaine de grands lits et une demi-douzaine de pianos. Je le dis à Cassidy et lui fis la remarque qu’il y avait probablement trois ou quatre lits supplémentaires dans cette pièce et que si nous continuions, nous les trouverions. Il ne voulut pas chercher plus loin, mais se tint à côté du lit, me disant de venir.

Nous nous retrouvâmes enfin et nous allongeâmes à nouveau sur le sol, proches l’un de l’autre, enveloppés dans de nombreuses couvertures et couettes épaisses. Peu à peu, je me sentis bien et si j’avais eu seulement une pipe, j’aurais été heureux, malgré la veuve Watson. J’estimai que soit le blizzard s’arrêterait avant le matin, pour que nous puissions rentrer chez moi, soit que, s’il continuait, nous pourrions trouver dans la maison de la veuve quelque chose qui servirait au petit-déjeuner. Alors, en pensant aux saucisses frites et au bonheur d’avoir à nouveau chaud, je m’endormis et je n’ai jamais mieux dormi de ma vie. Je ne sais pas quelle heure il était lorsque Cassidy et moi nous endormîmes, mais il devait être dix heures lorsque nous franchîmes la fenêtre de la veuve, et nous dûmes nous cogner aux meubles pendant les quatre ou cinq heures suivantes. Je pense que nous ne nous endormîmes vers quatre heures du matin.

Nous nous réveillâmes tous les deux à peu près à la même heure et constatâmes qu’il faisait encore nuit noire. Tout était calme à l’extérieur et il ne faisait aucun doute que le blizzard s’était dissipé. Je dis à Cassidy que le lever du jour n’allait pas tarder et que nous ferions mieux de rester tranquilles et d’attendre. Aucun de nous ne parvint à se rendormir, et après avoir attendu que l’aube se lève pendant ce qui sembla être une demi-nuit ordinaire, Cassidy eut une idée lumineuse.

— C’est mon opinion, monsieur, dit-il, que vous et moi sommes tous deux aveugles.

— Je pense que vous perdez la tête, dis-je.

— Si, monsieur, vous calculez simplement le temps que nous avons passé ici, vous verrez par vous-même qu’il devrait faire jour depuis longtemps. Nous sommes aveuglés par la neige, monsieur, et c’est pourquoi nous ne voyons pas la lumière du jour.

Plus j’y réfléchissais, plus il me semblait probable que ce que Cassidy disait était vrai. J’oubliai d’avoir faim. Si j’étais aveugle, autant mourir de faim ou geler sur-le-champ, et il était presque certain que c’est ce qui allait nous arriver, car deux aveugles ne pourraient jamais trouver leur chemin vers Lucullus à travers des congères de vingt pieds. J’aurais aimé que nous n’ayons jamais trouvé la maison de la veuve Watson, mais que nous soyons morts de froid dans la prairie et que nous ayons mis un terme à toute cette affaire. J’avais tellement peur que je me sentis mal, alors je me levai et réussis à trouver la fenêtre, avec l’intention de l’ouvrir et de laisser entrer un peu d’air. Mais quand je tirai le rideau, je vis la nouvelle lune et environ sept millions d’étoiles. Je compris ce qui se passait dès que je vis ces étoiles. Cassidy et moi avions dormi toute la journée d’hier et nous nous étions réveillés au milieu de la nuit du lendemain. Vous comprenez ce que je veux dire, même si ce n’est pas si simple à dire.

Nous étions si pressés de nous éloigner de la maison de la veuve et d’arriver là où nous pourrions trouver de quoi manger, que nous ne perdîmes pas de temps pour trouver la porte et l’ouvrir. Avec la lumière des étoiles et le reflet de la neige, il y avait suffisamment de lumière dans la pièce une fois la fenêtre et la porte ouvertes pour nous montrer où nous étions. Si vous le croyez, nous n’étions pas du tout dans la maison de la veuve. Nous étions dans ma propre chambre, et ce que j’avais pris pour la dépouille de la veuve posée sur la table n’était rien d’autre que le sac de pommes de terre que j’avais ramené de Lucullus. Il y avait trois chaises et une petite table par terre, là où nous les avions renversées au cours de la nuit, et ce petit nombre de meubles nous avait paru dans l’obscurité équivalent à tout un entrepôt. Si seulement nous avions su où nous étions, nous aurions pu ouvrir la porte qui menait à ma cuisine, et nous aurions pu avoir du feu, de la nourriture et du tabac à notre guise.

Aucun de nous ne dit un mot avant d’avoir allumé une bougie et allumé le feu. Ensuite, je dis à Cassidy :

— Je veux que vous me donniez un bon coup de pied.

Et il le fit.

— Maintenant, dis-je, si jamais vous me parlez du blizzard et de la nuit où nous avons passé à nous cogner sur mes propres meubles dans ma propre maison, ça va chauffer.