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R. Guérin : Une aventure inédite de Harry Cower, détective

dimanche 14 mars 2021, par Denis Blaizot

Ce conte a été publié dans le Matin du 25 février 1921 1921 .

Peut-on dire que nous avons affaire à un conte policier ? Je pense que oui. Puisque, qu’on le veuille ou non, le héros est un détective à la Sherlock Holmes qui tire des conclusions de petites choses qu’il observe, mais...

Belle parodie ! R. Guérin [1] se moque bien de tous ces héros de roman, Sherlock Holmes en tête, qui, à partir de deux ou trois indices, insignifiants pour tout autre, découvrent la vérité d’intrigues policières complexes.

Excellent !

Une disparition...

Comme il jouait sur l’ocarina le grand air du Trouvère, on frappa a la porte. Harry Cower s’interrompit une seconde, le temps de dire « Entrez ! » d’une voix forte et bien timbrée. et continua les trémolos sur son instrument favori tandis que la porte ouverte livrait passage à une femme d’une quarantaine d’années [2], toute de noir vêtue et dont l’accent, à n’en pas douter, était méridional.

— Qu’y a-t-il pour votre service, fit le grand détective [3], sans cesser de souffler dans son ocarina faites-moi le plaisir de vous asseoir et exposez-moi le but de votre visite.

Puis, aussitôt :

— Non ! taisez-vous ! Je sais.

Et, son index levé de la même manière dont il s’en fût servi pour voir d’où venait le vent, il interrompit la dame qui entr’ouvrait les lèvres pour parler.

— Je sais, répéta Harry Cower ; vous êtes en deuil et je ne crois pas faire erreur en disant que vous devez avoir perdu un proche parent. Je ne me trompe pas souvent, fit-il modestement.

Il continua :

— ... Vous avez constaté hier ou avant hier, ou bien il y a trois jours — vous voyez, je précise — vous avez constaté, dis-je, la disparition de votre petite fille âgée de sept à huit ans et vous venez me demander aide afin de la retrouver, oui, n’est-ce pas ?

L’étonnement, l’admiration, l’espoir déjà se lisaient sur la figure de la pauvre femme qui ne put, tant l’émotion l’étreignait, que prononcer un mot :

— Monsieur !...

— Oui, cela vous étonne, dit Cower souriant, amusé mais, pourtant, rien de plus simple pour un observateur de voir : 1° que le deuil que vous portez n’est pas des plus récents, car le liséré de votre chapeau est plutôt gris que blanc ; 2° votre figure ravagée par la douleur m’indique assez clairement que vous avez pleuré hier et cette nuit, et je pense que vous avez bien une raison ; 3° je vois sur votre poitrine une photographie de fillette de huit ans et j’ai attribué votre chagrin à la perte de cette enfant qui ne peut être que disparue puisque vous venez me faire part de vitre malheur.

 » Il est évident que si votre petite était morte cette nuit, vous eussiez, ce matin, vu plutôt l’ordonnateur des pompes funèbres, ajouta-t-il en riant aux éclats [4].

 » Ne me remerciez pas, dit-il encore, c’est complètement inutile ; il faut courir au plus pressé. Dites-moi de quand date la disparition de l’enfant ?

— Mais, bégaya enfin la dame... je ne comprends rien ! Ma fille n’est point disparue. Du diable si je sais ce que vous me racontez !... Je n’eus jamais ni fille, ni garçon et cette photographie est celle de ma petite nièce...

 » Si je suis venue, c’est pour une consultation, à cause de mon foie, c’est une de vos clientes, Mme Piémou, qui m’a donné votre adresse... Vous n’êtes donc pas le docteur ?

— Le docteur habite à l’étage au-dessus, répondit Cower, dédaigneux et distant. Madame, fit-il en ne la saluant pas, j’ai bien l’honneur...

Et, sans se donner la peine de reconduire la visiteuse, le fameux détective se remit à jouer de l’ocarina.

R. Guérin


[1S’agit-il de Raymond Guérin ? Celui-ci est né en 1905. il n’aurait eu que 15 ans lors de la rédaction de cette nouvelle. Pourquoi pas.

[2Ceci a son importance, comme on le verra plus loin.

[3Il était, en effet, de haute taille et aurait pu, j’en demande bien pardon à Conan Doyle, manger de la soupe sur la tête de Sherlock Holmes lui-même.

[4Entre nous, ce n’était pas le tact qui l’étouffait.