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Albert-Jean : Le voleur

dimanche 21 février 2021, par Denis Blaizot

Ce conte fantastique a paru dans le Matin du 9 mai 1940 1940 .
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L’inconnu surgit à mon côté lorsque j’eus dépassé la cabane où les douaniers s’abritent durant les nuits de tempête.

Il m’aborda, me demanda du feu. Et, lorsque je lui eus tendu la boite d’allumettes — tisons que j’emporte toujours avec moi, au cours de mes randonnées sur la lande, il me regarda droit dans les yeux, et j’éprouvai alors comme un choc au cervelet, tandis qu’une ombre glauque tapissait mes rétines à l’improviste.

Quand je repris mes sens, je me retrouvai, à demi allongé sur la bruyère élastique, les omoplates appuyées contre un rocher. La boite entr’ouverte dispersait ses tisons à mes pieds. Il commençait de pleuvoir. Les mâts blanchis du sémaphore s’érigeaient, comme un squelette de bateau, sur le ciel couleur de suie et de plâtre. Des barques à la voile brune sortaient de la passe, avec le jusant, et le poids de ma solitude m’écrasait le cœur.

Je me remis en marche, d’un pas d’abord hésitant, mais qui se raffermissait de minute en minute, Le visage de cet inconnu me hantait.

Où se trouvait-il, à cet instant ? Pourquoi m’avait-il abandonné, évanoui, sur la lande ? D’instinct, je tâtai mon portefeuille, dans la poche de mon molleton. Puis j’eus honte de mon geste et je repris ma marche en zig-zag.

J’arrivai bientôt devant une maison basse, aux volets clos, tapie en retrait du sentier, derrière un rideau de tamaris. Je savais qu’elle appartenait à un capitaine de frégate en retraite qui passait l’hiver à Paris avec ses deux filles.

En ce crépuscule de janvier, un silence mortel pesait sur les abords du logis. Mû par une impulsion mystérieuse, je poussai le portail qui céda sous ma main et, après avoir rabattu un des volets, descellé par la tempête, je brisai un carreau, tournai une espagnolette et pénétrai dans la maison, comme un voleur.

À cette minute, je ne m’appartenais plus, je vous le jure. Après avoir traversé la chambre dont j’avais fracturé un des carreaux, je longeai un vestibule obscur, et gravis un étroit escalier de bois qui me conduisit à l’unique étage de la maison.

Quand j’eus atteint le palier, je tournai résolument sur ma droite, dépassai deux portes et ouvris, sans hésiter, la troisième.

Je me trouvai, alors, dans une chambre grise et bleue, meublée d’un lit Directoire, d’une bonnetière, d’une table à toilette et de deux chaises au dossier en forme de lyre. Durant quelques instants, mes yeux inspectèrent les bibelots sur les étagères et les piquets de fleurs naturalisées dans les vases en terre de pipe. Malgré moi, je cherchais quelque chose, et l’intensité de cette quête me coupait le souffle et humectait mes tempes.

Soudain, ce fut la délivrance, la détente !

Je venais d’apercevoir, dans un ovale d’écaille blonde, la photographie d’une jeune fille, au doux visage triangulaire, dont une natte entourait la tête. Elle était vêtue d’une jupe de tennis, d’un pull rayé, et elle serrait le manche d’une raquette dans sa petite main. Sans hésiter, je pris l’image, la décadrai et l’insérai dans mon portefeuille, contre ma poitrine.

Alors — mais alors seulement — cette impression de solitude affreuse qui m’avait accablé sur la lande, à l’improviste, se dissipa.

×××

...J’avais accoutumé de passer mes veillées chez un vieux couple qui vivotait dans une des dernières maisons du bourg, sur la route du phare, et dont la sauvagerie égalait la mienne.

Ce soir-là, en feuilletant un de ces albums reliés de peluche grenat, qui rassemblent les photos de famille sur les guéridons des salons provinciaux, je ne pus retenir un cri.

— Qu’avez vous ? me demanda mon hôte.

Je venais de reconnaître le visage de l’homme qui m’avait abordé, quelques heures plus tôt, sur la lande.

Le front du maître de maison s’assombrit :

— C’est le portrait de mon neveu Bernard. Un garçon charmant et plein d’avenir, qui s’est noyé à la pointe du Squével, il y a deux ans.

Malgré moi, je portait la main à la photo dérobée dont je sentis l’arête cartonnée dans mon portefeuille.

— C’est une bien triste histoire ! continua mon vieil ami... Le pauvre enfant a disparu, en plein bonheur. Il était fiancé à là fille aînée du commandant Letourneur. Vous savez, le propriétaire de cette maison grise, sur la lande, au-dessous du sémaphore ?

Albert-Jean Albert-Jean Albert-Jean est le pseudonyme de Marie, Joseph, Albert, François Jean (1892-1975).
Né à Capestang et mort à Paris, il semble être tombé dans un oubli immérité.

Les éditions de L’arbre vengeur ont réédité en 2018 son roman Derrière l’abattoir.

Encore un très beau conte fantastique. Il va vraiment falloir que je me penche sur l’œuvre de Albert-Jean Albert-Jean Albert-Jean est le pseudonyme de Marie, Joseph, Albert, François Jean (1892-1975).
Né à Capestang et mort à Paris, il semble être tombé dans un oubli immérité.

Les éditions de L’arbre vengeur ont réédité en 2018 son roman Derrière l’abattoir.
. Mort depuis 45 ans, il semble avoir été oublié. Alors, si mettre en ligne quelques-uns de ses contes publiés la presse pouvaient le faire resurgir...