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H. J. Magog : La revenante
dimanche 21 février 2021, par
La revenante
Acheter une maison de campagne – un petit château – pour s’y retirer après fortune faite, honnêtement, n’est pas une petite affaire. Le ménage Canard avait longtemps hésité et multiplié les visites avant d’arrêter son choix. C’était maintenant chose faite et ils allaient emménager, ayant passé outre à l’avertissement du vieux jardinier-concierge qui n’avait su se retenir de leur dire, en hochant sa tête grise.
— Monsieur et Madame doivent pourtant savoir que la maison est hantée. Par un fantôme… Comme qui dirait une trisaïeule de Madame la chanoinesse dont vous achetez le bien. Si Monsieur et Madame veulent voir son portrait, il est dans le grand salon.
— Voyons ! dirent ensemble les époux, avec une curiosité de nouveaux propriétaires.
Car ils avaient acheté meublé et il ne leur déplaisait pas de s’être offert des portraits d’ancêtres, encore qu’il ne s’agît point des leurs.
Le portrait était celui d’une dame altière et poudrée, qui avait pu voir le déclin du siècle de Louis XIV et celui de Mme de Maintenon, avant, peut-être, de déplorer le relâchement de la Régence.
— Et cette brave dame descend nuitamment de son cadre ? questionna M. Canard, avec un évident scepticisme.
— Son fantôme, rectifia le jardinier. Il faut croire qu’elle aimait cette demeure autant que madame la chanoinesse, qui en est partie les larmes aux yeux, un peu avant votre arrivée. Il lui aurait été trop pénible de voir s’y installer des étrangers.
— Elle a pourtant été trop heureuse de trouver des acquéreurs payant comptant et sans marchander, riposta Mme Canard, un peu piquée.
— Je ne dis pas, condescendit le jardinier. C’est la misère des temps. Mais, tout de même, ça lui a fait gros sur le cœur. Elle en rêvera plus d’une fois, de sa vieille maison.
— C’est une chance qu’elle soit encore en vie, railla M. Canard. Autrement, nous risquions d’avoir deux fantômes sur les bras. Mais, dites-moi mon ami, il revient souvent le fantôme ? Ce n’est pas une histoire ? Vous connaissez des gens qui l’ont vu ?
— Moi, par exemple, répliqua le jardinier. Oui, moi, bien sûr. Un soir… Je croyais que madame la chanoinesse avait appelé et je suis accouru. Mais je me suis sauvé aussi vite. Le fantôme y était aussi à l’aise que pendant sa vie. Depuis, je n’ai jamais osé regarder le portrait. Ce n’est pas comme madame la chanoinesse, qui passait des heures devant.
M. et Mme Canard écoutaient en souriant, pour dissimuler une légère dose d’inquiétude.
⁂
Durant le jour, les demeures hantées ressemblent à toutes les autres. On peut oublier qu’elles le sont. Mais la nuit !
Mme Canard réveilla son mari :
— Jules ! Jules ! On marche dans le grand salon. Si c’était…
— Un cambrioleur ? s’émut M. Canard en saisissant, sur la table de nuit, son revolver.
— Ou bien… le fantôme !
Haussant les épaules, le mari se vêtit et descendit sur la pointe des pieds, en souhaitant n’avoir affaire qu’à un fantôme. Mais cela ne l’empêcha pas de pousser un cri d’épouvante en découvrant, debout au milieu du salon, une silhouette falote et poudrée, en tous points semblable à la marquise du cadre.
Un cri terrible répondit au sien. Les yeux hagards, le visage ridé sous la perruque poudrée, le fantôme fixa l’intrus et tout à coup s’enfuit avec la célérité d’une personne de chair et d’os.
⁂
— Eh bien, oui ! expliqua le jardinier. C’était la chanoinesse. Comment est-elle entrée ? Je suppose qu’elle avait dû conserver une clé. Et je suppose aussi que c’est en dormant qu’elle s’est costumée et poudrée et qu’elle est revenue dans ce salon pour jouer à la marquise comme elle faisait quelquefois… Car elle était somnambule. Mais moi, je ne voulais pas le lui dire et je la laissais croire à cette histoire de revenant. Vous l’avez réveillée, en la surprenant. Elle ne reviendra plus, allez !