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Maurice Dekobra : Spiritisme

dimanche 15 novembre 2020, par Denis Blaizot

Cette nouvelle est parue das Le Matin du 14 décembre 1919 1919 .

Ce petit conte fantastique est très réussi, avec juste la petite pointe d’humour qui va bien. Mais y a pas à dire. On est loin des horreurs glauques des romans fantastique de gens comme Graham Masterton, mais justement. Un peu de légèreté fait du bien.


C’est hier soir que la mystérieuse affaire s’est déroulée. Mais laissez-moi vous dire d’abord qu’il s’agit du château de Mauvis-la-Bougette (Eure-et-Loir), que ce château appartient à la comtesse de Mauremoy et que M. et Mme Lahisse, le baron Goupille, Mlle Le Figdal et moi, Philippe Marida, célibataire, sans profession, nous sommes ses hôtes depuis quinze jours.

Le château de Mauvis-la-Bougette n’est point catalogué parmi ceux que hantent les fantômes classiques. Nul spectre ancestrale ne visite ses douves, ses courtines ou ses échauguettes. La comtesse de Mauremoy qui l’habite en été est une jolie veuve, saine de corps et d’esprit. Il n’y a en elle rien de morbide, rien qui appelle la magie noire, l’oniromancie, les secrets des mystagogues ou les rites de la kabbale.

Hier soir, nous fumions dans le salon lorsque la comtesse de Mauremoy, qui était montée dans sa chambre pour prendre un jeu de cartes, reparut haletante et blanche de peur.

— J’ai... j’ai, bégaya-t-elle, j’ai vu un spectre dans l’alcôve !

Mme Lahisse et Mlle Le Figdal la regardèrent atterrées. Nous, les hommes, nous les esprits forts, les blasés du Zohar, nous sourîmes avec indulgence et même nous plaisantâmes !

— Vous avez eu une hallucination, chère amie.

— Les spectres sont démobilisés, je vous assure !

— La vie chère les a tués.

Mais notre charmante hôtesse, que nous avions réconfortée avec un petit verre de cognac, nous répondit :

— Vous êtes tous stupides ! Je ne suis pas folle, croyez-moi. Aussi vrai que vous êtes là, autour de moi, j’ai vu un spectre.

— Avait-il une forme ?

— Avez-vous distingué son visage ?

— Était-ce un visage familier ?

— Oui ! Et ce qui va vous étonner bien davantage, c’est que vous le connaissez tous !

Nous entourâmes la comtesse, avides de savoir.

— Qui donc ? fîmes-nous en chœur.

— Napoléon III... il est passé lentement, dans l’alcôve ! il m’a regardée ; il s’est penché vers mon petit secrétaire et il a disparu.

Je me frappai le front :

— Naturellement ! Il apprécie le style Empire.

— Philippe, vous n’êtes qu’un mauvais plaisant et pour vous punir, je vous invite à aller dans ma chambre et à l’inspecter de fond en comble, car moi, je n’en ai pas le courage et je crains bien de ne pas fermer l’œil cette nuit.

Je m’exécutai en riant et montai le grand escalier. Je vous avouerai que ces histoire de revenants, d’égrégores et de phanogrammes m’amusent. Je trouve même qu’elles sont la meilleure distraction de la vie de château. J’entrai donc dans la chambre rose et la fouillai en toute conscience. Naturellement, il n’y avait pas plus de Napoléon III que de petit oiseau sur le bout de mon doigt. J’allais sortir quand mon attention fut attirée par un morceau de papier blanc sur le secrétaire. Je le regardai de plus près et poussai un cri de stupeur.

Bondissant alors dans le couloir, j’appelai mes amis qui accoururent et tous penchés sur le papier, nous déchiffrâmes ce message écrit au crayon, d’une écriture spasmodique :

Si vous ne me donnez pas deux francs, l’un de vous mourra subitement. Placez l’obole sur le guéridon du vestibule. — Signé : NAPOLÉON III, empereur.

Lorsque la comtesse de Mauremoy nous eut juré sur la tête de ses aïeux qu’elle n’avait pas rédigé ce billet pour nous mystifier, nous primes la chose au sérieux et discutâmes longuement la théorie des manifestations de l’au-delà. Les domestiques dormaient à cette heure dans l’aile gauche du château ; ce n’était donc point une farce du chauffeur ou du valet de chambre. Aucun de nous n’avait quitté le salon depuis le dîner, nous ne pouvions donc point non plus nous soupçonner les uns les autres. Malgré que nous en eussions, il fallait bien reconnaître là un phénomène surnaturel, un accident de spiritisme, indiscutable, réel.

Nous tînmes conseil. Il fut convenu que les dames veilleraient dans le boudoir bleu, toutes lumières allumées, cependant qu’à minuit précises, j’irais offrir au spectre de l’empereur l’obole demandée. Au fond, je n’étais pas plus rassuré que cela. Dès onze heures trois quarts, le baron Goupille et M. Lahisse, qui d’ailleurs ne brillaient pas par leur courage, s’embusquèrent sans bruit, l’un derrière la bibliothèque, l’autre derrière l’armure de Roland de Mauremoy, cinquième du nom le baron était armé d’une carabine à air comprimé ; M. Lahisse d’une canardière, longue de trois mètres cinquante.

À minuit moins deux, je pris congé de ces dames qui claquaient des dents sur le pouf du boudoir et, pas à pas, je descendis les marches du grand escalier. J’avais tiré deux francs de mon gousset et les tenais dans le creux de ma main gauche.

Minuit sonnèrent au cartel de la salle à manger.

Doucement, sur la pointe des pieds, je m’approchai encore et je déposai la pièce sur le guéridon. Tout à coup, je discernai dans l’obscurité une forme phosphorescente qui surgit entre deux tentures... Un frisson glacé me saisit... La pièce sonna sur le bois du meuble et, ô miracle ! une voix caverneuse articula :

— Espèce de ballot ! Tu sais bien que mes pièces n’ont plus cours !!!

Alors, littéralement terrorisé, je fis une soudaine volte-face ét j’eus la sensation très nette de recevoir dans le fond de mon pantalon un de ces coups de botte qu’un homme n’oublie pas...

Maurice Dekobra