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Gustave Gailhard : American private détective

samedi 14 novembre 2020, par Denis Blaizot

Cette nouvelle de Gustave Gailhard a été publiée dans Le Matin du 9 novembre 1919 1919 .

Je viens de découvrir avec ce texte une petite perle de la nouvelle policière humoristique... et un auteur de grand talent ? Une chose est certaine : je vais tenter d’en lire d’autre de cet écrivain.

« On est mieux assis que debout, couché qu’assis, endormi qu’éveillé, et mort que vivant. »

Sauf cette dernière proposition, un peu excessive, le célèbre John Hass, « american private détective », avait fait de ce proverbe arabe le programme de sa vie.

Partisan irréductible de la moindre action, il avait trouvé un moyen commode de mettre sa théorie en pratique : le revolver. Revolver pour appeler son domestique, sa dactylo ou tout autre employé en tirant depuis son fauteuil sur les divers boutons de sonnette ; revolver pour abréger les conversations inutiles ou congédier les visiteurs fastidieux...

Un matin du 1er mai, l’Universal Bank avait épandu dans New-York ses innombrables boys collectors, pour l’encaissement de fin de mois. L’un d’eux, dans un passage étroit et tortueux, se trouva nez à nez avec Harry Typley, un garçon trop obligeant, qui s’offrit à le débarrasser de son encombrant attirail d’encaisseur. Le collector essaya d’une résistance polie, mais Harry Typley lui fit entrevoir dans la lame de son couteau la benoîte image de la Raison et obtint la sacoche.

À cette heure matinale, elle ne contenait encore que des traites et des effets commerciaux, mais Harry Typley songea qu’il lui était aussi facile qu’au boy collector de transformer les petits papiers sales en banknotes et en dollars. Il pria donc le boy de lui confier ses insignes d’encaisseur et le quitta en lui assurant que la besogne serait convenablement faite.

×××

Après avoir flotté entre plusieurs partis, le boy collector se décida à courir chez John Hass. Il apprit en arrivant que le détective était dans son bureau, qu’il déjeunait et qu’il était d’humeur joviale.

Le boy le trouva, en effet, le nez dans sa tasse.

— Monsieur, on m’a volé !

Il vit successivement surgir de la tasse deux soumis relevés par la surprise, deux yeux qui le dévisageaient d’une façon inquiétante, un nez qui commençait à se pincer, puis une bouche aux lèvres minces dont le sourire n’avait rien d’accueillant.

— Que diable, mon ami, voulez-vous que ça me fasse ?

— C’est aujourd’hui le 1er mai, monsieur, et...

— Il faut aller acheter du muguet, mon garçon.

— Mais, monsieur, s’écria le boy ahuri, ce n’est pas une plaisanterie, il s’agit d’un vol...

Le détective avança la main vers son revolver libérateur dont quelques salves judicieusement tirées à droite et à gauche allaient le délivrer promptement de ce gêneur qui insistait.

— Il faut vous dire, monsieur, que je suis collector à l’Universal Bank...

John Hass abandonna aussitôt la poignée de son arme. L’Universal Bank ? C’était autre chose. Deux cents dollars pour sa vacation, 1% sur la somme récupérée, plus ses frais. All right ! C’était une affaire.

— Dites la chose.

Au dixième mot il interrompit l’explication.

— J’ai compris. Quel est le plus gros encaissement de votre tournée ?

— Edward Sudney and C°, septième avenue. Cent trente-cinq mille trois cents dollars.

— All right ! C’est donc là que nous le prendrons.

— Courons, monsieur.

— Non. La caisse Sudney n’ouvre qu’à 10 heures. Il est 10 heures moins 16. Il faut dix minutes pour aller. J’ai donc six minutes pour achever ma tartine et ne préparer.

— Mais...

— Asseyez-vous là.

Son déjeuner tranquillement achevé, John Hass prit sur un cartonnier un revolver plat et carré qui ressemblait à un pistolet automatique.

— Venez, dit-il à son client.

À 10 heures précises, ils étaient embusqués dans la septième avenue, devant la maison Sudney and C°. À 10 heures 3, Harry Typley entrait dans la maison.

— Le voici, monsieur. C’est lui ! Courons !

— Mais le détective n’était aucunement pressé.

— Nous le prendrons la sacoche pleine. Ce sera mieux.

Quelques minutes plus tard, Harry Typley reparaissait, recomptant minutieusement les banknotes perçues. Il les rangea ensuite dans les divers compartiments de la sacoche, biffa sur son calepin le nom Sudney, releva une nouvelle adresse et se remit allègrement en route.

— Vous ne vous emparez pas de lui, monsieur ? demanda le boy à John Hass.

— Pourquoi ? Trouvez-vous qu’il fait mal votre besogne ? Quand il aura tout à fait fini, alors, by Jove, nous le coffrerons tranquillement. Ne dis-je pas bien ?

Toute la journée ils suivirent pas à pas Harry Typley et la sacoche. Celle-ci d’heure en heure enflait joyeusement.

Maintenant Harry Typley avait encaissé jusqu’au dernier cent. Sa sacoche serrée contre lui, il reprenait le chemin du logis. Mais une angoisse lui serrait l’estomac. La nuit tombait. Le long des murs traînaient de drôles de personnages.

— Pourquoi donc la police laisse-t-elle rôder de si tristes individus ?

Un quidam solitaire l’emplissait d’effroi. Il ne se reconnaissait plus. Par contre, chose nouvelle pour lui, la vue d’un policeman l’emplissait de béatitude. Il pria même deux d’entre eux de vouloir bien lui faire un bout de conduite pour traverser une petite ruelle qui paraissait bien déserte et bien noire.

Au bout de cette ruelle, les ayant remerciés, il reprenait, plus tranquille, son chemin, quand tout à coup il sentit de sa nuque aux talons un picotement affreux, ses cheveux se hérissèrent.

Devant ses yeux était fixée la petite rondelle noire d’un canon de revolver et il reconnaissait derrière elle le visage souriant du détective John Hass.

— Allô ! Harry Typley ! chère vieille connaissance ! Heureux de vous revoir. Et vous ?... Non... Pas la peine de lever les mains. Restez à votre aise, cher garçon. Mais ayez la prudence de vous tenir tranquille pour ne pas m’obliger vous envoyer une balle dans l’œil.

Le collecter avançait déjà une main joyeuse vers la sacoche. John Hass intervint.

— Je dis non. Laissez porter la sacoche à cet obligeant gentleman. Il faut maintenant qu’il aille rendre ses comptes à l’Universel Bank. J’ai 1%. Il faut donc compter tous ensemble. Passez devant, Harry Typley. Marchez les mains derrière le dos, à une allure pas trop pressée, hein ? Sinon, pan ! une balle entre les épaules. Allons !

L’entrée à l’Universal Bank, après le premier instant d’effarement, fut un triomphe.

— Téléphonez d’abord qu’on envoie ici un policeman. Bien. Maintenant, Harry Typley, ayez l’amabilité de rendre vos comptes.

Harry Typley sentait bouillonner dans sa poitrine une rage effroyable. Il se serait bien chargé avec joie de régler à ces damnés gens-là un tout autre compte que celui qu’on exigeait, mais le terrible revolver était là ! Ce petit rond noir fixé près de sa tempe paralysait son courage. Ah ! sans ce revolver !...

Tout fut compté, aligné, recompté, rangé.

— Monsieur le directeur, dit John Hass en posant le revolver sur la table, tout est bien exact ? Très bien. Vous connaissez mon tarif ? Parfait. Je vous enverrai la note demain. Ah ! Voici ce brave policeman qui vient terminer mon affaire. Pour moi tout est fini, permettez...

— Non, tout n’est pas fini ! hurla Harry Typley qui venait de s’emparer du revolver. Haut les mains ! Éloignez-vous de cette table !... Écartez-vous de cette porte !

Chacun reculait avec effroi. Seul John Hass s’avançait souriant. Typley était un garçon décidé. Visant le cœur du détective, il pressa délibérément la détente....

Mais il se produisit alors un phénomène inattendu qui l’emplit de stupeur. Au lieu de la détonation, du coup de feu, de la balle qui tue, il vit le revolver s’ouvrir et se transformer en étui à cigares.

— Bravo, garçon, lui dit John Hass en souriant narquoisement. Vous allez au-devant de mon intention. Offrez, je vous prie, un cigare à ce brave policeman qui va avoir la peine de vous conduire où vous savez...

Gustave Gailhard