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Maurice Renard : Le plus grand détective du monde

vendredi 6 novembre 2020, par Denis Blaizot

Cette nouvelle a été publiée dans Le Matin le 9 octobre 1937 1937 .

C’est bien une enquête du commissaire Jérôme, même s’il est juste en arrière plan, la parole étant laissée au procureur, un gendarme, un témoin et le suspect. Mais c’est Jérôme qui prend la parole pour désigner le plus grand détective du monde.

Le procureur de la République près le tribunal de Belley arriva dès huit, heures du matin au château de Mirastel. Ce fut le commissaire divisionnaire Jérôme qui le reçut en compagnie de M. d’Agnès. Jérôme se nomma, expliqua rapidement que M. d’Agnès, son vieil ami, l’avait invité à passer quelques jours à Mirastel et que lui, Jérôme, en la présente et tragique circonstance, s’était permis de donner aux gendarmes certains conseils :

— Je ne saurais trop vous en remercier, affirma courtoisement le magistrat.

Le maréchal des logis qui avait fait les premières constatations et qui tenait ouvert son calepin, précisa :

— Monsieur le divisionnaire nous a surtout recommandé la discrétion, le silence, jusqu’à votre arrivée, monsieur le procureur. Sur ses indications, nous avons coupé toute communication entre le château et l’extérieur depuis la découverte du crime. Le médecin lui-même se trouve encore ici.

Le procureur approuva d’un signe de tête, bien qu’il n’aperçût pas toutes les raisons qui, sans doute, avaient motivé une consigne de silence aussi rigoureuse.

— Votre rapport... fit-il, s’adressant au sous-officier.

— Voici, monsieur le procureur. Ce matin, à l’aube, nous avons été requis par M. d’Agnès — qui était venu en auto, tandis que M. le divisionnaire restait sur les lieux — de nous transporter à son château de Mirastel pour constater le meurtre commis sur la personne d’une jeune servante âgée de dix-sept ans et nommée Agathe-Césarine Aignaz...

×××

Une vieille femme entra dans le cabinet de M. d’Agnès. Le procureur était au bureau, son greffier sur le côté. M. d’Agnès et le commissaire Jérôme occupaient des fauteuils à l’écart.

Verte de peur, la vieille, poussée par un gendarme, s’avança.

— Ne craignez rien, lui dit le procureur. Et asseyez-vous. Vous êtes bien Mme veuve Rumelet, tante d’Agathe Aignaz ?

— Oui, monsieur, grande-tante. Qu’est-ce qui lui est arrivé ?

— Avez-vous vu votre nièce hier dimanche ?

— Non, monsieur. Je comptais pourtant bien que Mme d’Agnès lui donnerait la permission de venir au village passer un bout de temps avec moi. Ces messieurs sont arrivés de Paris mercredi. La petite est venue m’embrasser jeudi matin, et puis donc j’ai vu Mme d’Agnès qui m’a dit comme ça qu’Agathe faisait bien son service, qu’on était content d’elle quoiqu’elle soit un peu trop coquette. Mme d’Agnès m’avait promis qu’elle aurait congé hier dimanche...

— Ce congé lui a été accordé, madame, Agathe a disposé de toute sa journée pendant que M. et Mme d’Agnès et leurs hôtes faisaient en auto une excursion dont ils ne devaient revenir qu’après minuit. Les autres domestiques l’ont vue descendre vers le village après le départ de ses maîtres. Elle aura bifurqué...

La vieille s’assombrit et murmura :

— On m’avait bien dit qu’on avait cru la voir, dans les hauts, se promener avec Frédéric Marioux...

— Son bon ami ?

— Oh ! je ne veux pas dire ça ! Dieu merci ! C’est moi qui l’ai élevée ! Une bonne petite, j’en réponds ! Se promener avec un galant, oui, peut-être. Mais rien de plus. Quant à Frédéric, il lui plaît, je sais bien. C’est un malheur, parce que voilà un mauvais gars, allez ! Mais dites-moi donc ce qui est arrivé à Agathe ? Je vous en supplie !

Le procureur hésita, et dit pourtant :

— Tout à l’heure, madame Veuillez vous retirer.

×××

Un sourire contraint tirait la bouche de Frédéric Marioux lorsqu’il se présenta devant le procureur. C’était un homme de petite taille, brun, l’œil vif, joli garçon solidement campé.

— Marioux, je vous ai fait venir pour que vous me racontiez votre journée d’hier. Comment l’avez-vous employée ?

L’interpellé prit un temps, se dandina.

— Ben, monsieur, je me suis baladé dans la montagne.

— Seul ?

— Avec Agathe Aignaz, qu’est femme de chambre au château.

— En effet, on vous a vu avec elle, de loin.

— Je ne savais pas, dit Marioux avec simplicité. Mais on ne se cachait pas et on n’a pas fait de mal. Depuis qu’Agathe est partie à Paris avec ses patrons, je suis resté en relation avec elle. On s’écrit, quoi ! Alors, hier, comme elle avait congé, elle m’a rejoint dans les hauts. Il faisait un temps superbe, comme vous savez. On est monté aux granges. Là, on a déjeuné ; j’avais emporté des provisions. Et puis on est allé jusqu’au sommet, à la croix, parce qu’Agathe aimait mieux marcher que de rester assise auprès de moi. Enfin, à la nuit, on est redescendus. Elle voulait rentrer avant ces messieurs et dames qui étaient partis en virée du côté de Chamonix. Elle avait les clefs de la grille. Je vous le répète : on n’a pas fait de mal. Je sais bien qu’Agathe est mineure, et je suis un honnête homme, comme elle une honnête fille.

— Pour vous plaire, elle avait mis sa belle robe. Elle s’était arrangée coquettement ?

— Mais qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi me demandez-vous...

— Elle portait probablement des bijoux ?

— Des bijoux ! s’exclama le paysan, stupéfait. Des bijoux ? Je ne me rappelle que sa bague, une petite bague qui lui vient de sa maman.

— Vous êtes sûr ? C’est curieux ; Mme d’Agnès a constaté, ce matin, la disparition d’un assez beau collier et d’un bracelet, le tout en or enrichi de perles. Et elle supposait que sa petite coquette servante s’en était parée pour se montrer à son amoureux, quitte pour elle, avant le retour de sa maîtresse, à replacer les joyaux dans le vide poche où celle-ci les avait laissés par mégarde...

— Je ne sais pas du tout ce que vous voulez dire ! Agathe ne portait pas de collier ni de bracelet, monsieur ! Mais, voyons, ne peut-elle pas vous le certifier elle-même ? Ou bien est-ce qu’on l’accuse...

— Où l’avez-vous quittée ? À la grille du parc ?

— Non. J’aurais voulu la reconduire jusque-là, à cause de l’obscurité et du bois qu’il fallait traverser. Mais elle ne voulait pas qu’on nous voie ensemble si tard, et elle craignait que des gens du château ne prennent le frais sous les arbres. Il avait fait si chaud, toute la journée ! Je l’ai donc quittée, à l’entrée du bois, mais elle l’a contourné pour m’être agréable. C’était plus prudent, à mon sens.

— Donc, à supposer que vous, Marioux, vous ayez continué tout droit, au lieu de rentrer chez vous directement, il vous était facile de parvenir avant elle à la grille, de l’attendre par là et de l’assommer pour lui prendre le collier et le bracelet de Mme d’Agnès.

— Comment ? rugit l’homme, frémissant d’indignation. L’assommer ? Moi ? En voilà une histoire ! Puisque je vous jure qu’elle n’avait pas de bijoux ! Ou alors : dans sa poche !

— Écoutez, Marioux. On l’a trouvée morte, cette nuit, à quelques pas de la grille. Les phares de l’auto l’ont éclairée.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! gémit Marioux en se cachant le visage dans ses mains.

— Ce désespoir n’est pas de mise, dit le procureur avec le plus grand calme. Je vous place sous mandat de dépôt. Marioux. Nous retrouverons à coup sûr en votre possession le collier et le bracelet. Car, en dépit de vos dénégations, la pauvre fille les a portés en votre compagnie.

— Jamais ! C’est faux !

— Vraiment ? Eh bien ! venez. Marioux, conclut le magistrat en jetant au commissaire Jérôme un coup d’œil de connivence. Vous verrez de vos yeux, sur le corps de votre malheureuse victime, la preuve de votre mensonge et par conséquent de votre forfait. Les jeunes servantes qui viennent de Paris ont la peau blanche et le grand soleil des montagnes a vite fait d’empourprer leur gorge et leurs bras, c’est-à-dire d’y photographier en pâle sur sombre la silhouette précise des colliers et des bracelets qu’elles portent. Cette nuit, quand vous avez volé les bijoux au cadavre, vous opériez à tâtons, sans rien distinguer... Allons, venez !

— Je préfère ne pas la revoir, balbutia Marioux. Je comprends... Mais ce n’est pas moi qui ai tué ni volé !

— Allons donc ! Pourquoi, alors, auriez-vous menti ?

Pâle comme un mort, l’accusé baissa la tête.

Le procureur se tourna vers Jérôme :

— Sans vous, monsieur le divisionnaire, nous n’en serions pas là. Cet homme, s’il avait été averti du coup de soleil, changeait de tactique. Permettez-moi de vous exprimer ma reconnaissance.

— Monsieur lé procureur, dit Jérôme avec une ombre de sourire, aujourd’hui c’est le détective Phébus qu’il convient de remercier. Le plus grand du monde, assurément !

Maurice Renard Maurice Renard