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Maurice Renard : Mathilde

samedi 6 février 2021, par Denis Blaizot

En attendant que je vous parle de l’intégrale des contes et nouvelles de Maurice Renard Maurice Renard , voici encore un texte paru dans le Matin, le 3 janvier 1940 1940 .

Mathilde par Maurice Renard Maurice Renard

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Germain Lurier traversa le salon très rustique de sa maison de campagne. Il sortait de son studio et chantonnait. La matinée de soleil entrait par toutes les fenêtres ouvertes.

— Papa, est-ce que vous connaissez cette dame ?

— Quelle dame, mon enfant ? fit Germain négligemment.

Simone, qui, près de sa mère, tirait l’aiguille, cousant une étoffe à grands ramages vifs, désigna d’un coup de menton la haie de clôture :

— Celle-là.

Germain regarda, et vit, en effet, passant sur le chemin, au long de la haie, une femme d’assez haute taille, qui semblait vêtue élégamment, dans les tons effacés.

— Non, dit-il au bout d’un moment. Mais à cette distance... Pourquoi me demandes-tu ça, fillette ? Qu’est-ce qu’elle t’a fait, cette dame ?

Ce fut Mme Lurier qui répondit avec indifférence :

— Voilà plusieurs fois qu’elle passe devant chez nous. Cela intrigue Simone.

— C’est pourtant son droit, à cette femme. Elle trouve probablement la maison à son gré, — ce qui démontre qu’elle a du goût. Il se peut aussi qu’elle cherche un terrain à vendre par ici... Enfin, fichtre, ça n’a aucune espèce d’importance !

— Nous avons l’air de l’intéresser particulièrement, reprit la jeune fille. Tout à l’heure, Jacquot jouait près du portail avec ses petits camarades ; elle les regardait de loin... Et je me rends très bien compte qu’elle nous regarde aussi, à la dérobée, maman et moi.

— Que veux-tu ! fit Germain en allumant une cigarette. C’est l’inconvénient des propriétés comme la nôtre. Pas de murs, pas de secret ! Mais j’ai toujours eu horreur des murs, tu le sais bien.

— La voilà partie, dit Mme Lurier.

— Oh ! elle reviendra ! assura Simone. Ou j’en serais bien surprise.

— Jeunesse, belle jeunesse ! fit Germain en lui caressant les cheveux. Soyez plus indulgente à votre prochain !... Voyons ! se demanda-t-il, qu’est-ce que je venais faire par ici, moi ? Ah, oui ! Ce livre !

Il gagna une petite bibliothèque en rotonde. saisit un volume sur une tablette, et réintégra son studio.

La fenêtre en donnait sur une autre partie du jardin et ne permettait pas de découvrir l’entrée. Ce qu’on voyait de là n’était qu’une sorte de bois, masquant la limite fort proche du petit domaine. De ce côté : pas même une barrière. De simples fils de fer, à peu près invisibles.

Germain, machinalement, laissait son regard errer par le sous-bois. Il n’avait pas repris sa place devant sa table. Il feuilletait, d’un doigt distrait le livre qu’il était allé chercher, et il songeait tout naturellement à cette promeneuse que la vigilance de Simone lui avait signalée. Son esprit n’établissait aucun lien entre lui-même et cette passante. Germain n’avait pas d’aventures, rien de clandestin ne compliquait sa vie. Il aimait encore, d’un amour calme et sûr, sa femme toujours belle. Ses deux enfants lui étaient plus que chers, et il estimait le plus beau du monde ce métier d’écrivain qui lui valait d’ailleurs quelque succès. Un homme, en résumé, très heureux dans sa simplicité. Point de passé laissant, en arrière, de ces souvenirs qu’on évite en soi-même...

Il pensait à cette femme en faisant, à son sujet, des suppositions tout à fait terre à terre.

Soudain, à travers les feuillages, il l’aperçut qui suivait lentement le sentier couvert, en dehors des fils de fer. Les ramures étaient trop profondes pour qu’elle fût constamment visible ; mais c’était elle, à n’en pas doute. Elle avançait d’une marche irrégulière, s’arrêtait, — sans doute pour examiner commodément les lieux, — puis repartait. Il la vit mieux, à un moment, immobile... Et c’était lui qu’elle fixait, — lui, debout et rêveur, à sa fenêtre.

Il ne bougea pas, il ne fit rien pour indiquer à l’indiscrète qu’il la voyait. Et cela dura un assez long temps. Elle disparut sans hâte. Alors, il s’assit et réfléchit.

Quelque chose s’éveillait pour lui, son œil brillait de curiosité. Cette femme... cette femme... Qui est-ce donc qu’elle lui rappelait ? Il n’aurait su le dire. Les ressorts de sa mémoire avaient joué tout à coup, confusément, à la vue de cette silhouette arrêtée dans le mystère du bois, en face de lui.

Il porta brusquement contre ses lèvres un crayon qu’il taquinait en cherchant.

— Mathilde ! murmura-t-il avec un petit sourire étonné. Oui, ce doit être Mathtlde... ou plutôt Mlle Leguivre, ou mieux encore Mme... Madame qui ? Il avait oublié le nom du mari de Mathilde.

Ce qu’il se rappelait fort précisément par exemple, c’est qu’il l’avait demandée en mariage — lui, Germain Lurier, — plus de vingt années auparavant, et qu’elle l’avait dédaigné, pour épouser il ne savait plus quel bellâtre mondain...

— Mathilde Leguivre ? se dit-il avec moins d’assurance. Serait-ce possible ? Elle ? Mais que viendrait-elle faire ici ? Est-ce moi qu’elle souhaite rencontrer ? Puis-je lui être utile ? Ou bien...

Il se décida immédiatement à sortir, de manière à croiser sur le chemin celle qui avait été Mathilde Leguivre. Une question cependant, l’arrêta un instant. Et il s’interrogea. Après vingt ans, qu’éprouvait-il, au juste ? Presque rien. Une impression de surprise. Voilà tout. D’ailleurs, n’est-ce pas, il n’avait jamais aimé — vraiment aimé — que sa femme !

Mais alors, à quoi bon se porter au-devant d’un fantôme aventureux ?

C’était la curiosité, évidemment. Il voulait savoir, cet homme. Il voulait se convaincre qu’il avait deviné juste. Parbleu ! C’était Mathilde ! Et ce qu’il désirait voir, en somme, c’était, sur son visage, la trace du désir, du regret, des étranges penchants auxquels Mathilde avait cédé, en venant ici — après quels déboires conjugaux ? — pour retrouver, dans le cadre fortuné de son destin, celui qui aurait pu la rendre heureuse.

— Je vais faire un tour ! dit-il en repassant près de sa femme et de sa fille.

— Ah ! Ah ! C’est cette dame qui vous attire, papa ! plaisanta Simone.

— Que tu es sotte ! fit-il en se forçant de rire.

Il la rencontra sur la route. Elle montait vers lui. Sans vergogne, presque sans pudeur, il la dévisagea. cherchant à démêler, durant ces rapides secondes. les traits de la jeune fille dans ceux de la femme mûre.

Si c’était Mathilde, comme elle avait changé !

— Madame... prononça-t-il.

D’Instinct, comme elle allait passer, il l’avait interpellée. Elle se retourna, fort étonnée.

— Heu !... bredouilla-t-il. Désirez-vous quelque indication ? Vous semblez chercher...

Elle ne cherchait rien. Et ce n’était pas Mathilde. À présent il le voyait bien.

Son mari, chasseur — et des amis — lui avaient donné rendez-vous sur cette toute. Elle était en avance. Elle se promenait, flânait...

Germain salua, s’excusa et continua son chemin. un peu d’amertume au coin de la bouche.

Maurice Renard Maurice Renard