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Maurice Renard : L’ingénu

dimanche 1er novembre 2020, par Denis Blaizot

Cette nouvelle a paru pour la première fois dans Le Matin du 30 novembre 1935 1935 .

Comme dans quelques autres le narrateur relate un souvenir ou une enquête du Commissaire Jérôme. Mais là, ce qui rend cette nouvelle intéressante, c’est que, alors que le narrateur ne collabore plus de façon régulière avec le commissaire, celui-ci a l’occasion de lu relater sa toute première enquête, alors qu’il ne faisait pas encore partie des services de police.

Amusante.

En passant quai des Orfèvres, l’idée me vint d’aller dire bonjour au commissaire divisionnaire Jérôme, que je n’avais pas vu depuis assez longtemps.

Je lui fis passer ma carte. L’agent qui l’avait prise reparut presque aussitôt, en me priant de patienter un petit moment. Le divisionnaire recevait quelqu’un qui était sur le point de se retirer.

En effet, quelques minutes seulement s’étant écoulées, je vis sortir du cabinet de Jérôme un vieil homme tassé, marchant avec difficulté et que l’excellent policier reconduisait jusqu’à la porte avec beaucoup d’égards.

Dès que cet ancêtre eut pris congé de lui, d’une façon à la fois déférente et affectueuse, Jérôme me fit signe d’entrer, et, tout en me serrant la main, il regardait s’éloigner vers la cage de l’ascenseur le bonhomme tout cahotant.

— Pauvre vieux Léonard, murmura-t-il.

— Léonard, fis-je, voilà un nom qui me dit quelque chose.

Jérôme avait refermé la porte et, sur cette porte, le vantail capitonné, l’étouffoir de moleskine verte que je ne puis jamais regarder sans frissonner quelque peu.

— Léonard ? me dit-il en me désignant un fauteuil. C’est l’homme que j’ai vu dans la plus grande fureur qu’on puisse imaginer.

— Mais encore, insistai-je, qui est-il ? Je me souviens vaguement d’avoir entendu parler d’un détective... Attendez ! Je me rappelle, maintenant. Je revois des notes de publicité, des affiches... Votre Léonard n’a-t-il pas dirigé une agence de recherches ?

— C’est bien cela. Vous avez de la mémoire, car l’agence Léonard a fermé ses portes il y a quelque vingt ans. Elle prospérait, d’ailleurs ; mais le vieux en avait assez, et personne ne s’est risqué à reprendre la suite.

— Jérôme, dis-je alléché par l’espérance d’une histoire, vous parliez à l’instant d’une colère...

Il se mit à rire et, sans se faire prier, commença :

— Un soir — un soir d’autrefois — Léonard se trouvait seul dans son bureau. Il était d’une humeur massacrante. Il souffrait. La goutte le tenaillait ferme, et il n’aurait pas été là, la jambe étendue sur une chaise, à pester en fumant cigare sur cigare, s’il avait pu se faire remplacer. Mais ses collaborateurs étaient tous occupés au dehors, à des enquêtes, des filatures, etc. Et Léonard n’aurait pas voulu, pour tout l’or du monde, qu’un client quelconque ne trouvât personne à qui parler en se présentant, avant 19 heures, à l’agence qui portait son nom.

 » Cependant, le temps passait. L’heure venait où il pourrait décemment rentrer chez lui. Et nul ne franchissait le seuil de l’office, pour solliciter son concours. Le téléphone restait muet. La journée semblait finie.

 » C’est alors qu’on frappa très discrètement. Léonard, merveilleusement disposé à l’impatience, dut répéter : « Entrez ! » plusieurs fois avant que la porte s’entr’ouvrit pour livrer passage à un tout jeune homme très intimidé, vêtu correctement et qui, en apercevant Léonard, arbora un large sourire.

 » Ce large sourire paraissait cacher un grand trouble.

 » — Excusez-moi si je ne me lève pas, lui dit Léonard en montrant sa jambe. En quoi puis-je vous servir, monsieur ?

 » L’autre, alors, rougit terriblement.

 » — Je viens voir, dit-il, si vous voudriez m’engager comme détective. Je...

 » Ah ! Bon ! fit Léonard. Ah ! Bon ! Encore un !

 » Et il toisa, d’un air narquois et assez hargneux le petit jeune homme.

 » On ne pouvait imaginer visage plus candide que celui-là. C’était un visage rond, d’une fraîcheur enfantine, éclairé par des yeux ingénus, d’un bleu innocent. Bref : la figure d’un, bon petit gars sans malice.

 » — Alors ? dit Léonard, la vocation, hein ?

 » — Oui, monsieur ! Une vocation Irrésistible !

 » — Et voilà ! Comme les autres ! C’est-à-dire, mon petit, que vous avez lu beaucoup de romans policiers et que cela vous a tourné la tête. Mais il y a une chose que vous ne saviez pas : c’est que, tous les jours, je reçois des visites comme la vôtre. Eh bien, croyez-moi. J’ai l’habitude... Vous n’avez rien de ce qu’il faut. Littérature, mon garçon, littérature ! Rentrez chez vous. D’ailleurs, je n’ai besoin de personne. Et puis je recrute mon personnel parmi les vieux routiers, plutôt que, hum ! plutôt qu’à la pouponnière.

 » Il avait lâché cette méchanceté à cause d’une douleur qui venait de lui brûler le pied : mais le petit jeune homme en parut si navré que Léonard regretta ses paroles.

 » À ce moment, le téléphone sonna, et le policier décrocha l’appareil, laissant, son visiteur le nez baissé, les sourcils froncés, l’air, enfin, profondément déçu.

 » – Allô ! dit-il. Quoi ? Je n’entends pas bien. Ah ! le collier de perles de la comtesse...

 » Il écouta silencieusement, avec un étrange sourire mauvais, et répondit :

 » – Cher anonyme, vous perdez votre temps. La plaisanterie a assez duré.

 » Il raccrocha, l’œil dur, et dit au jeune homme

 » — Je ne vous retiens pas.

 » Mais celui-ci avait relevé la tête.

 » — Pardonnez-moi, fit-il. J’ai entendu ce qu’on vous disait, à distance, par l’écouteur resté libre. Oui. J’ai l’oreille fine. Celui qui a volé le collier de la comtesse Volgoff vous indique, avec autant de cynisme que d’ironie, que le collier se trouvera, ce soir, sur l’un des invitées de la marquise de Paradèvre... Voulez-vous me permettre d’assister à cette soirée ? J’ai un habit très convenable.

 » — Vous ? Mais vous n’y pensez pas ! bougonna Léonard. Vous êtes un gosse. Du reste, même si je disposais d’un de mes collaborateurs, je ne l’enverrais pas chez la marquise de Paradèvre. Voilà trois fois, entendez-vous, trois fois que le voleur, ou plutôt le chef de bande inconnu, se fiche de moi en me signalant qu’à telle heure le collier sera ici ou là. C’est malin ! Comment voulez-vous qu’on le déniche, ce collier ? Vous pensez bien que celui ou celle qui le détient ne va pas l’exhiber !

 » — Évidemment... Mais voudriez-vous quand même me décrire l’objet ?

 » — Cent quatre-vingts perles. Trois rangs.

 » — Merci. Peut-on téléphoner, cette nuit ?

 » — Naturellement, dit Léonard, en haussant les épaules. Mais si, comme j’en ai la certitude, vous provoquez quelque fâcheuse histoire, je vous en prié, hein ! N’y mêlez pas l’agence Léonard. Pas un mot de moi !

×××

 » À deux heures du matin, Léonard se livrait à cette colère furibonde dont je vous ai parlé en commençant. Tout ce qu’il avait pu craindre se produisait avec une ampleur qu’il n’eût jamais soupçonnée.

 » L’ingénu avait remarqué, chez la marquise de Paradèvre, une vieille coquette qui portait un collier d’énormes perles, sur trois rangs. Usant de son aimable jeunesse, il avait réussi à capter sa confiance, et, sous prétexte de la conduire au dancing, il l’avait amenée chez Léonard L’indignation de cette dame était indescriptible. Quant à Léonard, tout en s’excusant auprès d’elle jusqu’à lui parler de dédommagement, il invectivait de la belle manière l’infortuné greluchon.

 » — Ah ! je comprends que vous l’ayez remarqué, ce collier ! Il est assez visible, en effet ! Et ce qui crève les yeux aussi, c’est que les perles sont fausses. Madame ne m’en voudra pas, mais elles sont fausses, archi-fausses ! Vous êtes un idiot, mon pauvre garçon !

 » — Je le sais bien, qu’elles sont fausses, lui répondit le petit d’une voix suave. Les vraies sont dedans. On les entend remuer en approchant l’oreille, comme madame, en dansant m’a permis de le faire.

 » Et c’était vrai. Les perles de la comtesse Volgoff avaient été fort habilement cachées dans de grossières imitations. Pouvait-on inventer meilleure cachette ?

— Certes, non, dis-je à Jérôme. Mais vous me disiez, mon cher divisionnaire, que vous aviez vu la colère de Léonard. Étiez-vous donc présent ?

— Et comment fit-il. Le petit jeune homme, c’était moi.

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