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Maurice Renard : Le vieux pistolet

vendredi 30 octobre 2020, par Denis Blaizot

Cette nouvelle enquête du commissaire Jérôme est parue le 07 juillet 1934 1934 dans Le Matin [1].

Là, c’est indéniable ; nous avons affaire à une enquête policière puisque notre héros et notre narrateur sont appelés sur la scène d’une tentative de meurtre, mais... Lisez donc cette nouvelle assez courte, comme toutes celles de la série, plutôt que d’attendre que je vous en révèle plus. ;-)

C’était un vendredi 13. J’ai les meilleures raisons pour m’en souvenir.

Le commissaire Jérôme et moi, nous arrivâmes au 96 de la rue de Ponthieu dix minutes après le coup de téléphone de M. Fernandez, vers 9 heures et demie du matin. Un taxi s’arrêta devant notre voiture, et M. Fernandez en descendit comme nous mettions, nous aussi, le pied sur le trottoir.

– Eh bien ? lui dit Jérôme. De quoi s’agit-il ?

– Excusez-moi d’avoir été si bref au téléphone, répondit l’autre. Mais l’essentiel était d’arriver ici le plus vite possible.

Il nous poussait dans l’entrée de la maison. Son visage basané exprimait l’inquiétude.

M. Fernandez n’était pas, à proprement parler, un familier de la police judiciaire, mais nous avions affaire à lui de loin en loin. On peut le considérer comme une sorte d’agent de liaison entre nous, d’une part, et la colonie espagnole de Paris, d’autre part. C’était un brave hidalgo plein de cœur, assoiffé de dévouement et d’activité, supérieurement renseigné sur tous les faits intéressant son pays et ses compatriotes, à qui il rendait beaucoup de services ainsi qu’à nous-mêmes.

Son coup de téléphone, en effet, avait été des plus brefs : « Monsieur Jérôme, je vous en prie, allez de toute urgence 96 rue de Ponthieu. Je vous y rejoins. C’est là qu’habite le colonel d’Hérouat. Je vous expliquerai. »

Il nous expliqua, en montant l’escalier car il n’y avait pas d’ascenseur. La concierge nous accompagnait, sur l’invitation de Jérôme.

– C’est au troisième étage. Voici la chose en quelques mots, dit rapidement M. Fernandez. D’Hérouat colonel de cavalerie en retraite. Gentilhomme assez original. Veuf d’une Espagnole, fille du marquis d’Almajeda. Ne fait plus rien, sinon collectionner de vieilles armes et dessiner parfois, pour des journaux humoristiques, des caricatures signées « Japhët ». Faisait partie de la maison militaire de l’Élysée, il y a une quinzaine d’années. C’est à cette époque qu’il a connu un certain Carlos Patiliado, alors attaché à l’ambassade d’Espagne, bretteur, spadassin, qui, depuis, a mal tourné, est devenu un aventurier peu recommandable, dangereux, l’ornement des tripots de Madrid.

Nous traversions le palier du premier étage. M. Fernandez, qui précédait, continua :

– Le colonel d’Hérouat n’a pas de pire ennemi que Carlos. Je le sais sans avoir jamais pu remonter à l’origine de leur haine. Une histoire de femme, je suppose. Or, une feuille satirique, répandue dans le monde entier, a publié dernièrement, de « Japhet », une charge cruelle où tous ceux qui connaissent Carlos ne pouvaient pas ne pas le reconnaître.

Nous accédions au deuxième étage.

– Ce matin, poursuivit M. Fernandez, j’ai appris que Carlos était arrivé cette nuit à Paris, où il n’était jamais revenu depuis l’époque de l’ambassade. Alors j’ai tout compris. J’ai sauté sur le téléphone. Le colonel d’Hérouat m’a répondu lui-même, très gaiement. Je lui ai dit :

– Carlos est ici, mon colonel. J’ai la certitude qu’il n’est venu qu’à votre intention. Gardez-vous !

– Bah ! Bah ! Je ne le crains pas. Je sais encore me servir d’une arme, Fernandez ! Il tire bien l’épée ; moi aussi ;et, au pistolet, je suis de première force.

– Mais, mon colonel, Carlos a cessé d’être un homme du monde. C’est un bandit, maintenant, Il est capable de s’introduire chez vous clandestinement, ou de vous guetter au détour d’une rue. Je vous en supplie, condamnez votre porte, et, quand vous sortirez, ayez l’œil.

– Pour aujourd’hui, dit-il en riant, vous n’avez rien à craindre sur ce dernier point. Je ne sortirai pas. Je ne sors, les vendredis 13, que s’il le faut absolument. Je suis devenu superstitieux, en vieillissant.

– Faites attention tout de même, mon colonel. Prévenez vos gens qu’ils surveillent...

– Je suis seul. J’ai donné congé à la cuisinière et au valet de chambre, qui marient un de leurs parents. Je ferai ma popote moi-même. Ça m’amuse beaucoup.

– N’ouvrez à personne, insistai-je, sauf à moi. J’irai vous voir cet après-midi.

– Vous me ferez plaisir, mais je vous répète que Carlos ne m’impressionne pas. Je suis solide, vous savez, tout quinquagénaire que me voilà. Jamais je ne me suis si bien porté.

À ce moment, j’ai entendu par le téléphone un bruit sourd, et une exclamation étouffée. J’ai demandé : « Qu’est-ce qu’il y a, mon colonel ? » D’Hérouat ne m’a pas répondu. Silence complet. J’ai insisté ; rien. C’est alors que je vous ai téléphoné. Un malheur est arrivé, monsieur Jérôme, j’en suis sûr.

M. Fernandez, depuis un moment, sonnait à la porte du colonel d’Hérouat. Personne ne venait. Et la concierge n’avait pas de passe-partout.

D’un coup d’épaule, je poussai les vantaux, qui se disjoignirent. Nous nous trouvâmes dans une galerie. Des vitrines, remplies de fusils, de sabres, d’épées, garnissaient un mur ;l’une d’elles était ouverte. Le mobilier, ultra-moderne, était composé de sièges et de tables en tubes nickelés. Un bow-window éclairait le lieu, et là gisait le colonel d’Hérouat étendu sur le ventre, vêtu d’une robe de chambre. Une lame d’épée lui sortait du dos, toute sanglante. Dans sa chute, le malheureux avait entraîné l’appareil téléphonique. Son bras droit se tendait en avant, comme pour saisir quelque chose qui semblait bien être un pistolet placé sur un guéridon.

La concierge s’exclamait. Nous relevâmes le colonel. Il respirait encore. L’épée – une vieille épée du temps de Louis XIII – était enfoncée jusqu’à la garde. M. Fernandez téléphona immédiatement à un docteur. Et nous commençâmes & raisonner.

Il semblait évident que M. d’Hérouat, pendant qu’il causait avec M. Femandez, avait été surpris par l’apparition soudaine de son ennemi ; qu’il s’était précipité vers le pistolet, mais que l’assaillant ne lui avait pas laissé le temps de s’en emparer. Armé de cette épée archaïque, le spadassin avait embroché furieusement sa victime, qui s’était écroulée. Ensuite, Carlos avait dû sortir tranquillement. La concierge reconnut que beaucoup d’entrants et de sortants échappaient à sa surveillance.

Jérôme considérait le pistolet.

– Le colonel, dit-il, ne pouvait se servir de cette arme que comme d’un casse-tête. Voyez c’est un antique pistolet d’arçon, à crosse de bois, et il n’est pas chargé. Mais, devant une agression fulgurante, le colonel n’avait pas le choix.

Cependant le commissaire restait pensif, caressait machinalement la crosse arrondie, et ses regards faisaient le tour de la galerie.

Je le vis tout à coup sourire et prendre, une seconde, cette expression de surprise et d’amusement qui dénote en tout chercheur l’éclosion d’une singulière hypothèse.

– Que diriez-vous de ceci ? me dit-il. Le colonel, appelé au téléphone par M. Fernandez vient à l’appareil sans lâcher l’épée qu’il se plaît à examiner, et s’embroche lui-même en tombant ?... Car enfin, je ne vois pas du tout comment ce Carlos serait entré ici

– Mais, chef, tout révèle que M. d’Hérouat s’est précipité vers le pistolet...

– D’accord. Seulement, ce n’était peut-être pas comme une arme qu’il considérait le pistolet. Ce n’était pas pour se défendre qu’il souhaitait l’atteindre. Je veux dire pour se défendre contre une agression humaine...

Ces paroles extraordinaires me firent une impression désagréable.

– Contre quoi, contre qui, alors ? questionna M. Fernandez en écarquillant les yeux.

Il lui fut répondu :

– M. d’Hérouat vous a dit : « Je ne me suis jamais si bien porté. » Ce fut sa dernière phrase. Or, il était superstitieux. Il redoutait les vendredis 13, ce qui indique qu’il ne passait jamais sous une échelle, qu’il évitait d’allumer trois lumières, de répandre du sel, etc. Donc, ayant dit étourdiment : « Je ne me suis jamais si bien porté », il a été saisi, aussitôt, du désir de conjurer le sort, de toucher du bois au plus vite, – du bois rond autant que possible. Mais dans ce logis, regardez, tout est métallique. Seul, presque à portée de la main du colonel : le pistolet à crosse de bois rond. Une aubaine ! Notre homme s’élance heurte ce tabouret ou s’embarrasse dans sa robe de chambre et tombe sur l’épée qu’il tient la pointe en l’air !

– Magnifique sujet de roman policier ! dit M. Fernandez en hochant la tête. Mais, si le colonel succombe à sa blessure, nous ne saurons jamais le fin mot. Je crois que nous feriez bien d’arrêter Carlos Patiliado. Mon secrétaire, Luis, doit me téléphoner ici dans le cas où il aurait appris quelque chose le concernant... Tenez cette sonnerie... C’est peut-être Luis...

C’était bien le secrétaire de M. Fernandez. Il l’avertissait que Carlos Patiliado n’avait fait que traverser Paris, pour prendre, à 23 heures, le train de Berlin.

J’ajoute que, par bonheur, le colonel d’Hérouat survécut ; qu’il confirma de point en point la curieuse supposition du commissaire Jérôme, et que, depuis cette sévère mésaventure, il se méfie plus que jamais des vendredis 13.

Maurice Renard Maurice Renard


[1vomme toutes les autres.