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Maurice Renard : Le mort d’Auteuil

jeudi 29 octobre 2020, par Denis Blaizot

Cette nouvelle policière est parue le 10 mars 1934 1934 dans Le Matin. Et là, pas de doute ! Jérôme et son subordonné arrivent sur les lieux du crimes pour faire les premières constatations. Et notre héros étant celui qu’il est, résout l’affaire en deux temps, trois mouvements. Bref ! Une petit nouvelle bien sympathique dont certains regretteront toutefois qu’elle n’est pas était plus développée.

L’auto s’arrêta et nous en descendîmes, Jérôme et moi. Il était onze heures et demie du matin. Le commissaire de police nous attendait devant la grille d’un jardin bien tenu, entourant une vaste maison construite dans le style normand rustique.

– Un suicide banal, dit le commissaire. Toutefois, on n’a touché à rien, comme de juste.

Nous étions dans le quartier le plus paisible d’Auteuil. Jérôme embrassa d’un coup d’œil circulaire la rue tranquille, l’aimable habitation, et franchit le seuil du jardin. Le commissaire le renseigna en marchant

– Il s’agit d’un M. André Leherchelier. 40 ans, rentier, marié et domicilié ici depuis dix ans. Pas d’enfant. C’est Mme Leherchelier qui m’a averti, par téléphone. Le docteur est encore là.

Un valet de chambre consterné nous ouvrit la porte du vestibule.

– Montons, continuait le commissaire. C’est au premier.

Des tapis étouffaient nos pas. Nous entrâmes silencieusement dans la silencieuse chambre du mort. Là se tenaient le docteur, une servante et Mme Leherchelier, qu’il nous fut facile d’identifier. Agenouillée, prostrée, elle se releva et nous montra un visage défait. Représentez-vous une petite femme blonde, aux traits accentués.

Le défunt était couché dans son lit – un lit de milieu. On l’y voyait étendu, le buste soulevé par les oreillers, la tempe trouée, la main droite tenant encore le revolver dont il s’était servi pour mettre fin à ses jours. Cette main, avec l’arme, reposait sur une enveloppe de papier blanc, cachetée d’un sceau de cire rouge. Une lettre dépliée était à côté. Le docteur dit à mon chef :

– La mort a été instantanée. Je n’ai pu que constater le décès, et je n’ai rien dérangé pour cela. Comment les choses se sont-elles passées, madame ? demanda Jérôme, doucement.

Mme Leherchelier lui fit à peu près le récit suivant, dont je retranche les redites, les reprises et les inévitables superfluités qui allongent toujours une déposition de cette nature, même quand elle est faite – et c’était le cas – par une personne certainement fort intelligente et qui s’applique à être concise.

– Depuis deux jours, dit-elle, mon mari, souffrant de la grippe, gardait le lit. Ce matin, un peu avant 10 heures, je suis descendue, comme d’habitude, au sous-sol où nos trois domestiques vaquaient à leurs occupations. Pendant que je remplissais ainsi mes devoirs de ménagère, le facteur apporta le deuxième courrier de la matinée : une seule lettre, cachetée de rouge et adressée à mon mari. Je pris cette lettre des mains du valet de chambre et je la montai moi-même à mon cher malade, sans m’occuper le moins du monde de ce qu’elle pouvait contenir. C’est machinalement que je regardai le cachet de cire rouge, dont les initiales R. L. n’éveillaient en moi aucun souvenir ni aucune curiosité.

 » Je ne restai qu’un moment avec mon mari, dans la chambre où nous sommes. J’avais à écrire et je me retirai chez moi, c’est-à-dire dans la chambre voisine. À peine m’étais-je installée à mon bureau que j’entendis une détonation. J’accourus et je découvris le spectacle que vous voyez vous-même en ce moment. Une épouvante, une horreur inexprimables me saisirent. Je compris sur-le-champ que mon mari était mort. Je sonnai les domestiques, j’appelai...

– Madame poussait des cris affreux ! gémit la bonne. La cuisinière, le valet de chambre et moi, nous avons monté les escaliers quatre à quatre. Monsieur ne respirait plus et son cœur s’était arrêté...

– Enfin, insista Jérôme, rien d’essentiel n’a été touché ici ?

– Non, rien, répondit Mme Leherchelier dans la fièvre de son bouleversement. Rien excepté la lettre. Je n’ai pu me retenir d’en prendre connaissance car c’était assurément après l’avoir lue que mon mari avait pris le revolver dans le tiroir de sa table de nuit et qu’il s’était tué... Cette lettre, oh ! cette lettre m’a causé la plus violente surprise qu’on puisse imaginer !...

Jérôme cueillit le papier sur la courte-pointe jaune du lit mortuaire. Il lut. Mme Leherchelier, cependant, disait d’une voix sourde :

– J’ignorais que mon mari eût une liaison. Et maintenant encore, je me demande quelle est cette femme, puisque la lettre n’est pas signée... « Adieu pour toujours, mon adoré ! Nous ne devons plus nous revoir ! » Rien de plus ! Et une écriture que je ne connais pas !... Monsieur, j’en reste stupéfaite, anéantie. Lui, mon André, en aimer une autre ! L’aimer au point de se tuer parce qu’elle lui dit adieu !

Jérôme réfléchissait. Il se tenait debout au chevet du mort, à le considérer. Il se pencha, pour examiner de tout près l’ensemble formé par l’enveloppe, le revolver et la main blême qui serrait l’arme.

– Peut-on me garantir absolument, dit-il, que cette main n’a pas été déplacée ?

– En tout, cas, fit le docteur, pas de mon fait.

– Ni du mien, affirma Mme Leherchelier, tout interloquée de la question.

– Personne n’y a touché, déclara la servante que Jérôme interrogeait du regard.

– Donc, reprit-il en s’adressant au médecin, cette main s’est abattue, là où elle est, sitôt le coup parti ? C’est votre sentiment, docteur ?

– Oui. La position du corps est telle que le bras, abandonné à lui-même, s’est affaissé comme cela immédiatement. Du reste, Mme Leherchelier est accourue aussitôt après avoir entendu le coup de feu, et déjà plus rien ne bougeait n’est-ce pas, madame ?

Jérôme fit un geste assez brusque, pour couper court à toute digression.

– Selon vous, docteur, combien de temps fut nécessaire à cette main morte pour tomber sur ce drap, sur cette enveloppe, après avoir pressé la gâchette de l’arme ?

– Une ou deux secondes au maximum ; beaucoup moins de temps, bien entendu, qu’il n’en fallut à madame pour parvenir à l’entrée de cette chambre...

Mon chef, l’arrêtant de nouveau, marqua cette fois plus vigoureusement son impatience.

– Tout cela serait parfait, dit- il, si j’étais certain que M. Leherchelier s’est suicidé.

– Quoi s’écria Mme Leherchelier. Et comment donc expliquez-vous la mort, quand il est si simple, si logique de l’attribuer à la réception de cette lettre ? Un accident ? c’est invraisemblable, insensé. Un crime ? J’atteste, moi, qu’il n’y avait personne à cet étage, sinon mon mari et moi-même !

Alors, Jérôme nous dit :

– Veuillez, tous, constater et noter la position du revolver sur l’enveloppe. Le canon de l’arme est appuyé sur le cachet de cire, n’est-il pas vrai ? Bien. Maintenant, j’enlève le revolver et je prends l’enveloppe. Vérifiez : le cachet est intact.

– Oh ! objecta le docteur le choc de l’arme contre le cachet a pu se produire assez doucement pour que la cire ne fût même pas fendillée...

Jérôme, sans l’écouter, ouvrit la fenêtre. A notre grande stupéfaction, il tira un coup de revolver dans la direction d’une pelouse... Mais, cela fait, il déposa tout de suite le canon du revolver sur le cachet rouge.

L’acier, échauffé par la déflagration, fondit légèrement la cire, et l’empreinte du canon s’y creusa.

– Voilà ce qu’il fallait démontrer, conclut le policier. Quand le revolver a été placé sur l’enveloppe, il n’était déjà plus assez chaud pour faire fondre, si peu que ce fût, le cachet. Donc, ce n’est pas la main retombante du mort qui l’a placé ainsi. Donc, c’est une autre main – celle de quelqu’un qui avait intérêt à faire de la mise en scène. Quelle mise en scène ? L’arrangement de suicide que nous avons sous les yeux. Un accident étant impossible, c’est donc qu’un crime a été commis. Par qui ? Par la seule personne présente à l’étage et qui ne fût pas M. Leherchelier lui-même.

Mme Leherchelier, livide, tremblait de tout le corps.

– Je suppose, poursuivit Jérôme, que votre mari n’a même pas ouvert cette lettre – cette lettre que vous avez probablement fait écrire et expédier par un complice, de sorte qu’elle parvint ici au deuxième courrier, à l’heure où, chaque jour, les domestiques sont occupés au sous-sol. Votre plan était ingénieux. Une faute d’exécution, une étourderie l’a fait échouer. Ne le regrettez pas trop. À tout prendre, cette lettre était mystérieuse. Nous en aurions recherché l’auteur. Je crois que ma petite démonstration physique vous a épargné de longs interrogatoires pénibles, et qu’elle n’a que hâté l’heure de la justice.

Maurice Renard Maurice Renard