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Camille Debans : Graour le Monstre

mercredi 5 février 2025, par Denis Blaizot

Graour le monstre a été publié dans Le journal des voyages et des aventures de terre et de mer, N°344 — 2e série, le 5 juillet 1903 1903 .

Ce cours roman de Camille Debans Camille Debans Camille Debans, né Caudéran le 10 mai 1832 et décédé à Nice le 14 février 1919. n’a semble-t-il jamais été pub lié en volume.

Je vous propose de le découvrir en livre numérique :

Le texte qui suit en est l’introduction.

BRUCOLAQUES ET VAMPIRES

Une des superstitions les plus impressionnantes est sans contredit la croyance à cette catégorie de revenants que les Grecs du Moyen Âge ont dénommés Brucolaques et que dans l’Ouest de l’Europe, principalement en France, on appelle vampires.

En Illyrie, en Grèce, en Hongrie, en Serbie, en Roumanie, en Bulgarie, seul le mot Brucolaque est couramment employé.

On ne saurait peindre l’excès de terreur qu’il suscite. Jugez donc : un homme – ou une femme – vient de mourir ; on l’enterre. Bientôt le bruit se répand qu’il sort nuitamment de son tombeau et qu’il va dans les habitations isolées sucer le sang des vivants, surtout celui des jeunes filles et des jeunes hommes. En réalité, il ne serait pas tout à fait mort.

Son cœur, dit-on, palpite encore et il s’efforce de reconquérir la vie en se gorgeant de ce sang qui lui fait battre les artères.

Aux fanatiques pour qui cette horreur est article de foi, on entend dire que le brucolaque boit tant de sang humain en une seule nuit, qu’au moment de réintégrer son cercueil il transsude des gouttelettes rouges par tous les pores et qu’il en a la bouche effroyablement polluée.

Cela étant accepté, survienne une de ces épidémies encore non classées, contre lesquelles la médecine est provisoirement désarmée, le malheureux qui y succombe passe, aux yeux des paysans épouvantés, pour avoir été tué par un vampire. Si quelque belle fille vient à dépérir de langueur, c’est le brucolaque qui lui a volé son sang. Tout individu mourant seul dans un champ, tout trépassé trouvé expirant dans un coin plus ou moins sinistre, aux abords d’un cimetière par exemple, sont sans nul doute les victimes de ces fantômes sanguinaires.

Et il ne ferait pas bon aller prétendre devant une foule de campagnards serbes que les vampires sont les produits d’imaginations malades ou par trop grossières.

Au surplus, on ne saurait dédaigner certains faits très troublants qui, dans vingt pays différents, semblent destinés non seu- lement à enraciner davantage les superstitions locales, mais à souffleter insolemment la superbe des voyageurs qui, n’y comprenant rien, sont forcés, s’ils sont de bonne foi, de les enregistrer sans explications.

Charles Nodier Charles Nodier Né à Besançon, le 29 avril 1780.

Poète, romancier, bibliophile, grammairien, il s’occupa aussi d’entomologie. À ses débuts dans les lettres, il publia après le 18 Brumaire une ode violente, la Napoléone, qui lui valut une incarcération de plusieurs mois à Sainte-Pélagie et dans diverses autres prisons ; il fut ensuite exilé à Besançon. Accusé de complot, il fut arrêté une seconde fois et, délivré par des paysans, il se cacha dans les montagnes du Jura. Rédacteur au Journal des Débats en 1814, il fut nommé conservateur à la Bibliothèque de l’Arsenal où son salon devint le centre d’une société littéraire et où il accueillit les premiers romantiques en 1823. Bien qu’il eût attaqué l’Académie en 1807 et à diverses occasions, il s’y présenta à plusieurs reprises ; battu en 1824, puis en 1833 par Thiers, il fut élu le 24 octobre 1833 en remplacement de Jean-Louis Laya et reçu par Jouy le 26 décembre 1833 ; il fit partie de la Commission du Dictionnaire, soutint Victor Hugo et vota pour lui ; il fut également un partisan de la candidature d’Alexandre Dumas père.

Mort le 27 janvier 1844.
, qui habita l’Illyrie pendant cinq ans sous les gouvernements de Junot et de Fouché, parle de morts inexplicables qui font frémir, dont il a été le témoin et qu’on attribuait autour de lui aux vampires. Il en fut tellement frappé qu’à deux reprises, dans le livre et au théâtre, il mit en scène les brucolaques.

Et Prosper Mérimée ! Celui-là passerait difficilement pour un parangon de crédulité niaise. Lui aussi a vu les choses de près, lui aussi narre des histoires de vampires dont il lui est impossible de détruire l’apparente réalité. Il a vu. Il a été stupéfait. Il raconte. Rien de plus, mais c’est singulièrement étonnant sous une telle plume.

***

Le brucolaque joue donc un rôle énorme dans l’existence des peuples massés principalement sur les bords du Danube, du beau Danube bleu, qui devient alors le lugubre Danube rouge. On l’accuse de tout, même des méfaits les plus comiques.

Ainsi, quand arrive une éclipse de lune, pour les montagnards des Karpathes de Roumanie, ce sont les vampires qui dévorent l’astre des nuits. Alors tous les hommes du pays se rassemblent, pleins de colère et de frayeur.

Peuvent-ils laisser ces horribles buveurs de sang manger la lune ? Non. C’est pourquoi ils déchargent leurs fusils en l’air pendant toute la durée du phénomène et sautent de plaisir d’avoir délivré la chaste Phœbé, quand l’éclipse est finie.

N’est-il pas singulier de trouver en Europe, à deux pas de centres civilisés comme Bucarest, une croyance semblable à celle des Chinois qui, on le sait, font, eux aussi, un effroyable tapage avec des chaudrons, des gongs et autres engins de vacarme, pour chasser les méchants génies acharnés à détruire la cousine du soleil !

Une question doit être sur les lèvres du lecteur, comme elle se présenta sur les nôtres le jour où le plus aimable des Roumains voulut bien nous initier à ces singuliers mystères : comment, après le désagrément de mourir, un pauvre diable a-t-il celui de devenir brucolaque ? Car enfin tous les trépassés n’ont pas la redoutable faculté de découcher, au grand dam des vivants !

Voici :

Primitivement, étaient seuls brucolaques les individus qui mouraient excommuniés pour cause de magie. Donc sorciers, magiciens, loups garous, etc., avaient de grandes chances d’être brucolaques immédiatement après leur décès. D’ailleurs le mot Brukolakas fut inventé pour eux par les Grecs modernes.

Plus tard on soupçonna les gens coupables de quelques autres crimes de faire aussi le cimetière buissonnier. Enfin, cela s’étendit à des infortunés auxquels on n’avait rien à reprocher personnellement. En Roumanie, par exemple, un mort est mal vu quand, le jour de ses obsèques, ses parents lésinent sur les aumônes en usage.

Voilà un méfait dont très évidemment on ne peut rendre responsable l’infortuné. N’importe ! Il a vingt chances contre une de devenir vampire.

Nous employons à dessein ce dernier mot parce que brucolaque ne s’appliqua d’abord qu’aux excommuniés, et s’il sert aujourd’hui à désigner généralement les voleurs de vies, c’est parce qu’il s’est répandu plus facilement que le mot vampire (qui pourtant est courant en Hongrie), pour les cas où l’excommunication n’a rien à voir.

***

En ce qui concerne la fabrique de monstres et de phénomènes à laquelle nous faisons allusion dans Graour, c’est en Serbie qu’elle a été découverte récemment.

Des savants, des savants véritables, mais sans conscience, y pratiquaient des opérations et des manœuvres dont il nous serait impossible de donner un aperçu parce que, en premier lieu, nous ne saurions laisser entrevoir les odieuses machinations de spéculateurs qui eux-mêmes étaient de véritables monstres, et ensuite parce que le silence ayant été fait promptement sur ce cas abominable, il serait téméraire d’avancer sur cette matière des faits difficiles à prouver. La fabrique a existé, voilà qui est certain. Elle existe peut-être encore. C’est tout ce que nous pouvons affirmer.

C. D.