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Rider Haggard : She 21

mardi 22 décembre 2020, par Denis Blaizot


épisode précédent

Ce texte a été publié le 6 mars 1920 1920 dans l’Excelsior. Et vous pouvez le retrouver aujourd’hui sur Gallica.
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SHE (ELLE) 21

Roman de M. RIDER HAGGARD

XIV (Suite)

J’avais recouvré à peu près mon sang-froid et je lui exposai de mon mieux les doctrines du christianisme, auxquelles elle ne parut prêter qu’une médiocre attention, sauf en ce qui concernait l’enfer et le paradis. J’ajoutai que, parmi ces concitoyens les Arabes, un autre prophète, Mahomet, avait prêché une nouvelle foi qui comptait maintenant plusieurs millions d’adhérents.

— Ah ! dit-elle, deux religions nouvelles ! J’en ai tant vu déjà de mon temps, et sans doute qu’il y en a eu bien d’autres depuis que je suis ensevelie dans ces grottes de Kôr ! Les religions naissent et les religions passent, les civilisations naissent et passent, et il n’y a que le monde et la nature humaine qui puissent durer ! Ah ! si l’homme pouvait voir que l’espérance, est en lui et non en dehors de lui, et qu’il doit travailler à son propre salut ! Pourquoi ne marche-t-il pas la tête droite, au lieu de se prosterner devant l’image de quelque dieu inconnu ?

Je songeai à part moi que ce raisonnement ressemblait singulièrement à ceux que j’ai entendus souvent au dix-neuvième siècle et en d’autres endroits que les cavernes de Kôr. Ces principes ne sont nullement les miens ; mais je ne me souciais guère d’entamer une discussion avec une femme surnaturelle qui, outre son expérience de deux mille années, possédait tous les secrets de la nature ! Je crus donc préférable de garder le silence.

— Eh bien, mon cher Holly, dit Ayesha, tu es donc déjà fatigué de moi, que tu demeures silencieux ! Homme sans foi ! il y a une demi-heure à peine tu te prosternais à mes pieds, me jurant que tu m’aimais ! Et, maintenant, je veux aller voir ce jeune homme que Billali appelle le Lion, et qui est si malade. La fièvre a sans doute suivi son cours, et, s’il est sur le point de mourir, je lui rendrai la vie ! Ne crains rien, Holly, je n’userai pas de magie ! Ne t’ai-je pas dit que la magie n’était qu’un vain mot, et qu’il ne s’agissait que d’utiliser les forces de la nature ? Pars maintenant, et je te rejoindrai quand j’aurai préparé la drogue.

XV

Je la quittai donc et trouvai Job et Ustane en proie à un violent désespoir, déclarant que Léo était à l’agonie, et qu’ils m’avaient cherché partout. Je me précipitai vers le lit : le malade respirait péniblement, et de temps en temps un frisson secouait tout son être. Je savais assez de médecine pour voir que dans une heure, peut-être dans cinq minutes, il rendrait le dernier soupir. Combien je maudissais mon égoïsme et la folie qui m’avait retenu auprès d’Ayesha, tandis que mon cher enfant se mourait ! Hélas ! combien aisément les meilleurs d’entre nous sont entraînés au mal par l’éclat des yeux d’une femme ! Quel misérable j’étais ! Oui, en vérité, j’avais presque oublié Léo, qui, depuis vingt ans, avait été mon plus cher compagnon, presque un autre moi-même ! Et, maintenant, peut-être était-il trop tard !

Je me tordis les mains de désespoir, et promenai mes regards autour de moi : Ustane était assise près du lit, et le découragement se peignait sur son visage ; quant à Job, il pleurait comme un veau et se tenait dans un coin ; voyant que mes yeux étaient fixés sur lui, il sortit pour donner libre cours à son chagrin. Il n’y avait plus évidemment à espérer qu’en Ayesha ; elle seule pouvait sauver Léo, à moins qu’elle n’eût menti, ce que je ne pouvais croire... Je me disposais à aller implorer son secours, quand Job rentra précipitamment dans la chambre, les cheveux dressés sur la tête :

— Ah, ciel ! monsieur, murmura-t-il avec effroi, voilà un cadavre qui s’avance dans le couloir !

Assez étonné tout d’abord, je finis par deviner qu’il avait sans doute vu Ayesha, revêtue de son sinistre costume, et que, trompé par sa démarche légère, il l’avait prise pour un spectre... En effet, au même moment, Ayesha entrait dans la grotte. À peine Job l’eut-il aperçue, qu’il s’écria :

— Le voilà !

Et, se réfugiant dans un coin, il cacha sa figure contre la muraille. Ustane, reconnaissant sa redoutable souveraine, se jeta la face contre terre.

— Tu viens à propos, Ayesha, dis-je, car mon enfant va mourir.

— Oh ! répondit-elle doucement, pourvu qu’il ne soit pas mort, peu importe, car je puis le rappeler à la vie, mon cher Holly. Cet homme est-il ton serviteur, et est-ce ainsi que tes serviteurs accueillent les étrangers ?

— Il a peur de ton vêtement, qui ressemble à un linceul, répondis-je.

Elle se mit à rire.

— Et la jeune fille ? Ah ! je vois maintenant. C’est celle dont tu m’as parlé. Eh bien ! ordonne-leur à tous deux de nous quitter, et nous verrons à guérir « le Lion ». Je n’aime pas que les subalternes soient témoins de ma science.

Je dis alors à Ustane et à Job de nous quitter, ordre que celui-ci exécuta volontiers, car il ne pouvait réprimer sa terreur. Mais il en fut autrement pour Ustane.

— Que veut donc Ayesha ? murmura-t-elle, partagée entre sa crainte de la terrible reine et son vif désir de rester auprès de Léo. Une femme a sûrement le droit de rester auprès de son mari, quand il est mourant. Non, je ne partirai pas, monseigneur.

— Pourquoi cette femme ne veut-elle pas vous quitter, mon cher Holly ? demanda Ayesha qui était en train d’examiner quelques sculptures sur la muraille.

— Elle regrette de quitter Léo, répondis-je, ne sachant que dire.

Ayesha se tourna vers Ustane, et ne dit qu’un mot, mais ce mot suffit, car le ton sur lequel il était prononcé était plus que significatif.

— Va-t’en !

Ustane s’éloigna en rampant sur ses mains et ses genoux.

— Tu vois, Holly, dit Ayesha en souriant, il était nécessaire de donner à ces gens une leçon d’obéissance ! Et maintenant que cette fille est partie, occupons-nous du jeune malade, et elle se glissa vers le lit où reposait Léo, le visage dans l’ombre et tourné vers la muraille.

— Il a de nobles traits, dit-elle en se penchant sur lui pour regarder son visage.

Soudain, elle recula en chancelant, et poussa le cri le plus terrible, le plus infernal que j’aie jamais entendu.

— Qu’est-ce donc, Ayesha ? m’écriai-je. Est-il mort ?

Elle bondit sur moi comme une tigresse :

— Chien ! dit-elle d’une voix sifflante, Pourquoi ne m’as-tu pas prévenue ?

À suivre

RIDER HAGGARD.

(Traduit de l’anglais par M. Georges Labouchère.)