Accueil > Ebooks gratuits > Rider Haggard : She > Rider Haggard : She 34

Rider Haggard : She 34

mercredi 23 décembre 2020, par Denis Blaizot


épisode précédent

Ce texte a été publié le 19 mars 1920 1920 dans l’Excelsior. Et vous pouvez le retrouver aujourd’hui sur Gallica.
Ebooks gratuits
Des Epub et Pdf faits avec soin pour vous faire redécouvrir des œuvres anciennes tombées dans le domaine public.

SHE (ELLE) 34

Roman de M. RIDER HAGGARD

XXIV (Suite)

Quelques instants après, nous sortions de la grotte, et nous nous trouvions à l’endroit même où battait le pouls de l’Univers, où naissait la Flamme vivifiante. Impossible de peindre l’ardeur inconnue, l’énergie intense dont nous nous sentions peu à peu animés... Il me semblait que toutes les sortes de génies dont l’intelligence humaine est capable venaient de descendre en moi ! Des idées grandioses jaillissaient dans mon cerveau ; mon âme, délivrée des liens de la chair, s’envolait vers les régions célestes ; une vie nouvelle s’ouvrait devant moi, je goûtais une félicité inouïe, un autre moi se succédait à l’ancien...

Je réfléchissais aux prodigieuses sensations qui s’étaient emparées de moi, quand Ayesha prit la parole.

— Kallikratès. dit-elle, le moment solennel est arrivé. Quand la flamme va revenir, il faut que tu t’y élances. Ôte tout d’abord tes vêtements, car elle les brûlerait, quoiqu’elle ne doive te faire aucun mal. Quand le feu t’environnera, absorbe-le jusqu’au plus profond de ton cœur, et ne laisse perdre aucune étincelle de la flamme ! M’entends-tu, Kallikratès ?

— Oui, je t’entends, Ayesha, répliqua Léo ; mais, bien que je ne sois pas un poltron, je me défie de ce feu terrible ! Comment puis-je savoir si je n’y perdrai point la vie ?

 » Je le ferai néanmoins », ajouta-t-il. Ayesha réfléchit une minute, puis répondit :

— Ce n’est pas étonnant que tu hésites. Dis-moi, Kallikratès : si tu me vois rester debout au milieu des flammes et en sortir sans aucun mal, y entreras-tu aussi ?

— Oui, j’y entrerai même si elles me tuent. J’ai promis d’y entrer sur-le-champ.

— Et moi aussi, m’écriai-je.

— Tiens ! cher Holly, je croyais que tu ne voulais pas entendre parler de prolonger tes jours, dit-elle en riant.

— J’ai changé d’avis, répliquai-je. Il y a dans mon cœur quelque chose qui m’ordonne de goûter à la flamme, et de vivre éternellement !

— C’est bien, dit-elle. Tu n’es pas si fou que je croyais. Vois, je vais me baigner pour la seconde fois dans ce bain de vie ! Je voudrais, s’il est possible, ajouter encore à ma beauté et à la longueur de mes jours.

 » Mais, continua-t-elle après un court silence, j’ai un motif plus sérieux de me plonger dans la flamme. Quand j’ai éprouvé pour la première fois sa vertu, mon cœur était rongé par ma passion et ma haine pour cette Égyptienne Amenartas, et, malgré mes efforts pour m’en débarrasser, ma passion et ma haine ont dominé mon âme depuis ce triste moment jusqu’à maintenant. Mais, à présent, je n’ai que des pensées pures et vertueuses, et je voudrais qu’il en fût toujours ainsi ! Aussi, Kallikratès, vais-je me purifier une fois de plus, pour me rendre encore plus digne de toi ! Et, quand tu t’élanceras à ton tour dans les flammes, rejette loin de toi toute mauvaise pensée, et qu’une douce satisfaction s’empare de ton âme ! Donne libre essor à ton esprit, et abandonne-toi à une sainte contemplation ; oui, rêve aux baisers de ta mère, et tourne-toi vers la vision la plus sublime qui ait jamais traversé le silence de tes rêves ! Car de ce qui se passera en toi à ce moment redoutable découlera toute ton existence future !

 » Maintenant, prépare-toi, prépare-toi comme si ta dernière heure était venue, et que tu fusses sur le point d’entrer dans le royaume de-s ombres ! Prépare-toi, te dis-je. »

XXV

Il y eut ensuite un silence, durant lequel Ayesha parut rassembler ses forces pour la redoutable épreuve, tandis que nous nous tenions étroitement enlacés, sans proférer une parole.

Enfin, un faible murmure arriva jusqu’à nous, murmure qui se changea bientôt en un crépitement sinistre. Dès qu’elle l’entendit, Ayesha enleva promptement son vêtement diaphane, déboucla le serpent doré, puis, laissant retomber sa magnifique chevelure en guise de vêtement, fit glisser sa robe et, au moyen de sa ceinture, noua autour d’elle ses masses de cheveux... Elle était là devant nous, vêtue seulement de ses boucles abondantes, comme Eve dans le paradis ; et rien ne saurait peindre son charme divin !... Les flammes s’approchaient de plus en plus et, au moment où elles arrivèrent près de nous, Ayesha passa son bras d’ivoire autour du cou de Léo.

— O mon bien-aimé, mon bien-aimé, murmurait-elle, sauras-tu jamais combien je t’ai aimé ?

Et, l’embrassant sur le front avec la tendresse d’une mère, elle s’avança vers la Flamme de Vie.

Le crépitement devenait de plus en plus distinct, on aurait dit une forêt balayée par un vent furieux et renversée ensuite par la foudre le long des pentes d’une montagne ! Des rayons de lumière, avant-coureurs de la colonne de feu, traversaient les airs comme des flèches, et, soudain, la colonne elle-même apparut. Ayesha lui tendit les bras, et fut bientôt entourée de flammes qui léchaient toutes les parties de son corps. Elle soulevait le feu dans ses mains comme si c’était de l’eau, le versant sur sa tête, et ouvrant même la bouche pour l’absorber dans ses poumons ; c’était un spectacle vraiment terrible !

Au bout d’un instant, elle s’arrêta, et se tint immobile, avec un sourire céleste sur son visage, comme si elle était l’Esprit même de la Flamme !

Le feu se jouait autour de sa noire chevelure, s’y mêlant et s’y entrelaçant comme des fils de dentelle dorée ; il brillait sur sa poitrine, sur ses blanches épaules d’où la chevelure avait glissé ; il rampait le long de sa gorge divine, et semblait se mirer dans ses yeux, qui surpassaient en éclat le mystérieux élément.

O qu’elle était belle au milieu des flammes ! Maintenant, encore, mon cœur se trouble à ce souvenir, et j’aurais donné tout le restant de mes jours pour contempler une fois de plus pareil spectacle.

À suivre

RIDER HAGGARD.

(Traduit de l’anglais par M. Georges Labouchère.)