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Rider Haggard : She 13

dimanche 20 décembre 2020, par Denis Blaizot


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Ce texte a été publié le 27 février 1920 1920 dans l’Excelsior. Et vous pouvez le retrouver aujourd’hui sur Gallica.
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SHE (ELLE) 13

Roman de M. RIDER HAGGARD

VIII(Suite)

Leur chef s’avança vers Billali, le salua en plaçant sa baguette d’ivoire en travers de son front, puis posa une question que je ne pus saisir, et, Billali lui ayant répondu, le régiment tout entier fit demi-tour et se mit en marche le long des flancs de la montagne, suivi de notre caravane.

Après avoir parcouru ainsi un kilomètre environ, nous nous arrêtâmes pour la deuxième fois à l’orifice d’une grotte immense, mesurant environ soixante pieds de haut sur trente de large, et Billali descendit de sa litière, nous invitant, Job et moi, à suivre son exemple. Léo était, cela va sans dire, incapable de bouger. Quant à moi, je mis pied à terre, et nous entrâmes dans la grotte, éclairée faiblement par des lampes qui semblaient se prolonger à l’infini, comme les réverbères dans une rue déserte de Londres. Je remarquai tout d’abord que les murs étaient couverts de sculptures en bas-relief, à peu près semblables à celles des vases dont j’ai parlé plus haut — scènes d’amour, scènes de chasse, d’exécutions capitales, torture des criminels par le supplice du « pot brûlant », montrant d’où nos hôtes avaient recueilli cette charmante coutume... Entre les sculptures étaient tracés des caractères absolument inconnus pour moi ; en tout cas, ces caractères n’étaient ni grecs, ni égyptiens, et on aurait dit plutôt de l’écriture chinoise. Près de l’entrée de la grotte, les sculptures et les inscriptions étaient fort détériorées, mais à l’intérieur elles étaient souvent aussi fraîches et intactes que le jour où l’artiste les avaient terminées.

Le régiment des gardes ne dépassa point l’entrée de la grotte, où il se rangea en bataille pour nous laisser passer. À notre entrée dans le souterrain, nous fûmes reçus par un homme vêtu de blanc, qui s’inclina humblement, mais sans proférer une parole, ce qui n’était pas étonnant, car il était sourd et muet, comme je l’appris ensuite.

À vingt pieds environ de l’entrée de la grotte principale, se trouvait une autre grotte ou galerie plus petite, qui était creusée à droite et à gauche de la grande caverne. Devant la galerie de gauche se tenaient deux gardes, d’où je conclus que c’était l’entrée des appartements de la Reine. La galerie de droite était dépourvue de sentinelles, et c’est là que le muet nous fit signe de pénétrer. Après avoir fait quelques pas dans ce corridor, qui était éclairé avec des lampes, nous arrivâmes à une chambre dont l’entrée était fermée par un rideau assez semblable à un paillasson de Zanzibar. Le muet écarta ce rideau avec une profonde révérence et nous introduisit dans un appartement assez vaste, taillé dans le roc, et éclairé au moyen d’un puits taillé dans la montagne. Il y avait dans cette chambre un lit de pierre, une cruche remplie d’eau, et de magnifiques peaux de léopards, pour servir de couvertures. C’est là que nous laissâmes Léo, qui dormait encore d’un lourd sommeil, et Ustane demeura auprès de lui. Je remarquai que le muet lançait à la jeune fille un regard irrité, comme pour dire : « Qui êtes-vous, et en vertu de quel ordre venez-vous ici ? » Là-dessus, il nous introduisit dans nos chambres respectives, qui étaient tout à fait semblables à celle de Léo, et ce fut avec délice que Job et moi nous pûmes mettre des vêtements propres, car ceux que nous portions n’avaient pas été changés depuis la perte du navire.

IX

Je venais de terminer ma toilette, quand une jeune fille, muette elle aussi, entra dans ma grotte et me fit comprendre par signes que notre repas était servi, ce qui me réjouit fort, je l’avoue, car je commençais à mourir de faim. Je la suivis donc dans la pièce voisine où je trouvai Job, qui, à sa grande contrariété, y avait été introduit par une autre esclave muette. Job n’avait jamais oublié les avances que la femme indigène lui avait faites, et il redoutait toutes les filles qui s’approchaient de lui.

Ces jeunes beautés ont, disait-il, une manière de vous regarder qui n’a rien de respectable.

La nouvelle pièce était deux fois plus grande que les grottes où nous avions couché, et je vis tout de suite qu’à l’origine elle avait dû servir de réfectoire, et probablement aussi de salle d’embaumement ; car ces grottes n’étaient autres que de vastes catacombes où avaient été conservés, durant des siècles, les restes mortels de la race éteinte dont les monuments nous entouraient. De chaque côté de la pièce se trouvait une table sculptée dans le roc, dont elle avait fait primitivement partie, et cette table se trouvait juste au-dessous d’un puits destiné à laisser pénétrer l’air et la lumière. Quoique les deux tables fussent tout à fait semblables, au premier abord, je ne tardai pas à remarquer que celle de gauche avait dû servir, non aux repas, mais aux embaumements. La pierre était en effet taillée de manière à recevoir une forme humaine, et l’on pouvait distinguer aisément l’emplacement de la tête et du cou. Je n’avais d’ailleurs qu’à regarder autour de moi pour me convaincre de l’exactitude de mon hypothèse : les murailles étaient recouvertes de sculptures d’une conservation étonnante, représentant la mort, l’embaumement, les funérailles d’un vieillard à longue barbe, sans doute un roi ou un grand dignitaire du pays.

Après avoir examiné à la hâte ces monuments d’un autre âge, je me mis à table avec Job, et l’on nous servit un excellent repas composé de viande de chèvre, de lait frais et de gâteaux de froment. Je m’empressai, notre festin terminé, d’aller voir le pauvre Léo, que je trouvai en proie à un délire violent ; il proférait des injures et des menaces, et Ustane avait toutes les peines du monde à le contenir. Je lui parlai, et le son de ma voix parut l’apaiser ; il devint plus calme, et consentit à avaler une dose de quinine.

Il y avait environ une heure que j’étais assis à son chevet quand Billali entra soudain et m’annonça d’un air important que la reine avait daigné exprimer le désir de me voir, honneur, ajouta-t-il, qui était accordé à bien peu de personnes. Je crois qu’il fut tant soit peu scandalisé de la manière dont j’accueillis cette nouvelle ; le fait est que la perspective de voir quelque souveraine sauvage, à la peau noire, ne me souriait que médiocrement, surtout au milieu de mes inquiétudes pour la vie de Léo. Cependant, je me levai pour le suivre, et au même moment, j’aperçus sur le plancher un objet brillant que je ramassai. Peut-être le lecteur se rappellera-t-il qu’avec le tesson de poterie, le coffret contenait un scarabée marqué de curieux hiéroglyphes, dont le sens était : « Le fils royal du soleil ». Léo avait voulu, absolument faire monter le scarabée en une bague d’or massif, et c’était cette bague que je venais de ramasser. Il l’avait sans doute retirée durant un accès de fièvre, et l’avait laissé tomber sur le plancher. Craignant qu’elle ne fût perdue, je la glissai à mort propre petit doigt, et je suivis alors Billali, laissant Job et Ustane avec Léo.

Après avoir traversé la grotte principale, nous atteignîmes le couloir situé de l’autre côté, à l’entrée duquel les gardes se tenaient debout comme deux statues. À notre arrivée, ils s’inclinèrent profondément devant nous, puis soulevant leur lances, les placèrent au travers de leurs fronts, comme les chefs de la troupe venue à notre rencontre l’avaient fait avec leurs baguettes d’ivoire. Nous avançant entre les deux gardes, nous nous trouvâmes dans une galerie tout à fait semblable à celle qui menait à nos propres appartements, seulement ce couloir était beaucoup mieux éclairé. Quelques pas plus loin, nous rencontrâmes quatre muets — deux hommes et deux femmes — qui s’inclinèrent profondément et se placèrent, les femmes en tête, les hommes derrière nous, et la procession ainsi formée passa devant plusieurs portes tendues de rideaux comme les nôtres, et qui s’ouvraient, ainsi que je l’appris plus tard, sur des chambres occupées par des muets attachés au service de la reine. Quelques pas encore et nous arrivions à une autre porte située en face de nous et qui semblait marquer la fin du couloir. Là se tenaient deux autres gardes du corps vêtus de blanc ou plutôt de jaune, qui s’inclinèrent, eux aussi et nous introduisirent dans une vaste antichambre, où neuf ou dix femmes à chevelure blonde, jeunes et jolies pour la plupart, étaient assises sur des coussins, travaillant à une sorte de tapisserie. Ces femmes étaient également sourdes et muettes. À l’extrémité de ce vaste appartement se trouvait une autre porte tendue de lourds tapis orientaux, et là, se tenaient deux jeunes filles muettes d’une beauté éclatante, la tête inclinée sur leur poitrines et les mains croisées dans une attitude d’humble soumission. À notre approche, elles étendirent chacune un bras et ouvrirent des rideaux. Là-dessus, Billali nous offrit un étrange spectacle. Ce vénérable gentleman — car Billali est gentleman jusqu’à la moelle des os — se mit à ramper sur ses genoux et ses mains et, dans cette position peu digne, sa longue barbe traînant sur le sol, il franchit le seuil de la porte. Je le suivis en me tenant droit sur mes pieds comme d’habitude. Mais Billali se retourna et s’en aperçut :

— À genoux ! mon fils, s’écria-t-il. À genoux ! nous arrivons en présence de la reine, et si tu n’es pas humble, elle te réduira en poussière !

Je m’arrêtai, épouvanté ; le fait est que mes genoux commençaient à se dérober sous moi ; mais la réflexion vint à mon aide. Je suis Anglais, me disais-je ; pourquoi donc ramper comme un animal en présence d’une femme sauvage quelconque ? Assurément, je n’y consentirais jamais, à moins que ma vie ou mon confort en dépendissent. Je marchai donc la tête droite et avec hardiesse derrière Billali. Je me trouvai bientôt dans un autre appartement, beaucoup plus petit que l’antichambre, et dont les murs étaient tendus de somptueux rideaux à peu près semblables à ceux de la porte d’entrée, et tissés, comme je l’appris plus tard, par les muettes assises dans l’antichambre. Ça et là étaient rangés des sièges en bois d’ébène incrustés d’ivoire, et le plancher était recouvert d’autres tapisseries. Au bout de cet appartement, on apercevait une sorte de réduit, également drapé de rideaux, à travers lesquels perçaient des rayons de lumière. Excepté nous, il n’y avait personne dans la pièce.

À suivre

RIDER HAGGARD.

(Traduit de l’anglais par M. Georges Labouchère.)