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Rider Haggard : She 12

samedi 19 décembre 2020, par Denis Blaizot


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Ce texte a été publié le 26 février 1920 1920 dans l’Excelsior. Et vous pouvez le retrouver aujourd’hui sur Gallica.
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SHE (ELLE) 12

Roman de M. RIDER HAGGARD

VIII (Suite)

Quelques instants après, nous descendions dans la plaine, et j’examinai avec ravissement ses fleurs semi-tropicales et ses arbres gigantesques, qui croissaient par groupes cte trois au quatre tout au plus, et appartenaient à la variété des chênes verts. Il y avait aussi quantité de palmiers et de magnifiques fougères arborescentes auxquelles étaient suspendus des essaims d’abeilles et de papillons aux larges ailes. Au milieu de cette luxuriante végétation paraissaient toutes variétés de gibier, depuis les rhinocéros et les buffles jusqu aux élans et aux gracieuses antilopes. Le gibier était si abondant que je ne pus résister à la tentation, et, apercevant un superbe élan qui se prélassait sous un des arbres, je descendis de ma litière et m’approchai à environ quatre-vingts mètres de l’animal. Au moment où celui-ci s’apprêtait à fuir, je le visai à l’épaule, et je crois que je n’avais jamais mieux tiré, car l’élan sauta en l’air et retomba raide mort. Les porteurs ne purent s’empêcher de proférer un murmure approbateur, chose rare chez ce peuple boudeur qui ne semble jamais s’étonner de rien et quelques hommes se préparèrent à découper la victime. Quant à moi, je regagnai paisiblement ma litière, comme si j’avais eu l’habitude de tuer des élans toute ma vie, sentant que j’étais monté de plusieurs degrés dans l’estime des Arnahagger, qui regardaient le tout comme une œuvre de sorcellerie. Cependant, je n’avais, jamais vu auparavant un élan à l’état sauvage.

Billali me reçut avec enthousiasme.

— C’est magnifique, mon fils, s’êcria-t-il, magnifique ! Tu es un grand homme, et si je n’avais vu cela de mes propres yeux, je ne l’aurais jamais cru...

Après ce petit incident, il ne se passa rien de remarquable durant quelques heures. Un peu avant le coucher du soleil, nous atteignîmes la gigantesque masse volcanique que j’ai déjà décrite. Impossible de peindre son étrange grandeur, avec ses précipices vertigineux et sa couronne de nuages, tout ce que je puis dire, c’est que la majesté même de cette montagne solitaire me frappait d’épouvante. Nous gravissions péniblement les pentes ensoleillées, et bientôt nous passâmes à travers une vaste coupure pratiquée dans le roc. Cet ouvrage merveilleux avait dû employer des milliers d’ouvriers durant plusieurs années, et, à l’heure qu’il est, je ne puis m’expliquer comment on l’a exécuté sans l’aide de la poudre fulminante ou de la dynamite. C’est, et ce sera toujours, un des mystères de ce pays sauvage. Je suppose que ces coupures et les grottes immenses creusées dans le roc ont été l’œuvre maîtresse du peuple de Kôr, dont les origines se perdent dans la nuit des temps, et qu’à l’instar des monuments égyptiens, ces travaux ont été exécutés par des milliers de captifs et continués durant un nombre de siècles incalculables.

Sur ces entrefaites, nous atteignions le précipice, et nous nous trouvions à l’orifice d’un souterrain qui me rappela les tunnels creusés par nos ingénieurs des chemins de fer. De ce tunnel sortait un cours d’eau considérable. En effet, bien que j’aie oublié, je crois, de le mentionner, nous avions suivi, ce cours d’eau depuis l’endroit où commençait la coupure pratiquée dans le roc. La caravane s’arrêta à l’entrée de la grotte et, tandis que les hommes allumaient des lampes qu’ils avaient apportées avec eux, Billali m’informa poliment, mais d’un ton ferme, que la reine avait donné l’ordre de nous bander les yeux, pour nous laisser ignorer le secret des chemins traversant les entrailles de la montagne. Je me laissai faire sans résistance, mais Job, qui allait bien mieux à présent, malgré le voyage, ne trouva guère la plaisanterie de son goût, s’imaginant, je crois, que c’était un préambule au supplice du « pot brûlant ». Je le consolai pourtant en lui montrant qu’il n’y avait là ni pots, ni feu pour les chauffer. Quant au pauvre Léo, il était tombé dans une sorte de torpeur morbide, et on le laissa reposer en paix au fond de sa litière. Ustane eut, elle aussi, les yeux bandés, j’ignore pourquoi ; peut-être craignait-on qu’elle nous dévoilât les secrets de la route.

Cette opération accomplie, nous repartîmes, et je reconnus bientôt, au son des pas qui se répercutait contre les voûtes, que nous pénétrions dans les entrailles de la montagne. C’était une sensation assez désagréable, que d’être emporté ainsi au fond d’un souterrain, sans savoir où nous allions ; mais je commençais à m’habituer aux sensations pénibles, et j’étais prêt à tout subir. J’écoutai donc en silence le bruit des pas de nos porteurs, et je tâchai de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Soudain, les hommes entamèrent le chant mélancolique que j’avais entendu le soir où nous fûmes capturés sur la baleinière, et l’effet produit par ces voix était vraiment extraordinaire...

Au bout d’un instant, l’air devint excessivement lourd et épais, il me sembla même que j’allais étouffer. Cependant, la litière faisait des détours infinis, et j’essayai, mais en vain, de tracer mentalement une carte de notre parcours, dans le cas où nous voudrions nous échapper un jour par cette route. Une demi-heure environ se passa, après quoi je m’aperçus tout à coup que nous étions de nouveau en plein air ; j’en sentais la fraîcheur sur mes joues, et je pouvais voir la lumière à travers mon bandeau. Quelques minutes après, la caravane s’arrêta, et j’entendis Billali ordonner à Ustane d’ôter son bandeau et de défaire les nôtres. Sans attendre ses gracieuses attentions, je détachai le mien et regardai le paysage.

Comme je le prévoyais, nous avions traversé le précipice et nous étions arrivés maintenant de l’autre côté de la montagne. Nous nous trouvions au milieu d’un vaste entonnoir, à peu près semblable à celui où nous avions séjourné lors de notre naufrage ; je ne distinguais d’ailleurs que vaguement la ligne des collines situées en face.

Une grande partie de la plaine ainsi enclose par la nature était cultivée et entourée de murs en pierre destinés à empêcher le bétail d’entrer dans les jardins. Çà et là s’élevaient des tertres de gazon, et, à quelques milles de distance, il me sembla entrevoir des ruines colossales. Je n’eus le temps de rien observer d’autre pour le moment, car nous fûmes entourés soudain d’une foule d’Amahagger, à peu près semblables à ceux que nous avions déjà vus, et qui se pressèrent autour de nos hamacs au point de nous intercepter la lumière du jour. Puis, arrivèrent brusquement des troupes d’hommes armés, commandés par des officiers qui tenaient une baguette d’ivoire à la main. Ces hommes, aussi bien que leurs officiers, portaient une robe en outre de la peau de léopard, et formaient comme je l’appris ensuite, la garde d’honneur de la Reine.

À suivre

RIDER HAGGARD.

(Traduit de l’anglais par M. Georges Labouchère.)