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Rider Haggard : She 5

dimanche 13 décembre 2020, par Denis Blaizot


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Ce texte a été publié le 19 février 1920 1920 dans l’Excelsior. Et vous pouvez le retrouver aujourd’hui sur Gallica.
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SHE (ELLE) 5

Roman de M. RIDER HAGGARD

IV (Suite)

Et je vis avec horreur le fer se rapprocher de ma gorge...

— Nous sommes des voyageurs venus ici par hasard, répondis-je en arabe.

Et je parus être compris, car mon agresseur se retourna, et s’adressant à un homme de haute stature qui se tenait à l’arrière-plan :

— Père, dit-il, faut-il tuer ?

— Quelle est la couleur de ces hommes ? répondit une voix de basse-taille.

— Ce sont des blancs.

— Ne tuez pas, répliqua l’autre indigène. Il y a quatre Soleils. « Celle qui doit être obéie » m’a fait dire : des hommes blancs vont venir, ne les tuez pas. Faites-les donc conduire au pays de « Celle qui doit être obéie ». Amenez ces hommes, et faites apporter tout ce qu’ils ont avec eux.

— Venez, dit l’indigène, en me tirant hors du bateau, et en même temps je vis d’autres hommes agir de même à l’égard de mes compagnons.

Sur la rive était rassemblée une troupe d’environ cinquante hommes, armés de grandes lances. C’étaient des individus solidement bâtis, d’un noir peu foncé, et entièrement nus, sauf une peau de léopard qui leur ceignait les reins.

Quelques instants après, Léo et Job étaient placés à côté de moi.

— Qu’y a-t-il donc ? dit Léo en se frottant les yeux.

— Voilà une drôle d’affaire ! s’écria Job. Mohamed arriva en chancelant, suivi d’un indigène qui le menaçait de sa lance.

— Allah ! Allah ! gémissait Mohamed, protégez-moi, protégez-moi !

— Père, c’est un nègre ! dit une voix. Qu’a dit « Celle qui doit être obéie » au sujet du nègre ?

— Elle n’a rien dit ; mais ne le tuez pas. Approche-toi, mon fils.

L’indigène s’avança, et celui qu’on appelait « le Père » se pencha et murmura quelques mots.

— Oui. oui, dit l’autre, avec un ricanement sinistre.

— Les trois hommes blancs sont-ils là ? demanda son interlocuteur.

— Oui, ils sont là.

— Alors, apportez ce qu’on a préparé pour eux, et dites aux hommes de prendre tout ce qu’on peut retirer de l’objet qui flotte.

Au même moment arrivèrent des hommes portant sur leurs épaules de véritables palanquins — quatre porteurs et deux suppléants par palanquin ; on nous fit comprendre que ces litières nous étaient destinées.

— Allons, dit Léo, qui voyait toujours le beau côté des choses, c’est bien agréable de trouver quelqu’un pour nous porter, après nous être portés nous-mêmes si longtemps !

Il n’y avait du reste qu’à se soumettre, et voyant mes compagnons installés dans leur palanquin, je montai dans le mien, que je trouvai, je dois le dire, fort confortable. Il semblait fait de toile tissée avec des fibres de végétaux, et cédait à tous les mouvements du corps de la façon la plus agréable.

À peine y avais-je pris place que les porteurs partiront au trot, accompagnant leurs pas d’un chant monotone. Durant une demi-heure environ, je réfléchis à nos aventures, et je me demandai quelle figure feraient nos respectables amis de Cambridge si je me trouvais soudain transporté à leur table, leur racontant toute cette histoire...

Au milieu de ces méditations, le sommeil me gagna, et, bercé par le mouvement du palanquin, je finis par m’endormir profondément... C’était la première fois, depuis la nuit du naufrage, que je goûtais un repos réel ; aussi le Soleil était-il déjà haut à l’horizon quand je m’éveillai. Nous voyagions à raison de quatre milles par heure. Je regardai à travers les rideaux de la litière qui étaient légers comme de la mousseline, et je vis à ma grande joie que nous avions dépassé la région des marais, et que nous nous dirigions au milieu d’une plaine gazonnée vers une colline ayant la forme d’une coupe. Je jetai ensuite les yeux sur les hommes qui me portaient. C’étaient des individus solidement bâtis, hauts de plus de six pieds, et de couleur jaunâtre. Leur aspect ressemblait assez à celui des Somalis, sauf que leur chevelure n’était pas frisée et pendait en boucles épaisses sur leurs épaules. Leurs traits étaient généralement fins et distingués, et leurs dents régulièrement plantées. Mais, malgré leur beauté, je fus frappé de l’expression de froide cruauté qui se peignait sur leur visage ; je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi diabolique, et j’en étais positivement révolté.

Ce qui me frappa encore chez eux, c’est qu’ils n’avaient jamais l’air de sourire. Parfois, ils entonnaient la chanson monotone dont j’ai parlé, mais, quand ils ne chantaient pas, ils gardaient le plus profond silence, et jamais le rire ne venait égayer leur sombre figure. De quelle race pouvait bien être ce peuple ? Leur langue était un patois arabe, et pourtant ce n’étaient pas des Arabes, leur peau était trop noire, ou plutôt trop jaune. Je ne sais pourquoi, mais leur aspect me remplissait d’une folle terreur, dont j’avais honte. Tandis que je me livrais à ces réflexions, une autre litière s’approcha de la mienne. Elle contenait un vieillard vêtu d’une robe blanche, faite apparemment de toile grossière, et flottant autour de ses reins. Je crus tout, de suite le reconnaître pour l’individu de haute stature qui se tenait sur la rive, et qu’on appelait le « Père ». C’était un étrange vieillard, avec une barbe neigeuse, si longue que les bouts en pendaient pardessus les bords de la litière ; il avait un nez crochu, au-dessus duquel reluisait une paire d’yeux semblables à ceux d’un serpent. tandis que l’ensemble de son visage avait une expression grave et sardonique à la fois.

— Es-tu réveillé, étranger ? dit-il d’une voix basse et profonde.

— Certainement, mon père, répondis-je avec courtoisie, sentant que je ferais bien de me concilier ce vieux bonze.

Il caressa en souriant sa belle barbe blanche.

— De quelque pays que tu viennes, dit-il, — et ce doit être une contrée où notre langue n’est pas inconnue — je vois qu’on enseigne la courtoisie à vos enfants. Et, maintenant, pourquoi es-tu venu dans ce pays, qu’aucun pied étranger n’a foulé depuis un temps immémorial ? Toi et tes compagnons, êtes-vous fatigués de la vie ?

— Nous sommes venus à la recherche de l’inconnu, répondis-je ; nous sommes fatigués des vieilleries. Nous sommes d’une race qui ne craint pas la mort, mon vénéré père, pourvu que nous acquérions quelques connaissances nouvelles avant de mourir.

— Hum ! dit, le vieux gentleman. c’est peut-être vrai ; mais, si je ne craignais d’être impoli, je te dirais que tu mens, mon fils. Cependant, je puis t’affirmer que « Celle qui doit être obéie » satisfera ton désir.

— Qui est « Celle qui doit être obéie ? » demandai-je avec Curiosité.

Le vieillard jeta un regard sur les porteurs. puis me répondit, avec un petit sourire qui me donna le frisson :

— Assurément, mon fils, tu l’apprendras assez tôt, si c’est son bon plaisir de te voir vivant.

— Vivant ? répliquai-je. Que veut dire mon père ?

Le vieillard se contenta de rire d’un rire sinistre, et ne répondit rien.

— Quel est le nom de vos gens, mon père ? demandai-je.

— Le nom de mes gens est Amahagger (habitants des rochers).

— Et si un fils peut faire pareille question, quel est le nom de mon père ?

— Mon nom est Billali.

— Et où allons-nous, mon père ?

— Tu le verras plus tard.

Et, sur un signe de lui, ses porteurs se mirent à courir jusqu’à la litière où Job reposait, une jambe pendant de chaque côté.

Sans doute qu’ils n’obtinrent pas grand’chose de Job, car je vis ses porteurs trotter aussitôt vers la litière de Léo.

Ensuite, comme il ne se passait rien d’intéressant, je cédai à l’agréable mouvement du palanquin et m’endormis de nouveau. J’étais horriblement fatigué. En m’éveillant, je vis que nous traversions un défilé aux flancs escarpés, où poussaient de beaux arbres et des buissons en fleurs.

À suivre

RIDER HAGGARD.

(Traduit de l’anglais par M. Georges Labouchère.)