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Émile Gaboriau : Diane de Poitiers

samedi 2 décembre 2023, par Denis Blaizot

Extrait de Les cotillons célèbres, tome I, paru aux éditions E. Dentu (Paris) en 1861 1861 .

Je connais Émile Gaboriau de longue date comme étant le fondateur du roman policier. Et je sais aussi qu’il a écrit bien d’autres choses. Mais quelle ne fut pas ma surprise en découvrant aujourd’hui que les éditions La renaissance du livre allaient publier début 2024 2024 un volume signé Émile Gaboriau intitulé Diane de Poitiers. ni une, ni deux, un petit tour sur le site de la BNF me confirme ce que je pensais : cet écrivain n’a jamais publié d’ouvrage portant ce titre. Mais a-t-il écrit sur Diane de Poitiers ? Oui. Un article de 32 pages inséré dans Les cotillons célèbres, tome I. Alors comment La renaissance du livre fait pour passer de 32 à 256 pages ? Mystère.

quoi qu’il en soit, voici le texte d’Émile Gaboriau sur Diane de Poitiers.

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DIANE DE POITIERS

DUCHESSE DE VALENTINOIS

Tandis que François Ier agonisait dans une des salles du château de Rambouillet, cachés dans une pièce voisine, l’ambitieux cardinal de Lorraine et Diane de Poitiers, la maîtresse toujours aimée du Dauphin, attendaient haletants d’impatience le dernier soupir du roi-chevalier.

— Il s’en va, le galant, répétaient-ils, il s’en va.

Tout à coup une rumeur profonde et contenue s’éleva dans la chambre du malade.

Le cardinal de Lorraine alla, sur la pointe des pieds, soulever la lourde portière en tapisserie de Flandres, il prêta l’oreille un instant, et revenant vers Diane, il lui dit avec une explosion de joie qu’il ne prenait plus la peine de dissimuler :

— Le roi est mort !

— Enfin je suis reine s’écria Diane.

Elle s’était levée, son visage rayonnait de l’orgueil du triomphe.

Ce n’était pas le dauphin Henri, en effet, qui montait sur le trône, c’était sa vieille et impérieuse maîtresse. Diane de Poitiers succédait à la duchesse d’Étampes.

Jamais empire d’une favorite ne fut plus absolu, plus tyrannique, et, il faut le dire, plus désastreux pour la France. Diane de Poitiers était fille de Jean de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier, et de Jeanne de Batarnay, deux des plus anciennes familles du Dauphiné.

Élevée par son père, vaillant homme de guerre et grand chasseur, elle passa ses premières années au manoir de sa famille, demeure féodale, bâtie comme une citadelle au milieu des rochers abrupts qui dominent le cours impétueux du Rhône.

Son éducation fut celle de toutes les jeunes châtelaines du moyen âge, jeunes filles au cœur viril que l’on destinait a quelque brave chevalier ou à quelque rude chasseur. La lecture des romans de chevalerie, le déduit de la chasse occupaient les longues heures. Comme la déesse dont elle portait le nom, Diane aimait à galoper sur les traces des meutes ardentes, dans les grands bois qui entouraient alors toutes les nobles demeures.

Elle était, dès son enfance, experte en l’art de fauconnerie et s’entendait à dresser les émerillons. Nulle plus qu’elle n’était gracieuse et hardie, lorsqu’elle s’avançait sur sa blanche haquenée, le faucon au poing, a suivie de quelqu’un de ces merveilleux lévriers dont la race est aujourd’hui perdue.

À seize ans, et lorsque grand était déjà le renom de sa beauté, Diane épousa le seigneur Louis de Brézé, comte de Maulévrier, grand sénéchal de Normandie, dont la mère était fille d’Agnès Sore et de Charles VII.

Ainsi, les descendants de cette grande race des Brézé purent s’enorgueillir de compter dans leur famille deux des plus célèbres maîtresses des rois de France.

La présentation à la cour de la jeune et belle comtesse de Maulévrier, présentation qui eut lieu l’année même de son mariage, fit une grande sensation. Son nom, sa fortune, sa beauté lui donnèrent aussitôt un grand état, et l’admiration des hommes, non plus que l’envie des femmes, ne lui firent défaut. On l’appelait dès lors la grande sénéchale.

François Ier , que toutes les femmes tentaient, « ne fut point insensible aux charmes de la fière comtesse. » Diane, pas plus que les autres, ne sut résister au roi ; un instant donc, elle fut sa maîtresse ; mais son règne ne dura qu’un jour. Favorite sans influence, elle n’essaya même pas de lutter contre la comtesse de Chateaubriant, alors toute-puissante.

Les relations du roi et de Diane de Poitiers turent toujours si secrètes, que le comte de Maulévrier ne se douta jamais de rien et mourut sans avoir un seul instant, soupçonne la fidélité de sa femme.

Diane affichait d’ailleurs une grande passion pour son mari. Trop habite pour se laisser prendre aux apparences, elle devina qu’elle ne dominerait jamais François Ier ; elle savait son inconstance, et, pour une faveur passagère, elle ne voulut point compromettre la grande position que lui donnait le comte de Maulévrier.

On ne peut dire au juste ni l’origine, ni même la date des amours de François Ier pour la fière Diane de Poitiers ; il convient cependant de les reporter aux premières années de l’apparition à la cour de la belle comtesse.

Mais il est une autre version, pleine d’horreurs, que racontent les chroniques, et que nombre d’historiens ont adoptée, un peu légèrement peut-être.

Selon ces chroniques, c’est au pied même de l’échafaud du père de Diane, le sire de Saint-Vallier, condamné à mort comme complice de la trahison du connétable de Bourbon, que commença ce roman d’amour ; un abominable et honteux marché livra Diane de Poitiers au roi. Mais laissons parler les chroniques.

Poursuivi par la haine de Louise de Savoie, dont il avait repoussé l’amour et refusé la main, le connétable de Bourbon ne tarda pas à être victime des plus injustes persécutions. La mère et la maîtresse du roi, ces deux irréconciliables ennemies, se rapprochèrent un instant pour perdre le connétable ; elles avaient à satisfaire, l’une sa vengeance, l’autre l’insatiable ambition de sa famille.

Bientôt Bourbon fut privé de ses fiefs et de ses domaines ; on lui retira ses commandements pour les confier aux mains inhabiles des frères de la favorite ; enfin, on commença contre lui un odieux procès.

Justement irrité, le connétable entama des négociations avec Charles-Quint. L’empereur, heureux de s’attacher le meilleur général de l’Europe, n’hésita pas à lui promettre, pour prix de sa défection, une principauté indépendante et la main d’une de ses sœurs.

Toujours menacé par deux femmes qui sacrifiaient à leurs passions le véritable intérêt de la France, Bourbon n’hésita plus. Il promit sou épée et l’appui immense de son nom à l’empereur. Il confia alors ses projets à quelques gentilshommes dont il se croyait sûr, au père et au mari de Diane, entre autres, le sire de Saint-Vallier, un de ses plus anciens compagnons d’armes, et le comte de Maulévrier. Tous avaient juré le secret sur des morceaux de la vraie croix.

Le comte de Maulévrier ne tint pas son serment ; il révéla le complot, à la condition que grâce lui serait faite, ainsi qu’à son beau-père.

Prévenu à temps, Bourbon put s’enfuir ; mais le sire de Saint-Vallier fut arrêté à Lyon et traduit devant un tribunal composé de membres du parlement.

Vainement, pour sa défense, l’accusé invoqua les lois féodales qui le faisaient, avant tout, sujet de son seigneur immédiat ; vainement il allégua son serment sur des morceaux de la vraie croix, serment terrible, jurant qu’il avait fait tous ses efforts pour détourner le connétable d’une trahison ; il fut déclaré coupable de félonie et condamné à avoir la tête tranchée.

Tout aussitôt, les parents et les amis du sire de Saint-Vallier vinrent implorer la clémence royale. François Ier fut inflexible. Il était profondément irrité et tenait à se venger sur quelqu’un de la perte de son meilleur capitaine, perte d’autant plus désastreuse que la guerre recommençait. Les supplications du dénonciateur lui-même, du comte de Maulévrier, ne furent point écoutées.

Diane de Poitiers voulut alors tenter une démarche suprême. Elle alla se jeter aux pieds du roi, « lui embrassant les genoux, et, d’une voix entrecoupée par les sanglots, elle le conjura de lui accorder la vie de son père. »

François Ier se laissa fléchir ; mais il mit à la grâce du sire de Saint-Vallier une condition infâme, c’est que sa fille se donnerait à lui sur l’heure. Diane, dans cet abominable marché, ne vit qu’une chose, le salut de son père. Ainsi, Diane de Poitiers devint la maîtresse du roi de France.

Heureusement, rien n’est moins prouvé que cette horrible histoire. Presque tous les chroniqueurs qui la rapportent se contredisent entre eux et commettent d’ailleurs un grossier anachronisme.

Ainsi, selon Mézeray et les auteurs qui ont adopté son opinion, le roi n’accorda la vie au sire de Saint-Vallier qu’après avoir pris à Diane, sa fille, alors âgée de quatorze ans, « ce qu’elle avait de plus précieux. »

Or, à l’époque du procès du connétable, Diane de Poitiers avait de vingt-trois à vingt-quatre ans, et depuis plus de six ans elle avait donné à son mari, le comte de Maulévrier, « ce qu’elle avait de plus précieux. » L’âge, il est vrai, ne fait rien à l’affaire ; mais outre que le caractère même de François Ier doit éloigner l’idée d’une si affreuse action, la suite des événements ôte toute espèce de probabilité à ce marché infâme imposé à la fille d’un malheureux dont la tête allait tomber.

François Ier laissa jouer, jusqu’au dernier acte, la lugubre comédie de la mort. Un échafaud fut dressé, haut de sept pieds, tout tendu de draperies noires. Le condamné fut tiré de sa prison et traîné jusqu’au lieu du supplice ; il était si affaibli par la maladie, qu’il ne pouvait marcher. Déjà le malheureux avait gravi l’échelle fatale ; il avait posé sa tête sur le billot ; le bourreau levait sa hache, lorsque la grâce arriva. Et quelle grâce ! une prison perpétuelle. Plus horribles furent les souffrances du sire de Saint-Vallier après une lente et douloureuse agonie, il mourut dans le cachot sombre où on l’avait jeté.

Ce dernier fait de la captivité du sire de Saint-Vallier suffit presque, a lui seul, pour démontrer l’impossibilité de l’histoire racontée par les chroniques. Si Diane se donna, ce jour-là, pour sauver son père, est-il possible qu’elle n’ait pas obtenu la grâce entière ? Si elle devint ensuite la maîtresse de François Ier, comment croire que ce prince, toujours si faible avec les dames, ait refusé à une femme aimée la liberté de son père, tandis que bien d’autres complices du connétable n’étaient pas même inquiétés ? Il est bien plus simple d’admettre que déjà, à cette époque, toutes relations entre Diane et le roi avaient cessé.

Les années qui suivirent la condamnation du sire de Saint-Vallier s’écoulèrent tranquilles, sinon heureuses, pour Diane de Poitiers. Elle n’avait pas quitté la cour, mais elle faisait peu parler d’elle. Louise de Savoie était alors toute-puissante et ne souffrait aucune influence rivale ; elle régnait, tandis que son fils se donnait tout entier à ses plaisirs et à ses amours. De cette époque datent les premières liaisons de Diane et des Guise. La parole passionnée de Luther avait trouvé de l’écho en France ; la religion nouvelle avait des prosélytes, et comme les princes lorrains, Diane croyait que, par tous les moyens possibles, échafauds et bûchers, il fallait arrêter les progrès de l’hérésie.

Diane de Poitiers n’aimait pas madame Marguerite, sœur du roi ; plusieurs fois elle avait raillé son goût pour les savants et les beaux esprits, presque tous entachés des principes de la doctrine nouvelle ; elle avait même osé blâmer hautement sa tolérance en matière de religion et ses tendances huguenotes. Aussi, la comtesse de Maulévrier n’accompagna pas Marguerite en Espagne, lorsqu’elle alla consoler son frère prisonnier ; elle ne suivit pas non plus la cour à Bayonne, lors de la délivrance du roi.

En 1531, une meilleure occasion s’offrit à Diane de faire paraître le grand amour qu’elle avait pour son mari. Le comte de Maulévrier mourut le 23 juillet. Les regrets de la veuve éclatèrent aussitôt, mais si bruyants, si fastueux, que chacun pensa qu’il devait y avoir au moins un peu d’exagération.

Ce fut, du reste, une des grandes préoccupations de la vie de Diane de Poitiers, de faire croire à cet amour pour son mari, et aux regrets que lui causait sa mort. Toute sa vie, elle porta le deuil de cet homme si cher, et même aux premiers jours de ses amours avec le jeune prince Henri, elle s’habillait de noir et de blanc, comme une veuve de l’année. Mais dans le choix de ces couleurs, qui devinrent celles de son amant, il y avait plus de coquetterie que d’austérité, et selon Brantôme, un de ses admirateurs, cependant, « il y avait, dans son ajustement noir et blanc, plus de mondanité que de réformation, et surtout toujours montrait sa belle gorge. »

Après la mort de son mari, Diane fit élever à cet homme si tendrement aimé, et trompé, un magnifique mausolée, dans l’église de Notre-Dame de Rouen. Une longue épitaphe disait à tous et les vertus du défunt et les regrets de sa veuve inconsolable.

Elle se retira alors dans sa maison d’Anet, qui n’était encore qu’une simple et modeste demeure ; elle voulait, disait-elle, dans cette solitude, pleurer éternellement son époux.

L’éternité dura un peu moins de deux ans.

Lorsque plus belle et « plus jeune que jamais, » Diane de Poitiers reparut à la cour, son premier soin fut de s’assurer quelque influence, chose capitale à une époque où tout le monde régnait, excepté peut-être le roi.

Véritablement s’assurer une influence n’était pas chose facile, toutes les places étaient prises. François Ier appartenait tout entier à madame d’Étampes, et nul n’entrevoyait même la possibilité de renverser la favorite.

Il ne fallait pas songer au fils aîné du roi, le dauphin François, prince mélancolique, toujours « tout de noir habillé », et qui ne buvait que de l’eau. Il ressemblait fort à son grand-père Louis XII et semblait la vivante satire de cette cour débauchée. Il avait une maîtresse, cependant, la belle de l’Estrange, à laquelle une chanson faisait dire :

Brunette suis, jamais ne serai blanche,

et que Marot célébrait ainsi dans ses Étrennes :

À la beauté de l’Estrange,
Face d’ange,
Je donne longue vigueur ;
Pourvu que son gentil cœur
Ne change.

Mais, précisément parce qu’il avait une, maîtresse qu’il aimait, le dauphin François ne pouvait, en aucune sorte, servir les projets de Diane de Poitiers.

C’est alors qu’elle songea à s’emparer du prince Henri, le second fils de François Ier. À dire vrai, ce n’était encore qu’un enfant, il avait vingt ans presque de moins qu’elle ; mais elle ne s’arrêta pas à ces considérations, et ne s’épouvanta nullement du ridicule qui pouvait l’atteindre.

Après avoir été la maîtresse du père, elle entreprit, l’éducation du fils, douce tâche ! François Ier donna, dit-on, son assentiment aux projets de Diane ; il pensait qu’en fait de maîtresse, le jeune prince pouvait tomber plus mal. Il se trompait, et devait plus tard l’apprendre à ses dépens. Henri avait, il faut le dire, toutes les qualités qui peuvent et doivent séduire une femme ambitieuse.

Bien fait, de belle et fière mine, c’était un des plus brillants cavaliers de la cour. Il maniait un cheval avec une incomparable adresse et avait sous les armes une bonne grâce inimitable. Adroit à tous les exercices du corps, il pouvait défier, sans crainte d’être vaincu, les gentilshommes les plus renommés. Il passait pour le plus agile sauteur du royaume et franchissait jusqu’à vingt-cinq pieds ; enfin, il n’avait pas de rival au jeu de paume. La chasse, la petite guerre l’hiver à coups de boules de neige, les armes, tels étaient ses passe-temps favoris.

Au moral, il semblait fait pour être dominé. Timide, indécis, il était long à se décider. Avait-il un projet en tête, il prenait conseil de tous ceux qui l’entouraient. Il est vrai qu’une fois son opinion arrêtée, bonne ou mauvaise, on ne l’en faisait pas revenir facilement.

Tel était l’adolescent dont Diane de Poitiers entreprit la conquête. Elle dut se résigner à faire les premières avances ; mais ses peines ne furent point perdues, et bientôt toute la cour apprit, avec stupéfaction, que la veuve inconsolable du comte de Maulévrier était la maîtresse du second fils du roi.

Un aussi beau succès ne pouvait manquer d’éveiller la jalousie ; on fit pleuvoir les quolibets sur la vieille maîtresse de l’enfant royal ; on osa faire les allusions les plus injurieuses ; le gros mot d’inceste fut prononcé, et, à deux ou trois reprises, François Ier trouva dans sa chambre royale, sur son lit, des vers où ni lui, ni la grande sénéchale n’étaient ménagés.

Diane baissait la tête et sans mot dire laissait passer l’orage ; quelque pressentiment l’avertissait sans doute qu’un jour viendrait où elle prendrait une éclatante revanche.

L’ambitieuse coquette jouait alors une grande passion pour son jeune amant, ce qui ne t’empêchait pas de porter toujours le deuil de feu monsieur de Maulévrier. Voulait-elle tromper ceux qui l’entouraient, s’abusait-elle sur ses véritables sentiments, c’est ce qu’il est difficile de dire.

Nous avons, des premiers jours de ces amours, des vers charmants, composés par Diane elle-même pour Henri ; ils semblent écrits au lendemain de la chute ; il est difficile de rien trouver de plus frais et de plus coquet :

Voici vraiment qu’Amour, un beau matin,
S’en vint m’offrir fleurette très-gentille.
Là se prit-il à orner votre teint,
Et vitement, Marjolaine et jonquille
Me rejetait, à tant que ma mantille
En était pleine, et mon cœur se pâmait.
Car, voyez-vous, fleurette si gentille
Était garçon, frais, dispos et jeunet.
Ains, tremblotant et détournant les yeux :
-- « Nenni, disais-je. — Ah ! ne serez déçue,"
Reprit Amour, et soudain à ma vue
Va présenter un laurier merveilleux.
-- « Mieux vaut, lui dis-je, être sage que reine ! »
Ains me sentis et frémir et trembler...
Et Diane faillit... ; et comprendrez sans peine
Duquel matin je prétends reparler.

Quels vers charmants ! quel trouble délicieux et naïf ! Ne croirait-on pas entendre fillette de seize ans, tout inquiète de s’être laissé voler son cœur !

Ces vers donnent une idée de l’esprit de Diane de Poitiers ; il était souple et brillant. Elle avait du goût, quoi qu’en aient dit les écrivains réformés, qui avaient d’ailleurs de bonnes raisons de la détester, et savait parfaitement distinguer le vrai mérite. Il ne faut donc pas s’étonner de l’effet de ses séductions sur le cœur de Henri. À dire vrai, le jeune prince l’idolâtrait, et chaque jour éclatait plus forte et moins contenue son ardente passion.

Les beaux seigneurs et les belles dames s’étonnaient déjà de la durée de ces amours. On ne se piquait pas de constance à la cour de François Ier, les lunes de miel y avaient des quartiers fort courts, et déjà plus d’une dame avait essayé de continuer l’éducation de l’adolescent. Mais lui fidèle à sa maîtresse, « déclarait n’avoir point de pensées pour d’autre. » Le mécontentement succéda à la surprise.

Bientôt, pour expliquer la violence et la persévérance étranges de cette passion, on accusa Diane de Poitiers d’avoir ensorcelé Henri. On la disait fort curieuse de magie, et on prétendait qu’elle avait donné à son amant une bague enchantée qui devait éternellement l’enchaîner & elle. De Thou lui-même croit, ou feint de croire à l’histoire de cette bague merveilleuse.

Mais, pour retenir Henri dans ses filets, Diane de Poitiers avait bien d’autres enchantements ; elle avait sa beauté d’abord, puis son esprit et ses grâces infinies ; enfin, elle avait son expérience. Il est impossible ici de citer textuellement nos vieux écrivains mais tous s’accordent a dire que « la dame, fort experte en l’art de galanterie, était encore plus impudique que belle, et plus dépravée que spirituelle. » Voilà le charme expliqué.

Cependant, l’influence de Diane de Poitiers grandissait de jour en jour, et bientôt elle put balancer le crédit de la duchesse d’Étampes, la bien aimée du roi. Nous ne rappellerons pas ici les effets désastreux de la rivalité des deux favorites. Tous les avantages de cette lutte furent pour Diane. Elle avait l’avenir pour elle, et son ennemie, maîtresse d’un roi dont la santé était depuis longtemps perdue, était à peine sûre du lendemain.

La mort même sembla se mettre du côté de la grande sénéchale.

Ainsi, le dauphin François mourut et son amant se trouva l’héritier de la couronne. Le duc d’Orléans, sur lequel s’appuyait encore madame d’Étampes, ne tarda pas à suivre son frère ; et Diane alors, dans l’avenir au moins, ne vit plus de rivale.

Diane de Poitiers ne pouvait compter comme une rivale Catherine de Médicis, la femme de son amant, cette jeune italienne, qui avait accepté sans murmure cette singulière condition d’épouser un homme entièrement subjugue par une maîtresse moins belle et plus vieille qu’elle.

Le luxe de Diane de Poitiers était alors princier, et chaque jour elle imposait à Henri de nouveaux sacrifices pour subvenir à ses dépenses. « Après la galanterie, dit M. Hauréau, les arts étaient sa plus grande passion » ; et, autant pour satisfaire ses goûts que pour lutter avec la duchesse d’Étampes, elle voulait se faire une cour d’artistes et de poètes. Tous les nouveaux venus à la cour devaient choisir entre les deux favorites. Benvenuto Cellini se décida pour Diane, mais il fut oblige de quitter Fontainebleau.

— Restez, disait François Ier à l’inimitable artiste, restez, je vous couvrirai d’or.

Mais le fier et indépendant ciseleur n’eût pas supporté une injure pour tout l’or du nouveau monde, et la duchesse d’Étampes l’avait abreuvé de dégoûts.

Au palais de Fontainebleau, toujours aux côtés de la favorite de François Ier, on retrouve la grande sénéchale. Cette Diane Chasseresse, aux traits si nobles et si beaux, à la démarche si pleine de majesté, c’est l’altière maîtresse du Dauphin.

Elle eut du moins le mérite de bien placer ses bonnes grâces elle encouragea bien d’autres artistes, bien d’autres gloires. Toujours elle protégea le Primatice, elle combla Jean Goujon. Bernard Palissy, l’inimitable potier-émailleur, put la compter au nombre de ses admiratrices.

C’est une triste histoire que celle de Bernard Palissy, le glorieux artiste, l’inventeur d’un art aujourd’hui perdu. Quel courage ! quelle patience ! Victime de l’envie et de la bêtise, il luttait contre toutes les horreurs de la misère, tandis qu’il faisait ses premiers chefs-d’œuvre ; ses enfants n’avaient pas de pain, et il brûlait son pauvre mobilier pour chauffer son four ; ce four enchanté d’où sortaient ces admirables faïences dont le prix est aujourd’hui illimité, et ces plats merveilleux qui font l’admiration et le désespoir de nos artistes.

Diane s’éprit des poteries de Bernard Palissy, et bientôt il eut une autre protectrice, Catherine de Medicis. Alors les angoisses du malheureux eurent un terme ; alors il paya en chefs-d’œuvre les jours de repos qu’on lui faisait. Pour Diane, pour Catherine, pour Henri II, il composa ces plats, ces assiettes marqués au chiffre royal et qui, sur la table aux jours de gala placés a côté des vases et des coupes de Benvenuto Cellini, devaient donner au festin un féerique appareil.

Puis elle eut ses poètes ; on lui jetait aussi l’encens à pleines mains :

Ne vante plus, ô Rome, la Lucrèce,
Cessez, Thébains, pour Corinne combattre,
Taire te faut de Pénélope, ô Grèce
Encore moins pour Hélène débattre
Et toi, Égypte, ôte ta Cléopâtre
La France seule a tout cela et mieux
En quoi Diane a l’un des plus beaux lieux,
Soit en vertus, beauté, faveur et race ;
Car si n’avait le tout reçu des cieux,
D’un si grand roi n’eût mérité la grâce.

Lorsque Le Pelletier lui envoyait ces vers, elle était reine de France par la mort de François Ier et depuis longtemps son oreille s’était habituée au doux murmure de la louange.

En 1537, Marot lui envoyait ces étrennes :

Que voulez-vous que vous donne,
Diane bonne ?
Vous n’eûtes, comme j’entends,
Jamais tant d’heur au printemps
Qu’en automne.

Du Bellay, Ronsard, et bien d’autres, la Pléiade, eurent des vers pour elle, et pourquoi non ? « Le poète ne chante-t-il pas toujours les yeux tournés vers l’Orient ? »

Mais les arts et les jouissances de l’esprit, choses frivoles, son amour pour le Dauphin, chose grave, ne suffisaient pas à emplir sa vie. Il fallait d’autres aliments à son ambition. Il lui fallait d’ailleurs étayer sa puissance. Elle était bien sûre de son amant, mais le pouvoir d’une favorite est chose si fragile !

C’est alors que plus que jamais elle se rapprocha des Guise, et qu’elle donna toute sa confiance au connétable Anne de Montmorency.

Ce fut en son temps un terrible soudard, que monseigneur le connétable, premier baron chrétien. Dur, cruel, superstitieux, altier, il résumait en lui tous les vices de la noblesse féodale, qui en avait un assez bon nombre. De plus, il était incapable et avare ; oh ! mais d’une avarice sordide. Enfin, il se distingua par le cynisme de ses pilleries. Il recevait de toutes mains ; peu lui importait la valeur du présent, il acceptait avec la même avidité d’immenses domaines ou une paire de brodequins neufs achetés à Madrid. Quand on ne lui donnait pas... il prenait. Avait-on un procès, il vous en assurait le gain moyennant finance ; il vendait les ordres du roi, et, envoyé pour punir des déprédations, il partageait simplement avec les fripons. Tuteur infidèle, il ruina sa nièce, Charlotte de Laval.

Mais son « âpreté à la chasse aux écus » n’était rien comparée à sa cruauté. Il n’avait qu’un argument, la potence. Il fit en sa vie périr une foule de malheureux, coupables de lui avoir déplu. À Bordeaux, il donna aux corbeaux plus de cent bourgeois.

Avec cela fort dévot ; il jeûnait et gardait les observances. Chaque jour, il disait soigneusement ses prières mais on connaît les patenôtres de M. le connétable. Terribles patenôtres ! Brantôme nous en donne une idée : Pater noster, — brûlez-moi ce village ; — qui es in cœlis, — pendez-moi ces coquins ; — sanctificetur nomen tuum, — qu’on assomme celui-ci ; – adveniat regnum tuum, — qu’on écartèle celui-là, etc.

Aussi, il faut voir si on redoutait les patenôtres de ce terrible rabroueur de personnes qui regardait brûler des villages entiers sans passer un grain de son chapelet.

Un jour, à Fontainebleau, il trouva que les solliciteurs venaient frapper en trop grand nombre au palais du roi ; il fit élever des potences « hautes comme un clocher d’église », et personne n’osa plus approcher.

C’est dans les derniers jours de sa vie que le terrible soudard montra surtout de quelles cruautés il était capable. Les huguenots n’eurent jamais de persécuteur plus ardent ; chaque jour, il dénonçait à François Ier quelque coupable à faire pendre. Il osa lui dire que, si on voulait extirper tous ces hérétiques damnés, il fallait frapper leurs protectrices, madame Marguerite, sœur du roi, et la duchesse d’Étampes. Le roi trouva que le connétable allait trop loin.

Tel est l’homme dont Diane de Poitiers devint la fidèle alliée. Tandis qu’elle commandait altière au Dauphin, elle se courbait sans murmure sous la terrible volonté du connétable. Anne de Montmorency fut, dit-on, plus qu’un ami pour la grande sénéchale, et cet on-dit s’appuie sur des preuves. Écoutons ce que dit l’histoire : « Le tempérament de Diane la portait quelquefois à chercher ailleurs le comble du plaisir, quand elle trouvait en lui (le Dauphin) le comble des biens et des honneurs. »

Trahir un prince jeune et beau, pour un vieux soldat brutal, c’est de la dépravation ; car enfin le connétable n’avait rien de ce qui séduit une femme. Sa seule qualité était la bravoure, une bravoure enragée. Au fort de la mêlée, il lançait son cheval en criant Gare gare) et ainsi il ouvrait les bataillons ennemis ; car ceux qui ne se garaient pas assez vite tombaient bientôt sous ses coups.

Tout le crédit de Diane de Poitiers ne put cependant maintenir Anne de Montmorency : pendant les dernières années du règne de François Ier, la duchesse d’Étampes parvint à le faire disgracier et éloigner de la cour.

La grande sénéchale donna bien d’autres rivaux à son royal amant ; les plus connus sont le cardinal de Lorraine et le maréchal de Brissac. Les écrivains protestants prétendent aussi que Marot fut très avant dans ses bonnes grâces ; mais rien n’est moins prouvé.

Il est constant, cependant, que Marot lui adressa ses hommages et qu’il fut assez favorablement écouté pour concevoir des espérances. Ne dit-il pas :

Être Phébus bien souvent je désire
Pour être aimé de Diane la blonde.

Mais les choses tournèrent à mal, paraît-il, car ailleurs le poète s’écrie d’un ton désespéré :

Je n’ai pas eu de vous grand avantage,
Un moins aimant aura peut-être mieux.

La mie qui accusa Marot d’avoir mangé lard et le fit ainsi enfermer, n’est autre que Diane de Poitiers ; il s’appuie sur ses vers :

Bien avez lu, sans qu’il s’en faille un a,
Comme je fus, par l’instinct de luna,
Mené en lieu plus mal sentant que soufre
Par cinq ou six ministres de ce gouffre.

Ceci se passait avant la toute puissance de Diane. Depuis, les douceurs de Marot tournèrent à l’aigre, les épigrammes remplacèrent les éloges, et il se tourna du côté de la duchesse d’Étampes et de madame Marguerite.

Mais, dit un vieil auteur, « pourquoi la grande seénéchale l’aurait-elle fait renfermer ? Était-il trop pressant, ou craignait-elle qu’il ne devînt indiscret ? »

Diane de Poitiers voulait bien, de temps a autre, choisir un amant ; mais elle ne permettait pas à Henri de penser à une autre femme. Trois ou quatre fois, soit étant dauphin, soit étant roi, Henri eut quelques velléités d’amour ; mais Diane sut y mettre bon ordre. Elle s’en prenait, non point au prince, mais à l’objet de son caprice. C’est ainsi qu’elle fit éloigner mademoiselle Flamyn, celle-là même qui, étant enceinte du roi, disait avec un naïf orgueil :

— « J’ai tant fait, que, Dieu merci ! j’aurai un enfant du roi, dont je m’en sens très honorée et très heureuse. »

Mademoiselle Flamyn exprimait là ce qu’eussent pensé, à cette époque, toutes les femmes, à sa place.

Enfin, François Ier mourut, et Diane de Poitiers monta sur le trône. Elle avait alors bien près de cinquante ans, son amant en avait vingt-neuf.

Cet amour persévérant d’un jeune roi entouré de séduction en butte aux amoureuses tentatives de toutes les dames de la cour, cette passion pour une femme si vieille, peut sembler invraisemblable ; c’est que Diane de Poitiers est un de ces rares exemples de longévité florissante qu’on ne rencontre pas une fois par siècle. Elle était admirablement belle et ne paraissait pas vingt-cinq ans, à un âge où les femmes renoncent ordinairement à dissimuler leurs rides. Brantôme, qui la vit lorsqu’elle avait plus de soixante ans, resta confondu d’admiration. Six mois avant sa mort, dit-il, je la vis si belle encore, que je ne sache cœur de roche qui n’en fût ému."

Cette éternelle jeunesse, Diane la devait, dit-on, à un philtre que, par reconnaissance, lui avait autrefois donné une jeune bohémienne dont elle avait sauvé le père, condamné à la potence. Pour un tel présent, quelle femme ne sauverait tous les bohémiens de la Terre ? Outre ce breuvage magique, elle avait ; assurent des auteurs fort sérieux du temps, une pommade enchantée, qui rendait à sa peau la fraîcheur et l’éclat de l’adolescence.

Mais les graves auteurs se trompent. Diane rejeta toujours, au contraire, avec le plus grand soin, les pommades et les cosmétiques ; son eau de beauté était simplement de l’eau de puits ; chaque jour, même par les plus grands froids, elle se lavait le visage et tout le corps avec de l’eau glacée. Éveillée le matin « dès six heures, » elle montait ordinairement à cheval, faisait une ou deux lieues dans les bois, et venait se remettre dans son lit, où elle lisait jusqu’à midi.

Le premier soin de Diane, en arrivant au pouvoir, fut de chasser honteusement sa rivale, la duchesse d’Étampes, que François Ier avait comblée de richesses et d’honneurs. Elle n’osa cependant la dépouiller de ses biens, c’eût été établir un précédent et donner pour elle-même un fâcheux exemple.

Elle ne s’en tint point là ; "elle avait des vengeances à exercer, des partisans à récompenser. Tous ceux qui avaient été attachés à la duchesse d’Étampes, ou qui lui devaient leur élévation, furent disgraciés et remplacés par des créatures à elle. D’Annebaut dut céder à Jacques de Saint-André sa charge de maréchal de France ; le maréchal de Biez fut dégradé : encore un peu, il portait sa tête sur l’échafaud. Le connétable de Montmorency fut rappelé, et partagea toute la puissance avec les Guise. Le cardinal de Lorraine remplaça le cardinal de Tournon.

Finances, armée, clergé, conseil, Diane s’assura de tout. Partout elle mit des hommes à elle, incapables de la trahir, parce qu’ils lui devaient tout et savaient qu’ils tomberaient avec elle.

Tous ces changements s’opérèrent si vite, que le troisième jour après la mort de François Ier, Montmorency, que le roi Henri II appelait son compère établi à Saint-Germain-en-Laye, recevait les députés envoyés de Paris pour complimenter le nouveau roi.

Alors les Guise jetèrent les fondements de cette puissance colossale qui, sous les successeurs de Henri II, devait menacer le trône.

Les factions réunies des princes lorrains, des Montmorency et de Diane entouraient le roi de toutes parts. « Rien ne leur échappait, dit un écrivain du temps, non plus que mouches aux hirondelles, que tout ne fût englouti ; de sorte qu’il était impossible à ce prince débonnaire d’étendre à d’autres sa libéralité. »

Cruellement éclipsée par la favorite, la femme de Henri II, Catherine de Médicis, en prenait sans fausse honte son parti. « Elle s’exerçait, par avance, aux ruses de sa politique nationale, flattant, pour se les ménager, toutes les influences rivales de la sienne, quelque odieuses qu’elles pussent lui être. »

Henri II, cependant, tenait à faire montre de son pouvoir royal, et, dans. ce but, il comblait sa maîtresse bien-aimée. Pour elle, il ne trouvait rien d’assez magnifique ; il se plaisait à l’entourer d’un faste vraiment royal. Pour orner les logis et les palais de Diane de Poitiers, il faisait de tous côtés rechercher les chefs-d’œuvre des arts de l’époque : meubles, tapisseries, tableaux, vêtements, ouvrages d’orfèvrerie, riches parures. Depuis le mois d’octobre 1548, Diane avait pris le titre de duchesse de Valentinois, du riche duché de ce nom, l’un des plus beaux domaines de la couronne, que son amant lui avait donné à vie.

Un remarquable événement marqua les premières années du règne de Henri II. Le combat du sire de La Châtaigneraie et du comte de Jarnac. Ce devait être le dernier duel judiciaire. François Ier avait cru devoir refuser le champ clos, son successeur l’accorda, sur les instances de Diane de Poitiers. Tous deux d’ailleurs, le souverain et la favorite, avaient pris parti dans cette querelle, qui avait troublé le règne du dernier roi.

La Châtaigneraie n’avait été, disait-on, que l’écho du Dauphin et de sa maîtresse, et, plus tard, il était devenu leur champion.

Voici ce qui s’était passé : Le bruit s’était tout à coup répandu à la cour de François Ier que la duchesse d’Étampes honorait son beau-frère, le comte de Jarnac, de ses faveurs. On voulut remonter à la source de cette accusation ; on pensait arriver jusqu’à Henri, profondément hostile à la maîtresse de son père ; mais La Châtaigneraie s’interposa. Il déclara que lui-même avait tenu le propos ; que, d’ailleurs, il le tenait de Jarnac lui-même, qui lui avait fait cette confidence. Il offrait le combat pour soutenir son dire. François Ier étonna cette affaire.

Mais sous Henri II la haine se réveilla, un nouveau défi fut jeté, le roi accorda le champ-clos.

Au dire de toute la cour, la lutte n’était point égale entre les deux adversaires La Châtaigneraie, « haut de la main et querelleur, » était doué d’une vigueur extraordinaire, il excellait dans tous les exercices du corps, et passait pour la meilleure lame du royaume. Fier de son adresse et de sa vaillance, il se vantait orgueilleusement de « courir à tous venants. »

Jarnac, au contraire « était, dit Brantôme, un petit dameret qui faisait plus grande profession de curieusement se vestir que des armes de guerre. »

Cependant, on avait préparé le champ-clos dans le parc du château de Saint-Germain ; on avait paré les estrades de draperies, comme pour un tournoi, et, au jour indiqué, le roi, Diane de Poitiers et toute la cour vinrent assister à ce grand combat judiciaire.

Les adversaires entrèrent en lice au coucher du soleil ; leurs armes, suivant l’usage, avaient été bénies à Saint-Denis. Le combat commença. La Châtaigneraie, qui ne doutait pas de la victoire, se précipita furieusement sur son ennemi mais Jarnac para prestement ; et, avec une adresse sans pareille, riposta par un coup qui renversa son adversaire.

Ce coup fameux a pris depuis le nom de coup de Jarnac. Il est vrai qu’on ne sait pas au juste quel il était ; seulement, il n’est pas permis de douter qu’il ne fût très loyal.

Aussitôt Jarnac fut sur La Châtaigneraie ; l’épée sur la gorge, il le somma de se rétracter. La Châtaigneraie refusa. Gracié par le roi, le vaincu fut transporté, pour y être pansé, au château de son parent, le duc de Guise ; mais il était trop fier pour survivre à sa défaite, il arracha tous ses appareils, préférant la mort à l’humiliation. Sur le mausolée qu’on lui fit élever, on lisait cette inscription :

AUX MANES FIÈRES DU TRÈS VALEUREUX
CHEVALIER FRANÇAIS
FRANÇOIS DE VIVONNE
SEIGNEUR DE LA CHATAIGNERAIE.

Dès l’avènement de Henri II au trône, les persécutions contre les huguenots avaient commencé avec une fureur jusqu’alors inconnue. Sous l’inspiration des Guise, du connétable de Montmorency et de la nouvelle duchesse de Valentinois, de toutes parts on élevait des potences et des bûchers, le sang coulait à flots.

« Ce n’est pas, dit un auteur calviniste, que la favorite fût animée d’un bien grand zèle pour la religion catholique, mais la duchesse d’Étampes avait protégé la religion réformée, et cela seul avait déterminé Diane de Poitiers à faire précisément le contraire. De plus, elle et ses infâmes complices se partageaient les dépouilles de tous les martyrs de leur croyance, innocentes victimes dont on confisquait les biens. »

L’acharnement de Diane de Poitiers contre les huguenots est véritablement incroyable. Non contente d’ordonner des supplices, il lui arriva quelquefois d’assister aux interrogatoires, et d’accabler des injures les plus véhémentes les malheureux que, devant elle, on soumettait à la torture. Ainsi, suivant J. Crespin, dans l’affaire du tailleur du roi, « elle voulut elle-même assister au jugement et en dire sa ratelée. »

Y avait-il « quelque brûlement, » elle s’en réjouissait longtemps à l’avance, et y assistait toujours avec le roi. Accoudée à quelque fenêtre, la tête appuyée sur l’épaule de son amant, heureuse, souriante, elle regardait brûler les hérétiques. Les jours de bûcher étaient jours de fête pour la cour.

Il s’est cependant trouvé des poètes pour chanter ces fureurs de Liane de Poitiers :

Sur tout, vous avez soin
De Dieu, de son Église,
De vous repoulsant bien loin
Toute malice et feintise.

Par la toute puissance de la favorite, le cardinal de Lorraine, Charles, était comme le véritable roi de France. À chaque amant de la maîtresse royale, il fallait une part du pouvoir le peuple murmurait et son indignation s’exhalait en épigrammes. Un jour, Henri II, en se mettant à table, trouva ce quatrain sous son couvert :

Sire, si vous laissez comme Charles désire,
Comme Diane veut, par trop vous gouverner,
Fondre, pétrir, mollir, refondre, retourner,
Sire vous n’êtes plus, vous n’êtes plus que cire.

Ces vers irritaient le roi, mais ne lui donnaient pas le courage d’être le maître ; il ne pouvait se « déguiser. »

Le connétable de Montmorency avait peut-être plus de pouvoir que le cardinal de Lorraine. Ses maladresses et son incapacité ne diminuaient pas son influence. Diane le soutenait. Il s’était fait battre, puis il était tombé aux mains de l’ennemi. Mais, du fond de sa prison, il tenait encore une des ficelles qui faisaient mouvoir Henri II. Le roi écrivait au connétable captif pour l’informer de tout ce qui se passait à la cour, pour lui dire ses griefs contre les Guise, qui parfois lui faisaient peur, enfin pour le consulter. Diane était de moitié dans la correspondance. Le monarque tantôt servait à cette dame de secrétaire, tantôt lui cédait, puis reprenait la plume, comme on peut s’assurer par quelques lettres. conservées à la Bibliothèque, qui sont de deux écritures, et se terminent ainsi :

Vos anciens et meilleurs amis,
DIANE, HENRI.

Les persécutions contre les huguenots continuaient toujours, et leur nombre cependant allait en augmentant. Ils cherchaient et trouvaient des protecteurs pour remplacer ceux qu’ils avaient perdus, la duchesse d’Étampes et madame Marguerite.

Pauvre Marguerite ! Ils étaient bien loin les jours de sa jeunesse, jours de folie et d’amour. Avec la vieillesse l’heure du repentir était venue. Après avoir écrit l’Heptaméron, elle avait composé le Miroir de l’âme pêcheresse, et la Sorbonne avait voulu y voir des propositions hérétiques.

Ses protégés, savants et beaux esprits, lui furent au moins reconnaissants ; ils firent des inscriptions et frappèrent des médailles où ils l’appelaient la dixième Muse et quatrième Grâce. Pour elle, Ronsard a eu des strophes charmantes :

Ici la reine sommeille,
Des reines la non pareille,
Qui si doucement chanta ;
C’est la reine Marguerite,
La plus belle fleur d’élite
Qu’oncques l’Aurore enfanta.

Mais ni les horreurs de la persécution ni les malheurs de la guerre ne suspendaient les plaisirs à cette cour de Henri II, « si gentiment corrompue », dit Brantôme. C’était chaque jour quelque fête nouvelle, et toujours la duchesse de Valentinois en était la reine. Catherine de Médicis, l’épouse délaissée, ordonnatrice des bals et des festins, s’effaçait devant la favorite. La rusée Italienne avait alors acquis une véritable influence, occulte, il est vrai, mais qui pour cela n’en était pas moins sûre. Elle ne semblait cependant songer qu’aux plaisirs, mais les plaisirs étaient un de ses moyens favoris de gouvernement. Elle organisait l’escadron nombreux et dangereux de ses filles d’honneur, escadron charmant où les rois de France prirent l’habitude de choisir des maîtresses. Libre était la conduite des filles d’honneur, et nul, assure Brantôme, n’y trouvait à redire, pourvu que sussent se garder de l’enflure du ventre.

À toutes ces fêtes, chasses, bals, mascarades, Henri II ne paraissait que vêtu des couleurs de la duchesse de Valentinois. Il avait adopté ses emblèmes, un croissant placé sur des montagnes avec cette devise : Donec totum implicit orbem. Il faisait plus, il faisait frapper des médailles en l’honneur de l’altière favorite : la plus connue porte d’un côté cette inscription : Diana, dux Valentinorum clarissima. Au revers, on voit Diane foulant aux pieds un Amour, avec cette légende : Victorem omnium vici.

Henri II se faisait gloire de son amour ; il semblait vouloir l’apprendre a tout l’univers, et en transmettre le souvenir à la postérité. Partout, sur les palais qu’il aimait à faire construire, on voit le chiffre du roi uni à celui de Diane ; on le retrouve, ce chiffre, à Fontainebleau, à Chambord et à Saint-Germain. On les aperçoit encore, ces deux lettres, amoureusement enlacées au milieu des feuilles d’acanthe qui courent le long du palais du Louvre.

De grands artistes bâtissaient de royales demeures pour le roi Henri II. Il fallait de somptueuses résidences pour loger toutes les merveilles des arts de ce temps, et jamais on ne vit tant de chefs-d’œuvre. Ce fut alors vraiment le beau moment de la Renaissance.

Le château d’Anet, bâti pour Diane de Poitiers, résumait toutes les splendeurs, toutes les magnificences de cette admirable époque.

Anet, merveilleux château, s’élevait entre les deux forets d’Yves et de Dreux. Philibert Delorme avait donné les dessins, Cousin et Jean Goujon y épuisèrent leur génie. C’était comme un palais de fée, demeure enchantée des contes arabes. Tout y était merveille, du perron aux combles. Chaque serrure était un poème, le moindre clou était une œuvre d’art. L’escalier avait une légèreté inimitable, les cheminées étaient des monuments. Jamais la perfection n’avait été portée si loin.

Hélas ! que reste-t-il d’Anet, le joyau du seizième siècle ? quelques débris incomplets, mais si admirables encore que, devant eux, on s’arrête ébloui.

Maison ne peut se faire une idée de la richesse de l’ameublement d’Anet. Là, madame la duchesse de Valentinois avait accumulé tous les trésors de ce siècle si riche. Les meubles étaient d’ivoire et d’ébène rehaussés d’or ; l’Espagne et la Flandre avaient fourni les tentures de cuir et les tapisseries de fine laine. Les tapis venaient d’Orient, les glaces de Venise. Puis sur les étagères, sur les bahuts sculptés à jour, s’entassaient les poteries de Palissy, les coupes et les aiguières de Benvenuto ; enfin, ces mille objets d’un fini si admirable, qu’exécutaient, non pas des ouvriers, mais des artistes. Luxe inouï, féerique, que nous pouvons à peine comprendre aujourd’hui.

Dans ce palais d’Anet, on voyait, aux côtés de Diane, une autre Diane, une toute jeune fille, belle, charmante ; on l’appelait madame de Castro. Encore enfant, elle avait été fiancée à un autre enfant, Hercule de Farnèse, duc de Castro mais elle était restée veuve avant d’être nubile.

On la destinait à François de Montmorency, fils du connétable.

Diane de Castro était fille de Henri II, mais nul ne connaissait sa mère ; on pensait que ce pouvait bien être Diane de Poitiers, et l’on expliquait qu’encore aux premiers temps de leurs relations, les deux amants avaient dû dissimuler la naissance de cet enfant.

On dit encore que Henri II voulait légitimer Diane de Castro ; mais la duchesse de Valentinois ne le voulut pas. Aux premières paroles que lui en dit le roi :

— Par ma naissance, répondit-elle, j’étais en droit d’avoir de vous des enfants légitimes ; j’ai été votre maîtresse, parce que je vous aimais, mais je ne souffrirai pas qu’un arrêt me déclare votre concubine.

Singulier scrupule, chez une femme qui emplissait le monde du bruit et du scandale de ses amours.

La duchesse de Valentinois touchait à sa soixantième année mais toujours belle, toujours jeune, plus que jamais adorée de son amant, elle pouvait espérer encore un long règne, lorsqu’un terrible accident causa la mort de Henri II, encore dans toute la force de l’âge.

Depuis longtemps une prédiction menaçait le roi d’un danger inconnu ; voici ce que disait la centurie :

Le lion jeune le vieux surmontera
Au champ bellique, par singulier duel
Dans cage d’or les yeux lui crèvera
Deux plaies donnent la mort cruelle

Chacun pensait bien qu’il s’agissait de quelque combat singulier à armes courtoises ou non ; mais Henri II ne croyait pas aux horoscopes.

Aussi, lors du tournoi donné à l’occasion des mariages d’Élisabeth de France et de Philippe II, roi d’Espagne, et de Marguerite, sœur de Henri II, avec le duc de Savoie, l’amant de la duchesse de Valentinois descendit dans la lice. Déjà cent lances avaient été rompues, lorsque le roi voulut en courir une dernière contre un de ses gentilshommes, le comte de Montgomery.

Mais cette fois l’horoscope eut raison.

Atteint au-dessous de l’œil par le tronçon de la lance de Montgomery, Henri II, dangereusement blessé, dut être porté en son palais. On ne comprit pas d’abord toute la gravité de la blessure ; mais bientôt elle empira, et le roi fut en danger de mort.

— Que l’on n’inquiète pas le comte de Montgomery, avait dit le roi en tombant.

On s’était conformé à la volonté royale ; mais le meurtrier involontaire, le malheureux comte était au désespoir.

Grand était le deuil autour du lit du royal malade, grandes étaient les ambitions si longtemps comprimées qui commençaient à s’agiter. Les créatures de la duchesse de Valentinois, les amis des Guise sentaient le pouvoir leur échapper tous ceux qui s’étaient dévoues à Catherine de Médicis saluaient l’aurore de son règne.

Bientôt on en vint à compter les minutes que le roi avait encore à vivre. Alors Catherine jeta son masque. Sa haine contre la favorite, si longtemps contenue, éclata. Elle envoya l’ordre à la. duchesse de Valentinois de rendre les bijoux de la couronne qui lui avaient été confiés par son amant, et de quitter la cour sur l’heure.

— "Le roi est-il donc mort ? demanda-t-elle fièrement à celui qui avait été chargé de cette commission.

— "Non, Madame, répondit-il ; mais il ne passera pas la journée.

— "Je n’ai donc pas encore de maître, dit-elle. Je veux que mes ennemis le sachent bien : lorsque le roi ne sera plus, je ne les craindrai pas ; car si j’ai le malheur de lui survivre ; ce que je n’espère pas, mon cœur sera trop occupé de sa douleur pour que je puisse être sensible aux chagrins et aux dégoûts qu’on voudra me donner.

Henri mort, les courtisans s’éloignèrent de celle qu’ils avaient encensée aux jours de la prospérité. Retirée en son château d’Anet, elle ne dut le repos dont on la laissa jouir dans sa solitude, qu’à l’intervention du connétable de Montmorency, qui eut au moins ce rare courage de demeurer fidèle à une favorite tombée.

Elle put compter ses ennemis, le nombre en était immense. À leur tête était Gaspard de Saulx, depuis maréchal de Tavannes, qui, même du vivant du roi, haïssait si fort la favorite, qu’il avait proposé à Catherine de Médicis « d’aller couper le nez de la duchesse de Valentinois ». Et certes, il l’eût fait, sans la défense expresse de Catherine.

Un scandaleux procès la força un instant de sortir de sa retraite. Accusée d’avoir favorisé et partagé les rapines de ceux qui, sous son règne, avaient tenu les gabelles, elle fut condamnée à restituer des sommes considérables ; elle dut s’exécuter.

Elle avait eu de son mari, le comte de Maulévrier, deux filles, mariées du vivant de Henri aux ducs d’Aumale et de Bourbon ; mais ses gendres cessèrent de s’occuper d’elle du jour où elle devint inutile à leur ambition.

Fidèle au rôle de toute sa vie, la duchesse de Valentinois en consacra les dernières années à des œuvres de piété. Elle fonda même un hôpital, non loin de son château d’Anet, et une chapelle sous l’invocation de la Vierge immaculée. Sa haine contre les protestants avait redoublé avec ses malheurs peut-être, en essayant de les persécuter encore, croyait-elle racheter un scandaleux passé. Par une clause de son testament, elle déshéritait ses filles, si jamais elles venaient à abandonner la religion chrétienne.

Diane de Poitiers, comtesse de Brézé, duchesse de Valentinois, mourut à Anet, le 22 avril 1566, âgée de soixante-six ans, trois mois et vingt sept jours. Elle était si belle encore qu’elle ne paraissait pas la moitié de cet âge.