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Ch. de Sivry : Conte de l’autre monde

dimanche 1er mai 2022, par Denis Blaizot

Cette nouvelle est parue dans L’initiation de juin 1889 1889 (Vol. 3 n°9). Une recherche de Ch. de Sivry sur internet renvoie à Charles de Sivry (1848 1848 -1900 1900 ), musicien, compositeur et chef d’orchestre. La BNF lui attribue quelques œuvres textuelles. Ce conte n’en fait pas partie, mais de qui d’autres pourrait-il être ? D’ailleurs, les éditions Les Âmes d`Atala ont publié en 2014 2014 un recueil de contes de Charles de Sivry, Les Mauvais sous, contenant le texte ci-dessous :

Quoiqu’il en soit, voici une lecture agréable, un conte léger sur un fantôme bon enfant. Dommage qu’on ait l’impression de ne lire que le début de l’histoire.

Ceux qui, vivants, ne voient pas le Seigneur, morts, ne le verront jamais.

Fo-Hi

La petite servante peureuse m’avait conduit jusqu’à la chambre où je devais passer la nuit et, comme je le prévoyais, elle n’y pénétra qu’en tremblant comme une feuille, afin de vaquer aux derniers apprêts. Elle s’empressa de déposer auprès de la vaste cheminée les bûches qu’elle portait dans son tablier, fit la couverture en deux temps et s’enfuit en me jetant un Bonsoir, monsieur, bonne nuit ! plein de terreur et de compassion. J’entendis claquer ses sabots dans la sonorité du vieil escalier et, resté seul, je me mis à considérer en détail la fameuse chambre hantée.

Il y régnait cette odeur légère et pénétrante de mucre particulière aux vieilles boiseries. Cependant les murs n’accusaient aucune trace d’humidité. L’ameublement, quelque peu vermoulu, portait la date du siècle dernier. Le lit, très vaste, dont la peinture blanche avait pris des tons jaunâtres de vieil ivoire, était orné de rideaux de cretonne imprimée à larges dessins rouges, et, près de la cheminée où brûlait avec des crachements, des pétarades et des sifflements, un feu de bois vert, deux grands fauteuils tendaient leurs bras.

La fenêtre, à l’unique vantail, était garnie de petits carreaux dont quelques-uns, anciens, étaient verdâtres et boursouflés, mais dont les autres devaient avoir été tout récemment posés ; le mastic qui les assujettissait était encore tout blanc-neuf.

Ce détail me fit souvenir des contes fantastiques autant qu’invraisemblables qui couraient le pays au sujet de la maison.

Pendant plusieurs nuits, paraît-il, des projectiles de toute nature, pierres, morceaux de bois, débris de fers à cheval, etc., avaient été lancés contre la maison où ils avaient produit quelques dégâts et brisé pas mal de vitres. On avait aposté des gens, mis sur pied la gendarmerie et le clergé sans pouvoir ni mettre la main sur les auteurs de ces désagréables plaisanteries ni exorciser les démons qui ont bon dos et sur lesquels on rejetait naïvement la responsabilité de ces bizarres projections.

Je ne sais pas au juste si je crois plus au Diable qu’à la gendarmerie et je m’apprêtai à me coucher.

Les vieilles légendes de revenants, les contes de nourrices me passaient par l’esprit. Je me rappelai l’histoire de ce houzard1 auquel un spectre affreux, traînant des chaînes et vomissant des flammes, apparut une nuit dans un vieux château. Ce houzard était brave et, n’étant pas mort de peur, fut conduit par le fantôme jusqu’à certaine dalle d’une salle basse.

Le lendemain, il descella la dalle et trouva un trésor dont il s’empara et des ossements auxquels il fit pieusement donner la sépulture.

Or, comme les détails de cette histoire à dormir debout me hantaient, j’entendis — positivement — un lourd fracas de chaînes traînées dans la sonorité de l’escalier.

Ce ne pouvait être une fantaisie de mon imagination. Le bruit était réel et formidable. Mes hôtes, paysans honnêtes, fermiers de ma famille depuis tantôt vingt ans, étaient incapables de me faire une farce, une fumisterie, comme on dit maintenant. Était-ce donc quelque gredin, quelque vagabond abusant de la crédulité superstitieuse de ces braves gens pour se loger gratis ?

Je ne savais que penser lorsque, le bruit de ferrailles s’étant arrêté sur mon palier, j’entendis le claquement sec du loquet de ma porte et je vis celle-ci s’ouvrir très lentement.

Instinctivement, je reculai vers le lit et pris mon revolver dans la poche de mon pardessus.

Lorsque je me retournai, je me trouvai vis-à-vis d’une figure de haute taille, entièrement voilée d’un linceul et soigneusement ligotée avec des chaînes énormes.

J’allais parler, lorsque l’apparition me dit d’une voix lointaine très douce : Vous plairait-il, monsieur, de me débarrasser de tout cet attirail de chaînes et de suaires où votre imagination me tient empêtré, et voulez-vous me permettre de me chauffer à ce foyer ?

Devant cette courtoise façon de s’exprimer, ma terreur disparut soudain et, bien que je ne pusse encore deviner à qui j’avais affaire, je m’avançai bravement vers la cheminée et montrai du geste un des fauteuils comme pour inviter à s’asseoir mon étrange visiteur.

Dans le mouvement qu’il fit pour gagner la place que je lui désignai, son appareil funèbre disparut et je vis un grand vieillard sec et droit, la figure sympathique, vêtu d’un habit bleu pâle à longues basques, d’un gilet à fleurs, d’une culotte de satin pareille à l’habit comme nuance et de bas chinés.

Une chose me frappa, c’était le ton exagérément fané, passé, de ces vêtements, et puis l’ensemble de mon hôte qui semblait si peu matériel que je croyais voir au travers de son corps les objets placés derrière lui, comme s’il eût été de corne ou de verre dépoli.

—  Excusez, je vous prie, ma nocturne visite, mais je m’ennuie tellement que je suis fort heureux de causer avec un vivant. Tous mes amis d’autrefois sont morts comme moi, parfois même ils viennent me visiter ; mais pas assez souvent à mon gré.

—  Mais, hasardai-je, à qui ai-je l’honneur de parler ?

—  J’étais le chevalier de Grèges et j’habitais le château dont cette ferme était une dépendance et qui fut démoli, quelques années après ma mort, par la Révolution. Tenez, ajouta-t-il, regardez là, à côté du lit, derrière le rideau qui le masque Le Masque , voici mon portrait, un joli pastel, d’ailleurs.

J’allai regarder. Le portrait était frappant, et je remarquai que la nuance des étoffes était exactement la même que celle des vêtements de mon singulier interlocuteur :

—  Je m’ennuie affreusement, voyez-vous, monsieur, et puis, j’ai toujours froid depuis que je suis dans cet état bizarre qu’on appelle la mort. N’attendez pas de moi des révélations sur les choses de ce que vous appelez l’autre vie ; il n’y a rien du tout. On s’ennuie, on ne fait rien et on a froid. Vous voyez, c’est cela, rien de plus.

Je mis immédiatement deux bûches au foyer, et la grande flamme qui jaillit parut dessiner un pâle sourire sur les lèvres décolorées du chevalier.

—  Vos allures, continua-t-il, indiquent un homme de condition. Dites-moi, que fait-on à Versailles ? Comment s’appelle le roi de France ? Quel est le divertissement de mode à la cour ?

—  Mais, lui répondis-je, il n’y a plus de cour, l’herbe pousse entre les pavés désertés de Versailles dont on a fait un musée, et il n’y a plus de roi de France.

—  Ah ! dit-il simplement, alors, ainsi, il n’y a plus, rien ! On doit bien s’ennuyer. Ah ! vous regardez la fenêtre, ajouta-t-il en souriant. Oui, c’est nous qui avons cassé les carreaux, dernièrement. Romécamp des Saulaies et de Rieux étaient venus me voir. Nous ne savions que faire de notre temps et nous avons imaginé ce jeu de lancer contre cette fenêtre des pierres et d’autres menus objets que nous trouvions sur la route.

« On jouait à qui casserait le plus de carreaux, c’est de Rieux qui a gagné. Je regrette d’avoir causé du dommage à ces pauvres gens, d’autant que je serais fort embarrassé de les indemniser en quelque façon ; mais, que voulez-vous monsieur, je m’ennuie tant, et j’ai si froid !

Je rajoutai encore une bûche au foyer. Je me trouvais pris d’une véritable compassion pour ce pauvre gentilhomme défunt et frileux.

—  Vous semblez une âme en peine, chevalier, lui dis-je, et si quelques messes dites en votre honneur pouvaient vous être de soulagement, il est bien entendu que je suis tout à votre service.

—  Oh ! répondit-il en hochant la tête. Je vous remercie bien de l’intention galante, mais je suis très voltairien, et, faut-il vous l’avouer, je ne crois pas en Dieu.

Comme il disait cela, le petit jour bleuissait les carreaux neufs de la fenêtre ; et mon hôte, qui ne disait plus rien et se chauffait les mains, diminua soudain d’intensité. Il disparut graduellement, s’évanouissant dans la clarté de l’aube matinale, si bien qu’à un moment je ne vis plus que l’angle que faisait son habit bleu fané, dont la couleur disparut à son tour, se confondant avec le ciel pâle de l’aurore d’automne.

Et le coq chanta par trois fois.

Retrouvez cette nouvelle dans Histoires de fantômes une anthologie regroupant 27 nouvelles publiées entre 1826 et 1940 1940 .

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