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Manoël de Grandfort : La maison hantée
dimanche 1er mai 2022, par
Ce n’est pas l’auteure, Manoël de Grandfort (1829-1904), qui m’a fait me pencher sur ce texte. Même si elle a connu suffisament de notoriété pour avoir le droit à une page sur Wikipedia, je n’avais jamais lu son nom. Non. Je me suis intéressé à cette revue parce qu’on y a vu la publication d’un certain nombre de textes de Jules Lermina
Jules Lermina
Jules Lermina (1839-1915)
Journaliste, dramaturge et romancier, Jules Lermina est un écrivain prolifique. Gallica vous invite à découvrir une sélection de ses romans de genres classiques - romans sentimentaux, d’aventures, fantastiques et historiques - mais aussi de genres nouveaux, romans policiers et d’anticipation.
. Et, les choses étant ce qu’elles sont, J’ai décidé de regarder quels textes de fiction ils avaient bien pu insérer dans leurs pages.
Et me voilà avec une histoire de maison hantée qui n’a pas d’intérêt du point de vue fantastique qui est bien écrite et agréable à lire.
Il y a quelques années il me fut ordonné par la Faculté de quitter Paris, et d’aller passer l’hiver dans le Midi. Je choisis naturellement la ville où résidait ma famille, et vers le mois d’octobre je me rendis à Toulouse accompagnée de mon domestique Antoine et d’une femme de chambre, tous les deux depuis longtemps à mon service. Je louai près de chez ma mère et dans un quartier fort tranquille, une grande habitation que je fis meubler, je m’y installai assez rapidement, ayant adjoint aux gens que j’avais amenés, une femme du pays pour me servir de cuisinière.
La maison était un simple rez-de-chaussée bâti sur un vaste sous-sol où se trouvait la cuisine, les chambres des domestiques et une salle à manger d’été. Tout le haut m’était donc destiné. C’était confortable, en plein midi, très gai, très clair. Un petit jardin, plutôt une cour ornée, précédait le perron par lequel on arrivait chez moi, des murs très hauts me défendaient des voisins assez éloignés, du reste. La porte qui donnait sur la rue était une grande grille que dés le soir j’avais donné ordre de fermer à clef. De l’autre côté de la maison, et sans aucune communication par les jardins, une pelouse, une charmille, quelques carrés de rosiers : le tout garanti toujours par le mur d’enceinte. Je pouvais donc vivre là en toute sécurité comme dans une petite forteresse, admirablement gardée des rôdeurs.
La première nuit de mon installation je fus réveillée par un bruit assez étrange dont je cherchai de suite à me rendre compte, c’était comme si sans précautions aucunes on faisait l’appartement : des chaises enlevées, des fauteuils frappés, des meubles changés de place. J’ouvre les yeux, je vis que pas la plus petite lueur ne filtrait à travers mes persiennes et je songeai à part moi qu’il était bien matin pour qu’Antoine se livrât à ses travaux. J’allumai ma bougie, je regardai l’heure. Ma montre marquait minuit et demi. Ne comprenant rien à ce qui se passait, je sonnai si fort que mes domestiques effarés accoururent. Je leur racontai ce que j’avais entendu, les femmes prises de frayeur couchèrent dans mon cabinet de toilette et Antoine veilla toute la nuit dans la salle à manger en lisant Monte-Christo.
La seconde nuit fut également troublée par des pas étouffés, des glissements le long des murs, des froissements d’étoffe. Des livres que j’avais sur ma table furent jetés à terre, mes rideaux craquaient, on eût dit que des souris couraient sur mon lit, montaient et descendaient autour de moi... Je me levai et fus coucher dans mon cabinet de toilette absolument persuadée qu’une légion de bêtes s’était introduite dans ma chambre. Le lendemain je la fis visiter, nulle trace d’aucune sorte.
Je racontai cela chez moi et je priai mon frère de venir coucher à la maison. Le lendemain de la nuit qu’il y passa, il vint me trouver au saut du lit.
— Je ne suis pas poltron, me dit-il, mais j’ai entendu ici des choses si bizarres qu’à ta place je quitterais la maison. Sûrement elle est hantée. On a frappé à ma porte, au plafond et sur le parquet... Je suis très effrayé... Mes vêtements ont été déplacés... Il y a un Esprit dans la demeure. Pour rien au monde je n’y coucherais une seconde fois.
Les bruits continuèrent. Mes domestiques d’abord remplis de terreur s’habituèrent à la pensée que la maison était véritablement hantée par un Esprit que fort irrespectueusement ils appelèrent Coco. Coco nous fit tous les tours imaginables : il brûla une armoire et en démonta une autre. Un soir où je descendais dans le sous-sol on tira un coup de pistolet à côté de ma femme de chambre qui s’évanouit de terreur, et une forte odeur de poudre se répandit dans toute la maison. Par trois fois nous vîmes aussi dans l’obscurité de la nuit de grandes stries phosphorescentes se dessiner sur le plafond de ma chambre à coucher ; mais le plus singulier fait est celui-ci :
Tous les soirs on frappait un grand coup à la porte qui donnait sur le perron. J’ai dit que cette porte était défendue de la rue par des murs très hauts entourant la cour et par une grille complètement inaccessible. Quoiqu’il fût impossible de pénétrer sans que celle-ci fût ouverte, Antoine, persuadé qu’on nous jouait de mauvais tours, se mettait chaque soir en faction à l’intérieur de la maison, une main sur la targette, l’autre tenant un énorme gourdin dont il se proposait de châtier le farceur. Il restait ainsi souvent depuis neuf heures jusqu’à minuit sans qu’aucun coup se fit entendre, mais à peine avait-il tourné sur lui-même pour regagner sa chambre, qu’un coup formidable ébranlait toute la maison : d’un bond il était à la porte, l’ouvrait, fouillait le jardin... et n’y trouvait rien. Il neigea, les coups continuèrent à se faire entendre, la neige resta immaculée et cela dura tout le temps de notre séjour, huit mois environ.
Je me souviens d’un soir où ma mère avait dîné avec moi. J’étais un peu souffrante, je me couchai en sortant de table et elle s’assit près de mon lit. Nous causions fort tranquillement, les domestiques en bas, lorsque nous entendîmes rire près de nous... et au même instant on frappa trois coups à ma porte. Ma mère se leva toute pâle.
— Voilà Coco qui fait des siennes, dit-elle, je m’en vais, mais pour qu’il te laisse tranquille, je l’assure à haute voix que je vais faire dire des messes à son intention.
Elle le fit, mais la maison n’en continua pas moins à être hantée par Coco, et le bruit continua.
Eh bien ! savez-vous ce qu’il y a de plus étrange dans cette histoire ? c’est que moi très craintive, pour ne pas dire plus, dans l’habitude de la vie. je n’ai jamais eu peur, ça m’amusait presque. Coco était devenu un ami, et un jour où j’attendais une lettre importante, je lui demandai, tandis que ma femme de chambre me coiffait, si cette lettre arriverait le soir même. À l’instant trois grands coups frappés sur ma glace me répondirent oui. Une heure après le facteur m’apportait la missive attendue.
Quand je quittai la maison hantée pour revenir à Paris j’espérai que Coco me suivrait. Il n’en fut rien. Je ne l’ai plus entendu. Il n’est pas même resté dans la demeure où je l’avais connu ; je me suis informée de lui près des locataires qui sont venus après moi, ils m’ont regardée stupéfaits d’étonnement ; la maison bien bâtie, bien solide, est parfaitement tranquille, et en fait d’Esprit les dames de la maison m’ont sournoisement demandé si, d’aventure, ce n’était pas moi qui avais perdu le mien.
Je n’en sais rien ; tout ce que je puis dire c’est que dix à douze personnes peuvent certifier encore à l’heure qu’il est, que ce que je viens de vous raconter est absolument authentique.
Manoël de Grandfort