Accueil > Ebooks gratuits > Les contes des mille et un matins > Nonce Casanova : Danse nègre

Nonce Casanova : Danse nègre

samedi 26 juin 2021, par Denis Blaizot

Ce conte a été publié dans Le Matin du 18 avril 1922 1922 . Il fait, semble-t-il, partie d’une série de contes se passant en Afrique. Sont-ils tirés de récits de voyages ? Nonce Casanova Nonce Casanova Né en 1873 et décédé en 1957.
Il est actuellement quasiment oublié puisqu’une seule de ses œuvres est encore rééditée.
lui-même a-t-il fait un séjour sur le continent noir ? Sont-ils de pures fictions ? Mystère. Mais sachez les déguster [1].

Avant, d’arriver ici, Saâda avait traversé un bled de « six mois de long », comme disent les Arabes.

Vous ne pouvez pas vous figurer comme il y en a, des pays qui sont loin ! Le pays de Saâda, c’est là-bas, dans le sud, sur la Falémé, et il n’y a que des nègres comme elle. Les oranges y sont plus sucrées qu’ailleurs le bonheur y est plus sucré qu’ailleurs, aussi.

Si vous n’êtes pas un nègre de la Falémé, il est à peu près certain que vous n’en serez pas persuadé, car il faut être un nègre de la Falémé pour connaître, comme on le doit, les profondes amours qui s’épanouissent au cœur des petites dames yoloves, et les baisers qui brûlent leurs lèvres auprès desquelles celles des Mandingues ou des Soudaniennes ne sont que des bananes trop mûres tombées du bananier.

Ya baba ! Ya baba ! C’est une tribu unique que les dieux ont labourée pour y semer leurs gris-gris et, en récolter de la joie. Ils en font de belles moissons. On n’entend que des chansons sur les rives de la Falémé.

Saâda y avait chanté plus que les autres, et y avait dansé en boubou de calicot bleu, une perle rouge à la narine selon la mode. Mais, maintenant, elle n’y chantait plus depuis l’époque où le pollen des palmiers s’est envolé, elle n’y dansait plus, elle n’avait plus de perle rouge.

Et le souffle ardent des fêtes peut faire résonner toutes les cordes des « gombris », et frapper à coups de crosses sur la peau de chèvre des « tebouls », et agiter toutes les castagnettes de fer, il n’y a plus de musique pour le cœur de Saâda.

Parce que Moussa s’en est allé.

Oui, parce que Moussa s’en est allé.

Vous pensiez donc, vous aussi, que les pauvres cœurs noirs ne se déchirent pas lorsque leurs Moussas s’en vont ! O douces Sou-Sous, ô félines Kassonkés, ô vertueuses Niam-Niams, et tendres Matébélés, ô vous toutes, petites sauvages de Nyangoué au fouta-Djalon,pourquoi ne veut-on pas que vous ayez un cœur qui palpite, qui se broie, et sanglote ?

Moussa était venu, un jour, du pays achanti où les femmes sont belles. Ils s’étaient épousés, et leurs paroles d’amour s’étaient jointes aux murmures du sable et de la brousse. Puis, tout à coup, la tête de Moussa était devenue méchante. Il criait des blasphèmes, et ses poings étaient durs.

— Je suis l’ânesse ; tu es le maître de l’ânesse, disait Saâda doucement.

Et, quelquefois, lorsqu’elle rencontrait un chien affamé et couvert de plaies, elle le plaignait d’être aussi malheureux qu’elle. Cependant, elle ne se souciait pas de ne plus être insultée, ni battue, puisqu’elle l’était par celui dont la force était mêlée à l’ivresse de son amour.

Puis il arriva qu’elle ne fut plus qu’une petite négresse qui se lacérait le visage avec ses ongles.

Le maître de l’ânesse avait quitté le pays yolof. Les dieux malfaisants avaient emporté Moussa. Où ?

Elle questionna les nomades, elle finit par apprendre qu’il se trouvait, là-haut, dans une des villes du nord, presque à la fin des sables. EllUe appela, sur un caravanier qui le connaissait, la protection du ciel, et lui baisa les genoux pour qu’il lui permet d’entrer dans sa caravane. Il l’accueillit elle se rendit utile et le temps du voyage lui parut éternel.

Elle rencontra beaucoup de scorpions et de vipères à cornes, mais rien qui pût l’effrayer autant que sa crainte de ne pas retrouver Moussa.

Elle ne le retrouva pas. Ils étaient une compagnie de timbaliers, de flûtistes, et de joueurs de castagnettes, qui parcouraient le bled et ne devaient revenir qu’à la fête du mouton.

Saâda résolut d’attendre cette fête du mouton qui ramènerait Moussa.

Alors, avec les quelques sous que lui avait donnés le caravanier, elle se fit vendeuse à la porte du marché où elle s’accroupit devant une corbeille pleine de patates frites a l’huile et de pains gris mouchetés de grains de sésame.

C’est la pauvre Saâda du pays yolof qui attend Moussa.

Et la fête du mouton, et les you you you des sorcières sont venus, et le tam-tam joyeux est venu, et Moussa est venu aussi.

La corbeille aux patates frites à l’huile et aux pains de sésame s’est fermée ; Saâda n’est plus vendeuse ; elle n’est plus que la chienne errante du bled qui accourt lécher les mains du maître qui l’a battue. Elle s’est approchée de la maison de joie où il y a le plus de danses et de sacrifices. Elle s’est mêlée à la foule. Elle n’aperçoit pas Moussa, mais elle aperçoit les almées noires qui agitent des foulards, car les danses commencent. Ya baba ! Ya baba ! Comme elles sont belles avec leurs foutas de soie, et leurs ceintures d’or, et leurs guirlandes de jasmins, et leurs bijoux, et leurs chapelets de coquillages ! Alors Saâda a honte de sa mleïa rapiécée, de sa verroterie, et de ses bracelets de corne.

Mais c’est une amertume qui s’efface de son cœur parce qu’elle aperçoit Moussa. Elle l’appelle, elle fait de grands gestes, mais elle ne peut s’avancer dans cette bousculade, et le bruit infernal de cette musique et de ces ya baba empêche qu’il l’entende. Il crie plus fort que les autres en agitant une grappe de grelots ; on le croirait grisé par l’éblouissement des belles almées infatigables.

Enfin l’heure des sacrifices vient de sonner.

On se range. C’est l’entrée triomphale des quatre officiants aux casques de paille, et c’est Moussa qui, en apercevant Saâda auprès de lui, a un ricanement de colère. Il la prend par un bras et l’entraîne dans le fond de la cour.

Elle est tombée à genoux en murmurant avec une résignation d’esclave :

— Je suis l’ânesse et tu es le maire de l’ânesse.

Il tremble d’une telle rage que les mots tardent à venir à ses lèvres dont le noir est d’une teinte violette.

— Fille de chacal !… Qu’est-ce que tu es venue faire ici ?…

— Je suis venue te chercher, Moussa… Le mauvais simoun t’a tourné la tête d’un autre côté, et tu ne dois plus savoir où est le pays yolof.

Il lui donne un violent coup de pied dans le ventre. Elle s’affaisse sans pousser un cri.

C’est bien certain que le mauvaise simoun a tourné la tête de Moussa d’un autre côté, car lorsqu’il l’aperçoit étendue et gémissante, il semble plus furieux encore qu’elle soit venue, de si loin, l’importuner de son imploration amoureuse.

Ils sont seuls derrière des tas de palmes sèches et une rangée de chameaux accroupis ; il a sorti son couteau et en frappe la malheureuse, avec cette avidité de meurtre qui se mêlait, jadis, à celle des fauves, là-bas, sur les rives de la Falémé.

Dans la maison de joie les sacrificateurs sacrifient. Ya baba ! Ya baba ! Les almées noires prient, à présent, le front contre le sol. Les poules, sont purifiées dans la fumée de l’encens ; leurs têtes, tranchées d’un coup net, roulent aux pieds des égorgeurs.

Les almées se sont relevées elles dansent le pas du benjoin pendant une musique qui menace de faire s’écrouler les murs de boue sèche.

À un cri des officiants, tous trempent avec des hurlements, les mains dans le sang qui se coagule par terre et s’en barbouillent le visage. Ya baba ! Ya baba !

Et Moussa qui vient de rentrer se précipite, les mains en avant, comme les autres. Personne ne s’est aperçu qu’il les à déjà sanglants.

Nonce CasanovaAvant, d’arriver ici, Saâda avait traversé un bled de « six mois de long », comme disent les Arabes.

Vous ne pouvez pas vous figurer comme il y en a, des pays qui sont loin ! Le pays de Saâda, c’est là-bas, dans le sud, sur la Falémé, et il n’y a que des nègres comme elle. Les oranges y sont plus sucrées qu’ailleurs le bonheur y est plus sucré qu’ailleurs, aussi.

Si vous n’êtes pas un nègre de la Falémé, il est à peu près certain que vous n’en serez pas persuadé, car il faut être un nègre de la Falémé pour connaître, comme on le doit, les profondes amours qui s’épanouissent au cœur des petites dames yoloves, et les baisers qui brûlent leurs lèvres auprès desquelles celles des Mandingues ou des Soudaniennes ne sont que des bananes trop mûres tombées du bananier.

Ya baba ! Ya baba ! C’est une tribu unique que les dieux ont labourée pour y semer leurs gris-gris et, en récolter de la joie. Ils en font de belles moissons. On n’entend que des chansons sur les rives de la Falémé.

Saâda y avait chanté plus que les autres, et y avait dansé en boubou de calicot bleu, une perle rouge à la narine selon la mode. Mais, maintenant, elle n’y chantait plus depuis l’époque où le pollen des palmiers s’est envolé, elle n’y dansait plus, elle n’avait plus de perle rouge.

Et le souffle ardent des fêtes peut faire résonner toutes les cordes des « gombris », et frapper à coups de crosses sur la peau de chèvre des « tebouls », et agiter toutes les castagnettes de fer, il n’y a plus de musique pour le cœur de Saâda.

Parce que Moussa s’en est allé.

Oui, parce que Moussa s’en est allé.

Vous pensiez donc, vous aussi, que les pauvres cœurs noirs ne se déchirent pas lorsque leurs Moussas s’en vont ! O douces Sou-Sous, ô félines Kassonkés, ô vertueuses Niam-Niams, et tendres Matébélés, ô vous toutes, petites sauvages de Nyangoué au fouta-Djalon,pourquoi ne veut-on pas que vous ayez un cœur qui palpite, qui se broie, et sanglote ?

Moussa était venu, un jour, du pays achanti où les femmes sont belles. Ils s’étaient épousés, et leurs paroles d’amour s’étaient jointes aux murmures du sable et de la brousse. Puis, tout à coup, la tête de Moussa était devenue méchante. Il criait des blasphèmes, et ses poings étaient durs.

— Je suis l’ânesse ; tu es le maître de l’ânesse, disait Saâda doucement.

Et, quelquefois, lorsqu’elle rencontrait un chien affamé et couvert de plaies, elle le plaignait d’être aussi malheureux qu’elle. Cependant, elle ne se souciait pas de ne plus être insultée, ni battue, puisqu’elle l’était par celui dont la force était mêlée à l’ivresse de son amour.

Puis il arriva qu’elle ne fut plus qu’une petite négresse qui se lacérait le visage avec ses ongles.

Le maître de l’ânesse avait quitté le pays yolof. Les dieux malfaisants avaient emporté Moussa. Où ?

Elle questionna les nomades, elle finit par apprendre qu’il se trouvait, là-haut, dans une des villes du nord, presque à la fin des sables. EllUe appela, sur un caravanier qui le connaissait, la protection du ciel, et lui baisa les genoux pour qu’il lui permet d’entrer dans sa caravane. Il l’accueillit elle se rendit utile et le temps du voyage lui parut éternel.

Elle rencontra beaucoup de scorpions et de vipères à cornes, mais rien qui pût l’effrayer autant que sa crainte de ne pas retrouver Moussa.

Elle ne le retrouva pas. Ils étaient une compagnie de timbaliers, de flûtistes, et de joueurs de castagnettes, qui parcouraient le bled et ne devaient revenir qu’à la fête du mouton.

Saâda résolut d’attendre cette fête du mouton qui ramènerait Moussa.

Alors, avec les quelques sous que lui avait donnés le caravanier, elle se fit vendeuse à la porte du marché où elle s’accroupit devant une corbeille pleine de patates frites a l’huile et de pains gris mouchetés de grains de sésame.

C’est la pauvre Saâda du pays yolof qui attend Moussa.

Et la fête du mouton, et les you you you des sorcières sont venus, et le tam-tam joyeux est venu, et Moussa est venu aussi.

La corbeille aux patates frites à l’huile et aux pains de sésame s’est fermée ; Saâda n’est plus vendeuse ; elle n’est plus que la chienne errante du bled qui accourt lécher les mains du maître qui l’a battue. Elle s’est approchée de la maison de joie où il y a le plus de danses et de sacrifices. Elle s’est mêlée à la foule. Elle n’aperçoit pas Moussa, mais elle aperçoit les almées noires qui agitent des foulards, car les danses commencent. Ya baba ! Ya baba ! Comme elles sont belles avec leurs foutas de soie, et leurs ceintures d’or, et leurs guirlandes de jasmins, et leurs bijoux, et leurs chapelets de coquillages ! Alors Saâda a honte de sa mleïa rapiécée, de sa verroterie, et de ses bracelets de corne.

Mais c’est une amertume qui s’efface de son cœur parce qu’elle aperçoit Moussa. Elle l’appelle, elle fait de grands gestes, mais elle ne peut s’avancer dans cette bousculade, et le bruit infernal de cette musique et de ces ya baba empêche qu’il l’entende. Il crie plus fort que les autres en agitant une grappe de grelots ; on le croirait grisé par l’éblouissement des belles almées infatigables.

Enfin l’heure des sacrifices vient de sonner.

On se range. C’est l’entrée triomphale des quatre officiants aux casques de paille, et c’est Moussa qui, en apercevant Saâda auprès de lui, a un ricanement de colère. Il la prend par un bras et l’entraîne dans le fond de la cour.

Elle est tombée à genoux en murmurant avec une résignation d’esclave :

— Je suis l’ânesse et tu es le maire de l’ânesse.

Il tremble d’une telle rage que les mots tardent à venir à ses lèvres dont le noir est d’une teinte violette.

— Fille de chacal !… Qu’est-ce que tu es venue faire ici ?…

— Je suis venue te chercher, Moussa… Le mauvais simoun t’a tourné la tête d’un autre côté, et tu ne dois plus savoir où est le pays yolof.

Il lui donne un violent coup de pied dans le ventre. Elle s’affaisse sans pousser un cri.

C’est bien certain que le mauvaise simoun a tourné la tête de Moussa d’un autre côté, car lorsqu’il l’aperçoit étendue et gémissante, il semble plus furieux encore qu’elle soit venue, de si loin, l’importuner de son imploration amoureuse.

Ils sont seuls derrière des tas de palmes sèches et une rangée de chameaux accroupis ; il a sorti son couteau et en frappe la malheureuse, avec cette avidité de meurtre qui se mêlait, jadis, à celle des fauves, là-bas, sur les rives de la Falémé.

Dans la maison de joie les sacrificateurs sacrifient. Ya baba ! Ya baba ! Les almées noires prient, à présent, le front contre le sol. Les poules, sont purifiées dans la fumée de l’encens ; leurs têtes, tranchées d’un coup net, roulent aux pieds des égorgeurs.

Les almées se sont relevées elles dansent le pas du benjoin pendant une musique qui menace de faire s’écrouler les murs de boue sèche.

À un cri des officiants, tous trempent avec des hurlements, les mains dans le sang qui se coagule par terre et s’en barbouillent le visage. Ya baba ! Ya baba !

Et Moussa qui vient de rentrer se précipite, les mains en avant, comme les autres. Personne ne s’est aperçu qu’il les à déjà sanglants.

Nonce Casanova Nonce Casanova Né en 1873 et décédé en 1957.
Il est actuellement quasiment oublié puisqu’une seule de ses œuvres est encore rééditée.


[1Attention ! Les œuvres de nonce Casanova ne sont pas dans le domaine public.