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J. - A. de Munto : Le secret de Merlin

dimanche 30 mai 2021, par Denis Blaizot

Ce conte de J. - A. de Munto a été publié dans Le Matin du 31 mars 1922 1922 .

Qui est cet auteur ? Pour moi, c’est un mystère Un mystère Collection de romans policiers en format poche reconnaissables par leur logo.
Créée à la fin des années 40, elle a perduré jusqu’à la fin des années 60 avant de changer de présentation puis de disparaître. De grands nom du roman policier ont eu le plaisir devoir une partie de leur œuvre publiée dans cette collection.
. Tout ce que j’ai réussi à déterminer, c’est il a rédiger un certain nombre d’articles dans des revues de cinéma durant l’entre-deux-guerres. Le fait que Munto soit le nom d’un personnage de Manga n’aide certainement pas. Mais le nombre de résultats renvoyés par les moteurs de recherche sur ce nom ne sont pas légion. Nous ne saurons donc pas si ce texte est dans le domaine public ou non.

Mais faisons-nous plaisir. Il vaut le détour... ce petit conte fantastique et humoristique.

Mon vieil ami Merlin, que mon père et mon grand-père ont toujours connu, m’intriguait beaucoup depuis que j’avais découvert dans un vieux coffre une lettre de mon grand-père à mon bisaïeul qui commençait par ces mots : « Notre vieil ami Merlin est venu aujourd’hui pour nous voir. »

D’autre part, je possède une gravure sur bois, une gravure sur cuivre, un daguerréotype et une photographie récente qui représentent le visage de Merlin. J’ai fait expertiser dernièrement la gravure sur bois qu’on m’a assuré être du début du XVe siècle, et la gravure sur cuivre, qui est une Bervic authentique de 1789.

Quant au daguerréotype et à la photographie, l’un et l’autre portent leurs dates respectivement 1840 et 1910 1910 , dates que je crois inutile de contester.

Il m’arrivait souvent d’aller voir Merlin chez lui. Son cabinet de travail était un véritable laboratoire et ressemblait à l’antre d’un astrologue. Il y avait là des cornues et des alambics qui devaient dater du temps de Louis XI.

Merlin lui-même, au milieu de ce mystérieux désordre, marchait avec une gravité de sorcier. Je me plaisais à transformer par l’imagination sa calotte noire en un long chapeau pointu et sa blouse en une ample robe brodée de lunes et d’étoiles. Il m’apparaissait ainsi digne de chercher la pierre philosophale.

Il avait des cheveux blancs fins comme de la soie floche. Ses yeux étaient si profondément enfoncés que les éclairs qu’ils jetaient semblaient venir d’un autre monde. Je le vis pour la dernière fois il y a quelques mois. Il était occupé à activer la chaleur d’un four dont l’ouverture laissait passer le bec d’une cornue. Il ne parut pas remarquer ma présence et continua sa besogne. Puis il ouvrit le four, retira la cornue avec précaution, la vida et haussa les épaules.

— Tu vois, me dit-il, je sais bien des choses, j’ai l’expérience de plusieurs générations. Eh bien, voilà cent ans que je cherche ça et je n’ai encore rien trouvé.

Puis il éclata de son rire sarcastique.

— Mais quel âge avez-vous donc ? lui dis-je.

— Je suis né en 1340, me répondit-il sérieusement ; j’ai toujours connu ta famille, et tu peux te vanter d’être d’une bien ancienne souche. À l’âge de quatre-vingts ans, j’ai donné à tous mes amis une gravure sur bois de ma tête — c’est ainsi qu’alors on photographiait les gens — et tu es le seul à en posséder encore une.

Puis il réfléchit :

— Voyons... à qui l’ai-je donc donnée, cette gravure ?... Était-ce à Mathias ou à Thomas ?... Je n’ai plus de mémoire. Tu sais, je suis partisan de la théorie des tiroirs. Quand la boite est pleine et qu’on veut la remplir encore, elle se vide d’un autre côté.

Il commençait à faire sombre.

— Reste-t-il de l’huile dans la lampe ? me demanda-t-il.

J’allumai l’électricité.

Ses côtes résonnèrent d’un long rire.

Puis il ajouta :

— La science fait bien peu de progrès. Les revues scientifiques sont pleines d’hérésies. Tiens, lis-moi donc cela.

Et il me tendit un article sur la prolongation de la vie par des préparations à base de glandes interstitielles.

Il entrecoupait ma lecture de démoniaques éclats de rire. Ses yeux brillaient comme des charbons, puis devenaient ternes. Son rire était maintenant une effrayante toux sèche. Je le crus malade et j’interrompis ma lecture. Mais il m’engagea à continuer.

Alors, je finis l’article :

« Et nous pouvons espérer, disait son auteur, que bientôt, grâce à cette découverte sensationnelle et pleine de promesses, il nous sera possible d’augmenter la longévité humaine. Sera-ce vraiment pour le plus grand bien de l’humanité ?

Merlin écoutait avec des soubresauts.

Puis, il eut encore un grand éclat de rire qui secoua d’une façon inquiétante toute sa vieille carcasse.

— Dieu qu’ils sont compliqués, me dit-il. Tiens, c’est bien plus simple que tout cela. Moi, pour prolonger la longévité...

Il s’arrêta, puis se mit encore à rire.

Et, brusquement, il mourut.

J.-A. de Munto