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Évariste Carrance : La Fin du Monde

dimanche 25 avril 2021, par Denis Blaizot

Cet article est paru dans La Vie Mystérieuse n°5 — 10 mars 1909 1909

Les grands mouvements géologiques, les déchirures de la croûte terrestre, les catastrophes humaines qui les ont suivis, ont, à toutes les périodes de l’histoire du globe, pesé d’un poids formidable sur l’esprit de ses habitants.

Et combien de nos frères latins de Messine, malgré leur culture si développée, ont songé, pendant la grande nuit tragique, qui ouvrait la terre mugissante, renversait les palais et tuait la moitié des habitants, que la fin du Monde allait venir... qu’elle était venue ! Pendant je ne sais plus combien de siècles, des prédictions sinistres, qui couraient le monde, annonçaient de temps en temps sa prochaine disparition.

Et dans ce concert sinistre, il convient de faire remarquer que les prophéties évangéliques, les textes de l’écriture sainte et les pères de l’Élise faisaient dignement leur partie.

On pouvait boire et manger jusqu’à son dernier écu, la catastrophe effroyable allait avoir lieu, noire pauvre petit monde désagrège allait éclater comme un pétard.

L’an mille, la muscade humaine devait disparaître par suite de la venue de l’antéchrist.

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Vers 960, un ermite de la Thuringe, nommé Bernard, fut un des promoteurs les plus actifs de l’immense erreur qui allait remuer les masses, et les absorber au point de leur faire tout délaisser pour la prière et la pénitence.

Il annonça publiquement que le monde allait finir, et que Dieu lui en avait fait la révélation.

Un moine de Corbie, Druthmare, avait fixe la destruction défi­nitive au 25 mars.

À l’heure indiquée, l’effroi fut si grand que le peuple, en bien des villes, resta dans les églises jusqu’à minuit, afin d’y attendre le signal du jugement dernier et de mourir au pied de la croix.

Mais le signal terrible ne fut pas donné.

Le 29 mars, vers le soir, on vit un immense dragon sortir d’un nuage, en répandant partout un éclat fulgurant.

Quelques jours plus tard, on aperçut des armées qui se donnèrent d’étonnantes « tripotées » dans le ciel.

Et le lendemain ce fut une pluie de sang qui tomba.

Un chroniqueur de cette étrange époque, Raoul Glaber, parle des prodiges qui indiquaient d’une façon absolue la fin du Monde.

C’est ainsi qu’il cite la rencontre d’une baleine monstrueuse sur les côtes de l’Océan, l’éruption du Vésuve, des hérésies, des incendies violents, une effroyable éclipse de soleil, et les yeux du christ versant un torrent de larmes dans une église d’Orléans.

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On se traîna ainsi dans une peur lamentable jusqu’en 1010.

À cette époque, la cité sainte, Jérusalem, ayant été occupée par des infidèles, toute la chrétienté se prépara à mourir.

La chose, certainement, ne pouvait tarder.

La croyance à la fin prochaine amena dans les habitudes de la vie un véritable bouleversement. On ne travailla plus. Les seigneurs firent don de leurs biens aux monastères et aux églises et les serfs abandonnèrent les champs pour se livrer à la prière.

Dans plusieurs de ces chartes de donation, on lit :

« La fin du monde approchant et sa ruine étant imminente », etc.

Et les moines et les curés, moins convaincus, sans doute, acceptaient ces riches prébendes offertes par l’imbécillité humaine.

Les résultats de ce détachement général des travaux de la terre ne lardèrent pas à se faire sentir.

Une affreuse famine s’abattit sur l’univers chrétien pendant cinq ans et le peuple en fut réduit a dévorer de la chair humaine.

Cette fois, la fin du monde approchait rapidement, et Glaber, le même chroniqueur cité plus haut, put écrire : « Le genre humain fut menacé d’une destruction prochaine. On eût dit que les éléments furieux s’étaient déclaré la guerre, quand ils ne faisaient qu’obéir à la vengeance divine en punissant l’insolence des hommes. »

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En 1186, les astrologues effrayèrent l’Europe en annonçant une conjonction de toutes les planètes, laquelle devait causer des ravages extraordinaires — et même la fin du monde !

En 1198, on fit encore courir le bruit de la fin du monde, et cette fois ce n’était pas par des phénomènes célestes qu’elle devait arriver, « on proclamait simplement la naissance de l’antéchrist à Babylone ! »

Arnaud de Villeneuve, alchimiste, mort en 1314, annonça la « grande fin » pour 1333 ; sous Charles VI, en 1406, une éclipse du soleil fut l’objet d’une telle panique que Juvénal des Ursins l’a consignée en ces termes :

« C’estoit grande pitié de voir le peuple se retirer dans les églises, et croyoit-on que le monde dust faillir. »

Saint Vincent Ferrier prophétisa la fin du monde en Italie, en Allemagne et en France, ce qui ne l’a pas empêché d’être canonisé... au contraire ! D’ailleurs, pour nous être agréable, Saint Vincent recula l’heure effroyable ! Il donna au monde autant d’années qu’il y a de versets dans le psautier, 2.537 environ... et il prit pour base de son calcul la naissance de Jésus-Christ.

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Ils sont nombreux ceux qui ont prédit la fin de notre misérable globe, et pour les citer tous la place nous ferait défaut. Au XVe siècle, c’est Jean Mauni dans son livre : De futuris christianorum triumphis in turcos et saracenos ; au XVIe, c’est Nostradamus et Mathieu Laensberg ; c est l’astrologue Stoffler, un allemand, qui annonça, pour le 20 février 1524, un déluge universel.

Et la panique recommença de plus belle, et un docteur de Toulouse, nommé Auriol, voulut, à l’exemple de Noé, faire construire un bateau pour le recevoir avec sa famille !

Je vous fais grâce de tous les autres astrologues, savants, docteurs ; de Jean Carrion, astrologue de l’électeur de Brandebourg, du bohémien Cyprien Léowitz, du hongrois Régiomentanus, du chanoine Moreau, du mathématicien Andreas, du théologien Guillaume Wiston, de l’abbé Fiard, du comte de Sallemard-Montfort, de l’allemand Libestein, qui tous, tous, prédirent à brève échéance la désagrégation et la fin dz notre monde si tourmenté.

Mais tous ces gens-là ont clairement démontré qu’ils ne connaissaient rien à l’affaire. C’est à la fin du siècle actuel que la grande catastrophe doit survenir.

Leur vue bornée s’est arrêtée en chemin.

Ce qui prouve très sérieusement la fin rapide, la fin prochaine de ce monde railleur, sceptique, incroyant et bête...?

Ce n’est pas difficile à deviner.

C’est, d’abord, la création de ces monstrueuses ligues néomalthusiennes qui détruisent la famille...

Les fabricants d’absinthe et d’alcools frelatés, qui détruisent la santé.

Les massacres en masse dans certains pays ...

Les guerres qui s’allument...

Les fusillades, les inquisitions, les despotismes !

Allez, la On du monde est proche...

Aveugle qui ne la voit pas venir...

Dieu se sert des vices et des méfaits des hommes pour en rapprocher le terme !

Évariste Carrance Évariste Carrance Évariste Carrance est un littérateur français né à Bordeaux le 3 octobre 1842 et mort le 31 octobre 1916, probablement à Agen ou à Colayrac, connu entre autres pour avoir été l’un des découvreurs de Lautréamont, dont il publie en 1869 le premier des Chants de Maldoror. .