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Robert Heinlein : Tout sur le projet Gemini

mercredi 27 octobre 2021, par Denis Blaizot

Robert Heinlein ? vous connaissez ? Certainement si vous êtes vraiment amateur de SF. Et Mécanique populaire ? Non ? Alors vous ne savez pas qu’il a écrit un article pour cette revue mensuel de vulgarisation scientifique. L’article qui suit, publié dans le N°206 (juillet 1963 1963 ) est un mélange subtil de prospective et d’information sur l’état de l’art. Le programme Gemini n’en était qu’à ses débuts et nous étions encore loin des exploits du programme Apollo. Et pourtant Heinlein imagine le voyage spatial du futur. Bon. Ce qu’il décrit pour 1984 1984 n’aura sans doute pas lieu avant 2034. 50 ans de retard. Négligeable. :-) On m’en voudra de le mettre en ligne ? J’espère que non.

Tout sur le projet GEMINI

Un écrivain de science-fiction vous emmène à bord d’un futur navire spatial qui prend déjà maintenant forme dans le projet Gemini.

Par Robert HEINLEIN

..... 1984 1984 , environ.....

La fusée porteuse quitte Manna Loa Port, Hawaï ; ses passagers ont été tranquillisés et se trouvent attachés à des couches profilées. Dans quelques instants la fusée porteuse se détachera et replongera dans l’atmosphère « ascensionnelle » où l’engin effectuera un vol plané sous le contrôle de son pilote.

L’aviateur dirige la fusée en vol plané vers le Pacifique et se pose sur l’eau à la manière d’un hydravion. Il le fait avec une telle précision que son navire remorqueur ne se trouve qu’à quelque 15 kilomètres.

Une corde de traction est fixée à la fusée, une équipe de halage monte à bord et son pilote est embarqué après avoir effectué un vol d’un peu plus d’une heure et avoir été effectivement occupé pendant environ 15 minutes. Il est payé, pour ce travail, plus de 100 dollars (500 F) par minute mais ce salaire est justifié ...

L’essentiel est que la fusée porteuse extrêmement coûteuse ait été sauvée pour effectuer une autre fois l’ascension. Avec un entretien adéquat, il n’y a pas de raison qu’elle s’use. Ce fait constitue l’une des causes pour lesquelles le voyage spatial sera relativement bon marché en 1984 1984 .

La sécurité, la technique en matière de rendez-vous dans l’espace et la récupération de navires placés sur orbite rendront les voyages interplanétaires de demain bon marché. Et ce ne sont plus des sujets de rêveries. Ils font partie des objectifs du Projet Gemini — un programme très vivant bien subventionné et qui avance à toute vapeur.

Les préparatifs du Projet Gemini sont actuellement effectués au National Aeronautics and Space Administration’s Manned Spacecraft Center (Centre National d’aéronautique et d’administration spatiale pour véhicules interplanétaires à passagers) à Houston, Texas. Ce projet constitue la prochaine étape dans la conquête de l’espace.

fig. 1 : Ce sac à dos spatial, appelé SMU (unité d’auto-manœuvre), sera utilisé par les astronautes pour réparer ou assembler des pièces à l’extérieur du navire spatial. Attaché au dos de l’homme de l’espace le sac contient un système de scaphandrier, des réacteurs et des dispositifs de stabilisation et de contrôle. Au cours des vols d’essai (à droite), un ingénieur en état de non-pesanteur se meut à l’intérieur d’une cabine d’avion à réaction de haute altitude.

Mais, n’oublions pas le deuxième étage et la cabine du navire de 1984 1984 qui poursuit sa trajectoire et s’approche de l’orbite...

Le deuxième étage transporte la cabine sur une orbite circulaire autour de la Terre avant de se séparer d’elle ; son pilote utilise ensuite les rétro-fusées pour ralentir le véhicule vide, lorsque celui-ci replonge dans l’atmosphère. Quand il aura suffisamment ralenti le navire, il sortira un paraglisseur ou aile delta Rogallo en matière plastique spécialement conçue pour résister à la chaleur avec trois manchons remplis d’azote servant de bras d’aile. Ce dispositif, qui sert autant de parachute que d’aile, permet au pilote de placer son véhicule sur le terrain d’atterrissage — un lac desséché dans le désert de Mohave.

Le troisième étage, c’est-à-dire la section des passagers reste sur l’orbite. Sa destination est « l’île spatiale Goddard » — une station spatiale habitée, ainsi nommée d’après l’un des premiers pionniers américains en matière de fusées, Robert H. Goddard. Les passagers changeront ici de véhicule pour emprunter la fusée lunaire actuelle. Mais l’île se trouve encore sur une orbite assez éloignée et la partie contenant les voyageurs ne dispose pas d’assez de carburant pour pouvoir l’atteindre. La première tâche consiste donc à réaliser la rencontre avec un navire de ravitaillement sans pilote. pour utiliser son carburant pour le reste du voyage.

Le cargo-citerne aura été mis sur orbite quelques heures ou jours plus tôt et le moment du rendez-vous aura été choisi de telle manière qu’il se trouverait précisément au-dessus de Hawaï dans l’angle du véhicule des voyageurs.

Le commandant du véhicule spatial dispose, pour les manœuvres de corrections de la vitesse et de la trajectoire, de l’aide des systèmes de radar compliqués et de machines calculatrices se trouvant au sol et dans son propre navire. Tous les renseignements relatifs à la trajectoire sont programmés et introduits dans le dispositif de pilotage automatique. Il ne prendra lui-même les commandes que lorsque la distance ne sera plus que de 30 km et qu’il apercevra le feu clignotant du navire de ravitaillement.

Pendant l’opération de rapprochement, il envoie son copilote à l’extérieur du navire pour vérifier et s’il y a lieu, réparer un défaut éventuel de l’antenne de radar et il note ce détail sur le livre de bord. En réalité, il n’y a pas de mauvais fonctionnement, mais le copilote reçoit une bonne prime pour « risque spécial » de travail effectué en costume pressurisé à l’extérieur d’un navire sur orbite. C’est une supercherie classique, tolérée par le centre et employée par les chefs d’équipe pour récompenser les bons copilotes.

Lorsque le navire est à quelque 100 mètres du cargo-citerne, le commandant amorce la manœuvre de jonction. Il se met en position de sorte que le nez de son véhicule s’ajuste à la cavité de jonction dans la proue du navire-citerne ; il saura que les deux vaisseaux sont liés l’un à l’autre, lorsqu’il ressentira l’enclenchement du dispositif d’accrochage.

Les passagers sont attachés. à leurs sièges pendant cette manœuvre, mais celle-ci est effectuée avec une douceur telle qu’elle est à peine perceptible.

Le commandant commence maintenant avec l’aide des calculateurs et radars installés sur les bases au sol une manœuvre plus longue. Son navire jumelé quittera l’orbite circulaire pour prendre une orbite elliptique. dont l’apogée est tangente à l’orbite de l’ile spatiale « Goddard » et la vitesse a été calculée de telle manière que le navire et la station spatiale atteindront en même temps un même point.

Une capsule Gemini à deux places sera peut-être lancée en automne 1964, à l’aide d’une fusée porteuse « Titan II », pour réaliser la jonction dans l’espace avec un navire-citerne non occupé « Agena-D ». Loin dans l’espace (à droite), le premier étale de la grande fusée se détache et tombe.

La manœuvre est effectuée sans incident sauf que les deux docks d’embarquement de Goddard sont occupés. Notre navire reste à une distance d’environ 1,5 km sur la même orbite et attend. Après quelques minutes, le navire à quai quitte son emplacement et notre cargo-citerne se place doucement en marche arrière dans la cale vide. La cabine des voyageurs est halée dans une douille plus petite qui se trouve à proximité.

Les voyageurs débarquent pour attendre le navire lunaire.

Tout ce qui vient d’être dit, fait partie du Projet Gemini. Chaque manœuvre décrite dans le passage ci-dessus sur l’année « 1984 1984  », à l’exception de l’île spatiale, sera expérimentée — ou rejetée — par Gemini.

Lorsque le projet Gemini aura été exécuté, dans deux ans peut-être, on aura alors fait le progrès nécessaire pour mener à bien les voyages spatiaux réguliers et sûrs. Le facteur de la mise au point de vraiment très grandes fusées porteuses, n’est pas impliqué dans le projet Gemini, mais il fait partie d’autres projets.

L’objectif du projet Gemini est de tracer, de développer, construire et lancer une série de véhicules spatiaux occupés par deux hommes, contrôlés par les pilotes et capables de se maintenir en orbite pendant une période allant jusqu’à deux semaines. On se livrera en cours de vol à des manœuvres de réparation ou d’entretien y compris les réparations effectuées à l’ extérieur du vaisseau par un homme en combinaison spatiale. Un rendez-vous précis sera fixé avec un navire de ravitaillement non occupé, ou effectuera la jonction et manœuvrera’ le tout comme si les deux ne constituaient qu’un seul véhicule. Les deux vaisseaux se sépareront finalement pour faire un atterrissage doux sur la Terre. Pendant un vol spatial on simulera des réparations à l’extérieur de la capsule.

Le programme Gemini prévoit l’envoi à un moment donné d’un navire-citerne Agena sur une orbite circulaire d’une altitude de 250 kilomètres et un circuit qui l’amènera deux fois par jour au-dessus de Cap Canaveral. Quand son orbite précise aura été déterminée, on lancera la fusée Gemini occupée de deux hommes sur une orbite elliptique qui l’approchera d’Agena de quelques centaines de kilomètres.

Les deux véhicules effectueront les manœuvres sous le contrôle du sol jusqu’à ce qu’ils soient sur un même plan et éloignés l’un de l’autre de 400 kilomètres. Le radar de Gemini se fixera alors sur Agena et le dispositif de pilotage automatique contrôlera les réacteurs qui permettront au navire de se diriger vers son objectif.

L’Agena émettra une lumière clignotante permettant de le distinguer de la lumière constante des étoiles et les astronautes l’apercevront à partir d’environ 30 kilomètres. Peu après ils se serviront des commandes manuelles pour rapprocher les deux engins l’un de l’autre.

Longtemps avant cette manœuvre le moteur du vaisseau-citerne aura été tourné de telle manière qu’il soit à l’avant et que l’autre extrémité avec l’anneau d’accouplement sur les amortisseurs de chocs se retrouve à l’arrière. Les deux véhicules voleront à plus de 27 000 km/h, mais on pense que la vitesse du contact ne sera. pas supérieure à 30 ou 60 cm/seconde, un choc très doux.

Le deuxième étage se sépare du navire lorsque l’orbite est atteinte (à gauche). La capsule et le vaisseau qui constituent l’objectif sont mis en position d’accouplement grâce aux contrôles effectués au sol et au radar du navire spatial ; les astronautes accompliront eux-mêmes la manœuvre d’accrochage.

Le véhicule-citerne peut être endommagé s’il est heurté, trop fortement ou sous un mauvais angle. Si l’occlusion n’est d’autre part pas effectuée comme il faut, le vaisseau-citerne se trouvera talonné et repoussé au loin. Une autre tentative deviendra nécessaire. Mais Gemini a 16 petits réacteurs pour accélérer, ralentir, changer d’altitude et de direction. Les astronautes devraient être en mesure d’accoupler les deux engins sans difficulté ; ils sont automatiquement connectés l’un à l’autre.

Les occupants de Gemini contrôlent alors l’énorme moteur et le chargement de carburant de l’Agena. Ils peuvent inverser le vaisseau jumelé afin d’avoir le moteur à l’arrière et exécuter dans l’espace des manœuvres de grande envergure. Ils pourront passer d’une orbite circulaire sur une orbite elliptique, tout comme notre engin spatial de 1984 1984 en route pour Goddard.

Mais, pour le moment, n’y songeons pas encore. Après quelques manœuvres, la capsule Gemini se détachera à nouveau d’Agena et retournera vers la Terre en laissant en fin de compte plonger l’Agena dans une mort ardente dans l’atmosphère. L’opération de détachement pourrait être un peu difficile, étant donné que des travaux de laboratoire ont montré que les métaux ont tendance à fusionner dans le vide. On ignore si ce fait se produira à une altitude de 250 à 300 km. À titre de précaution, les astronautes seront en mesure de faire exploser l’enclenchement afin de séparer les navires.

Les deux hommes installés dans Gemini porteront des combinaisons molles d’une couleur métallique dorée ou argentée et des casques mous qui se gonflent par insufflation. Ils peuvent enlever des parties de leur combinaison en, vue d’un plus grand confort quand la cabine est pressurisée. Ils ne remettront la combinaison que lors du retour dans l’atmosphère ou quand la cabine est dépressurisée exprès pour permettre l’ouverture d’une trappe par laquelle l’astronaute sort dans l’espace.

On pressurisera en outre les combinaisons dans le cas peu probable où le vaisseau peut être atteint par des météorites. La paroi de Gemini est assez solide pour résister à des météorites de la grosseur d’une tête d’épingle, mais ceux de la taille d’une bille pourraient la traverser. L’air de la cabine s’échapperait, mais suffisamment lentement pour permettre aux astronautes de pressuriser leurs combinaisons.

La première et la deuxième capsule lancées dans le cadre du programme Gemini atterriront à l’aide de parachutes, comme les capsules Mercury. Après quoi chaque engin atterrira sous le contrôle du pilote au moyen d’un paraglisseur ouvert à environ 20 000 m. En réglant la position du paraglisseur à l’aide de câbles et en modifiant son centre de gravité, les astronautes pourront atterrir n’importe où à l’intérieur d’un couloir de 80 km de large et de 700 km de long. Le train d’atterrissage de Gemini est constitué de traverses et poutrelles semblables à celles du X 15.

Quelque part au Texas, on envisage actuellement de mettre au point ces vols. Un champ de blé, un lit sec d’un lac ou tout désert plat conviendrait parfaitement ; l’engin atterrira avec une vitesse de 70 km/h et la vitesse d’impact dépendra de l’adresse du pilote. Pour des raisons de sécurité, l’engin sera également en mesure de se poser sur l’eau. Le navire spatial Gemini est évidemment un véhicule très petit pour deux hommes et ceci parce que nous n’avons pas encore de fusées porteuses réellement grandes. Les ingénieurs concevraient volontiers un vaisseau plus grand si nous avions l’énergie nécessaire pour le lancer.

Sur le dessin supérieur, un astronaute passe de sa capsule au laboratoire spatial par l’extérieur ; dans une autre version, il entre directement dans le laboratoire.

Gemini est une fois et demi plus grand et ressemble extérieurement à la capsule Mercury. Mais la ressemblance s’arrête là. Mercury n’était rien de plus qu’un passager. Dans une capsule Mercury, l’astronaute était un chimpanzé.

La capsule Mercury est bourrée de dispositifs automatiques, circuits en double exemplaire, et de fils électroniques et mécaniques de tout genre. Les lancements de capsules Mercury ont prouvé qu’un astronaute peut effectivement contrôler son navire, ce qui simplifierait une partie des installations.

La capsule Gemini est contrôlée et manœuvrée par le pilote. Elle est équipée pour contrôler sa fusée porteuse Titan II dans son ascension et peut se séparer d’elle ou avorter le lancement si cela est nécessaire. Le navire spatial peut changer d’altitude et de direction dans le vide de l’espace. Et son tableau de bord est cependant extrêmement simple. Les instruments, inscriptions et boutons sont peu nombreux. Il n’y a qu’un manche de contrôle semblable au manche à balai des avions de sport à un moteur. Il se trouve entré les pilotes. Il n’y a pas de pédales. En dépit des nombreux réacteurs, la tuyauterie est limitée.

Le principal défaut du véhicule spatial Gemini est constitué par sa taille terriblement petite. Votre reporter n’est pas un claustrophobe ; j’ai effectué quelques plongées en mer profonde, exploré quelques passages étroits dans les grottes, je ne tremble pas si je suis emprisonné dans un ascenseur. Mais j’ai trouvé les 20 minutes dans le siège du pilote du Gemini plus que suffisantes bien que je savais que je pouvais le quitter à n’importe quel moment.

On prévoit qu’un vol du Gemini durera deux semaines, ce qui signifie qu’il y a lieu d’emmagasiner dans ce petit compartiment suffisamment de vivres pour nourrir pendant ce laps de temps deux hommes adultes. Ne pensez pas aux « pilules », c’est une idée de Buck Rodgers. La nourriture y occupera autant de place que dans votre réfrigérateur.

Trop longue « solitude à deux »

Les deux astronautes seront couchés l’un à côté de l’autre et séparés d’environ 30 cm. Nos deux astronautes auront heureusement été choisis en dehors d’autres impératifs, tous motivés, également selon leurs caractères chose nécessaire, étant donné qu’il me semble que le péril le plus grand de ce voyage de deux semaines sera constitué par une trop longue « solitude à deux ». Sous de telles conditions, il serait facile de haïr même Hélène de Troie pour ne rien dire d’un autre homme non débarbouillé.

L’espace trop étroit ne leur permet pas d’enlever leurs combinaisons spatiales (qui les démangent entre les omoplates !) bien qu’ils soient en mesure d’ouvrir les fermetures éclair de certaines parties et de plier en arrière leurs casques. Même les besoins physiques doivent être effectués avec la combinaison mise.

Ce sont là certains parmi les graves inconvénients que nos astronautes devront endurer du fait qu’une fusée porteuse plus importante fait encore défaut. Dans l’état imparfait actuel de cet art, il faut manifestement beaucoup d’héroïsme pour voyager dans le ciel sur une colonne en feu, mais je pense qu’il faut un héroïsme d’un autre genre pour se retenir de ne pas taper sur votre compagnon de cellule après avoir écouté pendant deux semaines son ronflement à quelques’ centimètres de votre oreille.

Le programme Gemini comprend la construction de douze véhicules spatiaux et on espère que le premier engin balistique (non orbital) non occupé, pourra être lancé à la fin de cette année ; deux hommes seront alors placés sur orbite au printemps de 1964 1964 . Si tout va bien, on procédera à la première tentative de connexion avec l’Agena-D. Si elle réussit, tous les problème de base essentiels des vols spatiaux seront résolus.

Il y a des gens qui prédisent que les Russes seront sur la Lune en 1965 1965 . Cela se pourrait.

Ils ont probablement une avance dans la course à l’espace. Mais Gemini pourrait permettre aux Américains de les rattraper et dépasser.

Un paraglisseur s’ouvrira à une altitude de 20 000 m et permettra à la capsule Gemini d’effectuer un atterrissage doux à un endroit choisi à l’avance ; mais les deux premiers atterrissages de la capsule se feront encore avec l’aide d’un parachute.