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Maurice Renard : La victime était un romancier
vendredi 6 novembre 2020, par
Là, pas de doute ! Le commissaire Jérôme nous relate bien une de ses enquêtes. Dommage que le format retenu pour une publication n’ait pas donné à Maurice Renard Maurice Renard l’occasion de nous révéler qui était le complice.
Le commissaire Jérôme lissa ses moustaches blanches et sa barbiche, avant de conter cette histoire du temps qu’il était inspecteur.
— J’arrivai à Saint-Léonard, me dit-il, sur les quinze heures, en auto. À la gendarmerie, le maréchal des logis, un vieux qui avait encore bon pied bon œil, m’exposa les faits avec beaucoup de précision. Il avait le tort, seulement, de conclure hâtivement — à mon avis du moins.
» — C’est un suicide, monsieur l’inspecteur. Et voilà comment nous l’ayons appris. D’une façon assez curieuse, vous allez voir.
» Ce matin, c’était le marché ici. Et voilà que le garde-champêtre nous amène un vagabond qui s’était laissé prendre à voler une paire de chaussures à l’étalage d’un ambulant. J’interroge le bonhomme. Ses papiers n’étaient pas en règle. De plus, en le fouillant, on trouve sur lui une belle montre en or.
» — Où as-tu pris ça ?
» Là-dessus il se trouble terriblement. Depuis le début, je voyais bien du reste, qu’il était dans ses petits souliers. Et il s’écrie :
» — Monsieur le gendarme, je vais vous dire la vérité et je vous supplie de me croire. Je ne suis pas un assassin, vous savez ! Je ne ferais pas de mal à une mouche, moi. Ce n’est pas moi qui ai tué le monsieur !
» — Quel monsieur ?
» — Un monsieur que j’ai trouvé mort hier après-midi dans les bois, en bordure d’un sentier. Il avait près de lui un revolver et aussi cette montre-là, qui brillait dans l’herbe. Je me suis dit que si un autre passait par là, il pourrait bien rafler la montre. Alors n’est-ce pas, je l’ai empochée. Appelez-moi voleur, si vous voulez, mais pas assassin. Ah ! Quelle idée que j’ai eue de prendre cette montre ! Elle commençait à me tourmenter. Peut-être bien que je serais venu vous la rapporter et vous raconter toute l’histoire !...
» Naturellement, monsieur l’inspecteur, j’ai coffré l’individu, et, sur ses indications, nous sommes allés à la recherche du cadavre. Nous l’avons trouvé dans les communaux d’Herville, en plein bois, sur un sentier perdu que ce monsieur fréquentait dans ses promenades solitaires. C’était un vieil original, un romancier plus ou moins amateur qui habitait tout seul, une maison isolée, à l’écart d’Herville. Personne ne s’inquiétait de lui, parce qu’il ne s’occupait de personne.
» Il s’est suicidé hier matin, exactement à huit heures. En effet, il avait encore à la main le revolver dont il s’était tiré une balle à la tempe droite, et nous avons découvert dans son portefeuille le papier que voici. Vous pouvez lire :
» J’ai décidé de quitter ce monde à 8 heures précises. Ma montre est sous mes yeux. Elle marque 8 heures moins cinq. Les aiguilles tournent. Moins quatre. Moins trois. Je vais serrer ce papier dans mon portefeuille. Et adieu la vie ! »
» Voilà les faits, monsieur l’inspecteur.
» — Et voilà, dis-je, maréchal des logis, un romancier qui mettait du roman jusque dans sa vie, jusqu’au bout de sa vie ! Cette phrase est romanesque à souhait.
» — Déformation professionnelle, dit le ̃maréchal des logis avec une petit air content de son savoir.
» — Évidemment. N’empêche que votre vagabond est plutôt veinard. Sans cette déclaration du suicidé, il risquait gros. On aurait repéré la trace de ses pas. Et la possession de cette montre le perdait, alors qu’au contraire elle l’innocente tout à fait, puisque le vieux littérateur avait encore son chronomètre quand il a pressé la détente. Car nous ne pouvons supposer, n’est-ce pas, que le chemineau soit arrivé juste à point pour commettre son méfait. Une telle coïncidence est inadmissible.
» — Et puis, reprit le gendarme, alors, il aurait dévalisé sa victime. Et il n’a emporté que la montre, parce qu’elle « traînait », comme il dit. Le portefeuille contenait 300 francs. — Voulez-vous voir le détenu, monsieur l’inspecteur ?
» — Pas tout de suite, répondisse. Rien ne presse. »
Ici, le commissaire Jérôme prit un temps, taquina sa barbiche en me regardant, et poursuivit :
— J’employai le reste de l’après-midi à me renseigner sur place concernant le romancier défunt, ses habitudes et plusieurs autres choses qui me paraissaient dignes de ma curiosité. Puis je revins à Saint-Léonard, et me fis amener le voleur de la montre et des chaussures.
» Il ne payait pas de mine. Je l’apostrophai :
» — Tu rôdes dans le pays depuis quelques jours déjà. Inutile de le nier. Moi, je le sais parce que tout me le prouve. Mais si tu le contestais, il ne manquerait pas de témoins pour te reconnaître. Je pense même que certains diraient que tu ne te gênes pas pour entrer dans les maisons dont tu trouves la porte ouverte... Et c’était le cas pour ce pauvre romancier qui, confiant, allait se promener en laissant son logis à la garde de la Providence... Tu aimes lire les romans. Je ne t’en blâme pas. Mais qu’as-tu fait du manuscrit dans lequel tu as découpé la fameuse phrase : « J’ai décidé de quitter ce monde à 8 heures ? » Tu l’as brûlé, hein ? Ou bien l’as-tu caché au même endroit que les quelques billets de mille dont ta victime ne se séparait jamais, ce qui était facile à deviner de la part d’un homme qui ne fermait pas sa modeste maison ?
» Je voyais devant moi un être béant de stupeur et qui suait d’angoisse.
» — Dis où tu as caché les billets de banque. Allons ! Un peu de franchise, on t’en saura gré.
» Alors il révéla la cachette : un vieux mur en ruines. Et, parti dans la voie des aveux, il semblait ne plus pouvoir s’arrêter.
» — C’est exprès que je me suis fait prendre sur le marché, dit-il. Comme ça, le coup de la montre paraissait plus naturel.
» — Tu peux te taire, lui dis-je. Nous savons tout cela.
» Mais ce que j’ignorerai toujours, c’est le nom du complice qui veillait discrètement à ce que nul passant n’emportât sans vergogne le portefeuille contenant le fameux papier. »