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Maurice Renard : Le Photographe insoupçonné

vendredi 30 octobre 2020, par Denis Blaizot

Cette nouvelle enquête du commissaire Jérôme est parue le 6 octobre 1934 1934 dans Le Matin.

Cette fois-ci, si le commissaire utilise bien ses talents d’enquêteurs, on ne peut vraiment pas parler d’enquête policière. Il s’agit en effet, d’un anecdote de la vie du héros. Il y raconte à Gaillard, son subordonné et narrateur habituel de ces historiettes, comme il s’est marié et divorcé presque aussi vite. Sympathique, elle donne du corps au héros mais ne satisfera pas le lecteur qui attend une énigme policière.

Les choses n’eurent pas de suite, mais il arriva que certaine jeune fille de ma connaissance me parut posséder les qualités requises pour faire le bonheur d’un homme dans mon genre. Aussitôt, je m’empressai de demander à mon chef, l’inspecteur divisionnaire Jérôme, ce qu’il pensait du mariage en général et en particulier, de celui d’un détective.

Il n’y alla point par quatre chemines et me déclara que, à son sentiment, un policier ne devait pas se marier.

Décontenancé par une réponse que j’avais espérée tout autre, je le priai de bien vouloir s’expliquer ; Mais, à mon air démonté, à ma rougeur, il s’aperçut que des mobiles personnels m’avaient provoqué à l’interroger, et il en conçut visiblement beaucoup d’ennui.

– Mon Dieu, fit-il en baissant les yeux pour mieux dissimuler son embarras, notre profession, n’est-ce pas, est si dangereuse.

– Hum ! Je crois, mon maître, que vous déguisez votre pensée...

– Je voue assure, mon cher Gaillard.

– Dites-moi, je vous en supplie, pourquoi êtes-vous resté célibataire ? Fût-ce pour mettre en pratique le principe que vous énonciez tout à l’heure ?

– Eh ! fit Jérôme avec une grimace assez plaisante. C’est que, précisément, j’ai été marié.

Et cédant à mes instances, l’inspecteur me conta l’histoire suivante.

– C’était un parti inespéré. Elle s’appelait Jacqueline. Disons plutôt : elle s’appelle ; car sa santé égalait sa beauté, et, si mes souvenirs sont exacts, elle doit compter, aujourd’hui, trente-trois printemps, pas davantage.

 » On avait parlé de moi, dans les Journaux, à propos de l’affaire de la rue Servandoni. La petite demoiselle, terriblement romanesque, en eut la tête tournée, elle voulut me connaître. Représentez-vous une enfant affreusement gâtée par un père trop bon, qui ne lui refusait rien. Elle jura de m’épouser et, ma foi, je me laissai faire, trouvant du reste qu’elle était charmante et qu’un peu de luxe n’avait rien de désagréable. Oh ! je m’étais bien dit que Jacqueline, fantasque, snob, « à la page », etc., n’était pas la compagne qu’il m’aurait fallu. Mais, je le répète, elle me plaisait. Et puis, que serait-il arrivé si on lui avait refusé son « héros » ? Le pire dénouement, peut-être ! Je ne me vante pas, je parle ici en chroniqueur, objectivement.

 » Or, durant les premiers mois de notre union, je ne pus que me féliciter de mon sort. Très vite, l’exaltation du début avait fait place, en Jacqueline, à une tendresse tranquille que je préférais bien davantage. Ma femme était calme, pondérée, aimable. Je ne déplorais qu’une chose, c’était que sa façon de vivre et l’exercice de mes fonctions nous permissent trop rarement d’être ensemble. Elle n’avait rien changé à ses habitudes mondaines et sportives ; quant à moi, passionnément épris de mon métier, je menais l’existence mouvementée que vous savez et qui, à cette époque, comporta malencontreusement une série de voyages à l’étranger.

 » Au mois d’août qui suivit nos noces, une affaire de contrebande internationale détermina mon départ pour les États-Unis, où il était prévu que je séjournerais au moins trois semaines. Aventure périlleuse ; bootleggers, gangsters à la clé. Je ne me déplaçais jamais avec ma femme, mais de toutes les expéditions que j’avais faites depuis notre mariage, celle-là était, bien la dernière où j’eusse accepté qu’elle m’accompagnât.

 » Je vous dirai, un jour, ce que j’ai fait là-bas. La chose en vaut la peine. Aujourd’hui, tenons-nous en à la créature qui était alors Mme Jérôme.

 » Il avait été convenu que, pendant mon absence, Jacqueline irait faire une saison au bord de la mer, du côté de Royan, à Saint-Cosme-les-Bains, petite plage très retirée. Je pris vingt-quatre heures pour aller l’installer dans une gentille villa, puis je partis, direction New-York, l’âme en paix et le cœur confiant.

 » En Amérique, je reçus de Jacqueline autant de lettres que je l’avais prévu, et, de mon côté, je lui écrivis souvent, malgré la bousculade à laquelle je prenais part. J’eus la chance de remporter un franc succès après quoi, cinq semaines tout juste s’étant écoulées depuis mon débarquement, je me rembarquai pour la France, avec l’intention de filer le plus tôt possible sur Saint-Cosme.

 » Mais, surprise délicieuse Jacqueline m’attendait sur le quai du Havre. Abandonnant sans esprit de retour la petite station balnéaire, elle était rentrée à Paris sur l’annonce de mon arrivée, et, impatiente de revoir son mari, le fameux détective dont les « exploits défrayaient toute la presse, elle était venue au-devant de moi, radieuse !

 » Il ne m’était pas permis de m’attarder au Havre. Dans le train qui nous emportait tous deux vers Paris, je contemplais Jacqueline de tous mes yeux, comme on dit. Je ne l’avais jamais trouvée si séduisante, si sereine, ni plus tendre. Elle s’était brunie, au grand Soleil de Saint-Cosme, comme une petite doudou de la Martinique. Ah ! ces cheveux blonds près de ce teint foncé ! Vous ne sauriez croire, Gaillard, ce que c’était joli ! Elle avait de plus, un peu minci, très à propos. Elle faisait aller et venir son alliance le long de son doigt, en me baignant dans l’innocence infinie d’un regard bleu de ciel. Et moi, tant j’étais troublé, je ne savais que dire...

 » Je dis quelque chose comme :

 » – Tu as pris des bains de soleil, Line !

 » Elle me donna ses deux petites mains de mulâtresse. Et je dis, tout autrement :

 » – Jacqueline, mon petit, où avez-vous passé le temps de mon absence ?

 » Elle se mit à rire très bruyamment.

 » Mais, voyons, à Saint-Cosme !

 » Je ne pense pas. Jacqueline. Parce que, à Saint-Cosme, vous ne pouviez être que ma femme, que Mme Jérôme.

 » – Eh bien ?

 » – Or, vous avez certainement fréquenté quelqu’un auprès de qui vous désiriez passer pour une femme libre de tout lien, – quelqu’un qui est donc un homme, et un homme soit scrupuleux, soit timoré ;, qui s’interdit de s’approprier le bien d’autrui.

 » – Vous êtes fou !

 » – Aucunement. Mais vous, Jacqueline, vous ne serez jamais raisonnable, à ce que je vois. Toujours romanesque, aventureuse !

 » Là, elle prit le parti de se fâcher, de s’indigner, mais sans plus chercher toutefois à se défendre.

 » – C’est honteux ! Vous m’avez fait espionner par vos mouchards. Je vous hais... Je vous hais...

 » – Jacqueline, dis-je tristement, je vous donne ma parole que personne ne vous a surveillée. ?

 » – Menteur ! Menteur ! Comment sauriez-vous...

 » – Je ne mens jamais, repris-je. Je ne mens pas plus que les simples choses elles-mêmes, qui savent parler à qui sait les questionner. Jacqueline, vous qui naguère ne quittiez votre alliance sous aucun prétexte, vous ne l’avez pas gardée à votre doigt sur cette plage qui n’était pas selle de Saint-Cosme, quand vous preniez vos bains de soleil en compagnie de l’honnête homme – ou du poltron – qui devait ignorer mon existence.

 » – Je n’ai jamais ôté mon alliance !

 » – À d’autres, petite fille, à d’autres Regardez ma main. Regardez mon alliance. Moi, je ne m’en suis débagué ni jour ni nuit, comme il se doit ; et moi aussi, comme vous, je suis hâlé, bien que ce hâle là, je ne l’aie pas attrapé en faisant le lézard au bord de la mer, soyez-en sûre ! Eh bien ! j’enlève mon anneau. Que voyez-vous ? Vous voyez qu’il laisse autour de mon annulaire un cercle pâle. Vous voyez que cet anneau, le soleil l’a photographié – c’est le mot propre – au contour de mon doigt, qui en retient la trace fidèle, l’image en clair. Et vous, à votre doigt ? Rien. Conclusion : vous n’auriez pas dû épouser un policier. Et nous allons réparer cette erreur, n’est-ce pas ?

 » Peu de temps après, mon cher Gaillard, j’avais divorcé.

– Maintenant, dis-je à mon chef, je m’explique très bien votre opinion sur le mariage des détectives. Mais – excusez-moi – toutes les femmes ne sont pas des Jacqueline.

– Oh ! se récria Jérôme avec vivacité, en y mettant l’accent d’une grande politesse. Bien entendu ! Bien entendu !

Je ne sais trop si le souvenir de cet entretien eut quelque influence sur ma décision. Toujours est-il que, comme je le disais en commençant mes projets matrimoniaux n’eurent pas de suite.

Maurice Renard Maurice Renard