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Maurice Renard : Le vol du Bouddha

vendredi 23 octobre 2020, par Denis Blaizot

Deuxième nouvelle de la série des enquêtes du commissaire Jérôme. Elle fut publiée dans Le Matin du 04 novembre 1933 1933  [1].

Toujours aussi courte, mais toujours aussi sympathique. Je vais vous faire profiter de la série complète !!

Le 1er septembre au matin, à l’expiration de mon congé, je me présentai à mon chef. Jérôme me tendit la main par-dessus son bureau toujours chargé de dossiers.

— Bonnes vacances, Gaillarde ? Mine superbe ! Content de vous revoir, mon petit. Vous allez m’accompagner tout de suite. Il s’agit d’un vol, rue Marbeuf. En voiture je vous dirai ce que j’en sais.

Nous montâmes dans l’une des autos de service, et le commissaire divisionnaire reprit aussitôt :

— L’ancien banquier Lewis est mort en juillet, comme vous savez. Or, sa fille unique, Mme Maurice Breuckel, s’est aperçue, hier soir, qu’un objet de grande valeur a disparu de l’appartement du défunt, rue Marbeuf. Il s’agit d’un Bouddha en or massif, enrichi de pierres précieuses. Ce Bouddha se trouvait, parait-il, sur la cheminée de la chambre du vieux Lewis, avec beaucoup d’autres choses très diverses. Mme Breuckel n’a encore rien changé à l’appartement, qui est, selon ses dires, tel que son père l’a laissé. Les domestiques ont été congédiés le lendemain du décès, à l’exception de deux : premièrement, le chauffeur, William Green, qui est entré au service de M. Maurice Breuckel une quinzaine de jours plus tard ; deuxièmement, la gouvernante, miss Maud Murphy, que Mme Breuckel a chargée de garder l’appartement jusqu’à nouvel ordre. Mme Breuckel n’est pas venue souvent rue Marbeuf depuis son deuil. Ce logis désert l’attriste. C’est bien compréhensible. Sa dernière visite avant celle d’hier remonte au 13 août. Elle affirme que, ce jour-là, elle a vu pour la dernière fois le Bouddha près de la pendule. Hier, elle ne l’a pas retrouvé, ni là ni ailleurs. Mme Breuckel, bien entendu, a interrogé miss Murphy. Celle-ci ne s’explique pas comment l’inestimable idole a pu être soustraite. Elle certifie que personne sauf elle-même n’a pénétré dans la chambre à coucher depuis la dernière visite de Mme Breuckel, donc depuis le 13 août. Miss Murphy n’avait pas remarqué l’absence du Bouddha parmi toutes ces choses entassées sur la cheminée. Voilà ce que Mme Breuckel est venue me dire hier soir.

— Cette dame n’a-t-elle aucun Soupçon ? demandai-je.

Jérôme ! tira son calepin, et, le consultant :

— Mme Breuckel met hors de cause, un peu à la légère, les quatre domestiques qui se sont replacés il y a un mois. Elle dit que ces gens lui inspirent une confiance absolue. Il n’en est pas de même pour le dénommé William Green. Celui-là lui déplaît, et c’est malgré elle que son mari. lâché brusquement par son chauffeur, l’a engagé.pour l’emmener sur-le-champ à Londres où l’appelaient ses affaires, où il aime circuler dans sa propre voiture et où il est encore. Mme Breuckel m’a confié qu’elle soupçonnait ce Green. Notez, mon petit Gaillard, que ce garçon a logé rue Marbeuf jusqu’au 15 août, jour de son départ pour l’Angleterre avec M. Breuckel. Mme Breuckel ayant vu le Bouddha suer la cheminée le 13 août, rien ne nous interdit de supposer que Green a volé l’objet entre le 13 et le 15...
 » Je ne pense pas qu’un examen des lieux ni qu’un interrogatoire de la gouvernante nous apprennent grand’chose. Enfin, nous allons voir.

Mme Breuckel nous attendait en compagnie de miss Murphy, qu’elle semblait honorer d’une grande sympathie : Mme Breuckel une femme extrêmement simple. et chic, d’environ 45 ans. Miss Murphy une longue. Anglaise entre deux âges, dont les traits et les yeux étaient empreints d’une douceur allant jusqu’à l’effacement.

I1 y avait dans la chambre à coucher cette cheminée couverte d’une foule de bibelots disparates, dont quelques-uns avaient été rapprochés pour masquer le vide laissé par le Bouddha. Il y avait encore une vaste table où l’on voyait un appareil téléphonique et beaucoup d’articles de bureau. L’appartement était situé au premier étage, la chambre donnait sur une cour-jardin, et, comme il faisait beau, le soleil projetait sur les murs l’ombre de feuillages.

Jérôme examina le décor du vol, et, sans s’adresser à l’une des femmes plutôt qu’à l’autre, 11 demanda si l’on avait fouillé partout dans la maison.

Là-dessus, miss Murphy insista, avec autant de douceur que d’obstination, pour que sa propre chambre et ses malles fussent visitées. Mme Breuckel, d’abord, lui dit très affectueusement. « Mais non Mais non ! miss Murphy puis, en riant, fit remarquer qu’une telle perquisition ne servirait de rien, de toute façon, parce que à supposer que miss Murphy eût chipé le Bouddha, elle ne l’aurait sûrement pas gardé dans sa chambre »

Mais Jérôme donna satisfaction à l’Anglaise. Elle nous guida joyeusement, tant elle paraissait bien aise de faire contrôler son innocence. Et nous ne trouvâmes rien d’intéressant, à mon sens.

Cependant Jérôme examinait une série de petites photos. Miss Murphy expliqua que, avant qu’on enlevât les meubles de cet appartement, elle avait voulu photographier les principales pièces d’une maison où elle avait vécu de longs jours heureux.

Mme Breuckel, émue, l’embrasse.

Jérôme regardait attentivement la photo représentant la chambre de feu Lewis, avec le Bouddha sur la cheminée, près de la pendule — et la table.

— Vous avez pris cette vue instantanée le 17 août à 10 heures du matin, lui dit Jérôme. La pendule m’indique l’heure, car elle n’était pas arrêtée ; la position oblique du balancier en est la preuve. Pour la date, le calendrier à fiches mobiles sur le bureau, me la révèle. J’avais d’ailleurs observé, tout à l’heure, que vous le tenez à jour.

Miss Murphy, confuse et douce, acquiesça timidement. Mme Breuckel s’écria :

— Mais voilà un témoignage d’où il ressort lumineusement que le Bouddha était encore à sa place le 17 août, deux jours après le départ de Green pour Londres ! Et cela règle tout, en ce qui le concerne ! Ce n’est pas lui le voleur !

— Parfaitement, confirma Jérôme. Mais je vous demande la permission de me retirer pendant quelques instants dans la chambre de M. Lewis avec mon collaborateur et d’emporter cette photographie. Venez Gaillard.

Je le suivis. Il ferma derrière nous ; la porte de la chambre à coucher. Et il tira sa montre, qui marquait comme la pendule, 10 heures et quelques minutes, à peu près l’heure où le cliché avait été pris par miss Murphy.

— Favorable coïncidence, dit-il, et qui me permet d’affirmer que l’heure de cette photo n’a pas été truquée ; que miss Murphy, avant d’opérer, n’a pas avancé ou retardé la pendule.

— Comment le savez-vous, chef ?

— Je le sais parce que, depuis la mort du vieux Lewis, le soleil ne s’est pas déplacé sensiblement. À la même heure, il porte approximativement les mêmes ombres aux mêmes endroits. Regardez au mur l’ombre de cette branche elle occupe la même place sur la photo et dans la présente réalité. Il était donc bien 10 heures quand miss Murphy a photographié cette chambre. Mais était-ce bien le 17 août ? Question capitale !...
 » Voyez le calendrier. Il est composé de trois jeux de fiches :1° les noms des jours 2° les chiffres des quantièmes 3° les noms des mois. Donc, rien de plus simple que de composer ici une fausse date, de postdater la photo par conséquent, et de faire croire, par ce moyen, que le cliché, pris en réalité plusieurs jours avant le 17 août, a été pris le 17 août même. Supposez que miss Murphy et Green soient complices, cette photo n’aurait été prise que pour innocenter Green, comprenez-vous ?... Or, miss Murphy a singulièrement insisté pour que je perquisitionne chez elle, opération d’où devait résulter la découverte, par moi, de ce cliché trompeur.

— Bravo ! m’écriai-je. Mais comment savoir si, miss Murphy a truqué le calendrier, autrement dit si elle a photographié la chambre et le Bouddha non pas après le départ de Green, mais avant ?

Mon chef contint à demi un sourire entendu. Il s’empara du téléphone, et obtint la communication avec l’Observatoire,. Il se nomma, puis :

— Je désirerais connaître la hauteur barométrique actuelle... Vous dites 776 millimètres ? Bien. Ne quittez pas...
 » Gaillard, vérifiez si l’aiguille du baromètre qui se trouve sur la cheminée indique bien 776. Oui ? Parfait. Ce baromètre fonctionne donc exactement comme celui de l’Observatoire.
 » Allô ! Allô L’Observatoire ? Veuillez me faire connaître la hauteur barométrique au 17 août, à 10 heures du matin... J’attends... 728... Oh ! Très bas. Orageux... Bien. Merci. »

Il me tendit la photographie et une loupe. Et je vis que, au lieu de marquer 728 millimètres, le baromètre photographié marquait 760.

— Clair comme le jour ! fit Jérôme. Miss Murphy n’a pas pensé au baromètre, témoin irrécusable de sa fraude et qui démolit tout son échafaudage. La photo n’a pas été prise le 17. C’est donc qu’elle a été prise antérieurement. C’est donc que le chauffeur est coupable, de complicité avec miss Murphy. Nous allons télégraphier à Scotland-Yard. Le Bouddha est à Londres, soit dans la valise de green, soit chez un receleur.

Maurice Renard Maurice Renard


[1numérisation disponible sur gallica