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Charles Kymrell : Le monde du XXVe siècle (56e partie)

mercredi 15 octobre 2025, par Denis Blaizot

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LXXXIV – Une évasion à travers les airs

Qu’était devenue Oudja pendant que Napal mettait si bien à profit l’expérience qu’il avait acquise en Europe ?

On se souvient que, séquestrée par Sivadgi dans une chambre solitaire, livrée à ses réflexions, abîmée par le chagrin d’une séparation qu’elle croyait éternelle entre elle et Napal, la jeune fille passait ses journées dans les larmes et ses nuits sans sommeil. Seules, sa mère, et Synga qui la servait, avaient permission de l’approcher.

Nous savons que l’accorte soubrette correspondait avec Papillon. Désolée du désespoir d’Oudja, inquiète surtout de l’état de sa santé, elle avait envoyé à son grand ami, c’est ainsi qu’elle appelait Papillon, la lettre que ce dernier avait communiquée à Geirard et à Napal.

Une semaine s’écoula sans qu’elle reçût aucune nouvelle. Synga commençait à désespérer, car elle connaissait Papillon. Son silence prolongé n’était pas naturel, et la charmante enfant pleurait en songeant que peut-être celui qu’elle aimait avait succombé victime dune fâcheuse aventure, lorsqu’un matin Oudja la vit entrer radieuse, essoufflée, dans sa chambre.

—  Qu’as-tu ? demanda-t-elle. Que se passe-t-il ?

—  Ah ! ma chère maîtresse, répondit Synga sans reprendre haleine, je l’ai vu !

—  Qui ?

—  Il est là !

—  Qui donc ?

—  Je savais bien qu’il ne nous abandonnerait pas et qu’il arriverait malgré tout !

—  Qui enfin ? Parle donc !

—  Lui, Papillon !

—  Et Napal ? s’écria Oudja.

—  Libre ! Sauvé !

À cette nouvelle incroyable, inouïe, Oudja sentit ses forces l’abandonner, elle ferma les yeux et retomba sur le siège où elle était assise avant l’arrivée de Synga.

Heureusement la joie fait plus de peur que de mal. La jeune fille reprit promptement ses sens, et Synga, qui se reprochait une précipitation qui avait jeté sa maîtresse en pâmoison, la mit au courant des aventures de Napal avec un luxe de précautions qui faisait rire Oudja et l’impatientait en même temps.

—  Ce n’est pas tout, ajouta la dévouée soubrette lorsqu’elle eut terminé.

—  Qu’y a-t-il encore ?

—  Je ne sais si je dois le dire. La joie vous produit un tel effet...

—  Ne crains rien, reprit Oudja en souriant. Je suis forte maintenant.

Alors Synga invita sa maîtresse à faire ses préparatifs, parce que Papillon viendrait la délivrer pendant le cours de la nuit prochaine.

Remplie d’une joie profonde, la jeun fille sentit ses forces renaître comme par enchantement. La nuit venue, elle prépara ce qui lui était nécessaire, se coucha toute habillée sur son lit et laissa sa fenêtre entr’ouverte derrière les volets fermés.

Le temps s’écoulait, elle commençait à désespérer, lorsque vers deux heures du matin elle entendit un léger bruit. Les volets s’entrouvrirent, et elle vit la haut stature de Papillon se dresser devant sa fenêtre.

Surprise, elle se leva vivement sans comprendre comment Papillon se trouvait devant ses yeux suspendu dans l’air. Elle s’avança, aperçut l’échelle de corde et se rendit compte de la façon dont le colosse était arrivé jusqu’à la hauteur de sa chambre.

Enchantée, revenue à sa gaieté native, retrouvant enfin toute son énergie, Oudja passa une corde autour de sa taille, puis soutenue et guidée par Papillon, elle prit courageusement le chemin indiqué et entra dans la nacelle du planeur où Synga l’attendait.

Sur l’avis d’Oudja, Papillon conduisit les deux jeunes femmes chez une sœur de la mère d’Oudja. Cette parente, qui demeurait dans le sud de l’Inde aux environs de Bangalore, aimait beaucoup sa nièce et désapprouvait la dureté de Sivadgi envers sa fille. On pouvait donc avoir confiance en elle.

Retirée dans cette retraite paisible, Oudja vivait heureuse auprès de Synga, attendant les événements et sortant peu dans la crainte d’être rencontrée par les agents de son père ou par ceux d’Afsoul.

En même temps, Napal et Oudja avaient cessé de correspondre par prudence. La jeune fille suivait dans les journaux les péripéties de la lutte engagée par son fiancé. Elle s’inquiétait parfois, mais s’enorgueillissait toujours de ses succès.

Une après-midi, Synga la conduisit dans un endroit retiré où elle se trouva en présence de Napal.

Décrire la joie des deux amants serait impossible. Ils causaient ensemble depuis plusieurs heures qu’il leur semblait n’être encore près l’un de l’autre que depuis quelques minutes. Heureusement, Synga qui n’avait pas ce jour-là Papillon près d’elle pour oublier le temps, les rappela à la réalité et les força de se séparer.

Ces entrevues se renouvelèrent jusqu’au moment où Napal dévoila publiquement son nom. Le lendemain, accompagné de Papillon, il se rendit auprès de sa fiancée.

—  Ma chère bien-aimée, dit-il, nos ennemis veillent, et je crains non pour moi qui suis insaisissable, mais pour vous qu’on recherche activement et que l’on finira par découvrir. Afsoul, je le sais, a lancé des agents à votre poursuite. Si votre père vous trouvait, il prendrait cette fois de telles précautions que nous serions séparés sans espoir de retour. Ne pensez-vous pas qu’il serait prudent de vous retirer dans une de ces retraites inaccessibles que j’ai choisies et où vous pourrez défier toutes les recherches sous la sauvegarde de mon honneur ?

—  Mon honneur à moi est aussi le vôtre, Napal puisqu’un jour je porterai votre nom, répondit simplement la jeune fille. Ordonnez si vous le jugez utile, je suis prête à vous suivre.

—  Venez donc près de moi mon amie reprit Napal, jusqu’au jour où nous serons unis suivant les lois des hommes.

Oudja fit ses adieux à sa parente qui l’approuva. Le soir même, Napal et Papillon emmenant Oudja et Synga partaient des environs de Bangalore, au sud de l’Inde et arrivaient quelques heures après dans le Nord, sur les grands plateaux d’où s’élève le mont suprême du Gauri Sankar.

Le lendemain, les agents d’Afsoul, qui avaient découvert la retraite d’Oudja, se présentaient pour la ramener chez son père. Les malheureux s’en retournèrent l’oreille basse. Le planeur sans laisser de traces dans son vol rapide, avait emporté la jeune fille et la prime promise avec elle.

LXXXV – Hypnose

D’autres réunions politiques avaient succédé à la première et depuis les événements marchaient avec une rapidité qui déconcertait le parti gouvernemental.

La sûreté des vues de Napal plaisait aux esprits sérieux. Ses aventures en Europe que l’on répétait partout séduisaient les imaginations. Et la puissance surnaturelle dont il semblait disposer excitait l’admiration des foules. Si les gens instruits savaient à quoi s’en tenir beaucoup surtout dans les campagnes, trouvaient cette puissance incompréhensible.

Napal avait ainsi conquis aux yeux des foules le prestige que Geirard lui recommandait, jadis, d’acquérir avant tout. Son pouvoir devint tel qu’il jugeait parfois inutile de se montrer lui-même. Des fanatiques parlaient pour lui, des convaincus répandaient ses doctrines en les transformant et en les couvrant de mysticisme.

Le gouvernement s’était concentré tout entier dans les mains d’Afsoul, seul capable de lutter encore parce qu’il n’existait pas de preuves contre lui. Les ministères se succédaient à tour de rôle, sans que rien fût changé dans la face des choses puisque le même parti détenait toujours la puissance. Le pouvoir lui semblait bon. Il y restait malgré l’opinion en dépit de l’opposition qui grandissait de jour en jour.

Des émeutes éclatèrent sans aboutir. D’abord parce que Napal les arrêta déclarant hautement qu’une goutte de sang versée aurait pour conséquence d’effrayer les populations et de produire un recul dans la marche du succès ensuite parce que le gouvernement, possédant la force, peut réprimer les séditieux.

C’est pourquoi Napal fit comprendre que le seul moyen d’en finir était de recourir à des élections nouvelles qui chasseraient les prévaricateurs et permettraient d’établir un régime nouveau en appelant au gouvernement les hommes d’élite sur l’honnêteté desquels la nation pouvait compter.

Afsoul s’opposait de toutes ses forces à ce renouvellement d’élections, sentant bien que, devant le souffle de l’opinion, ses partisans tomberaient dans la poussière, chassés sous le mépris public. Alors ce serait pour lui la disgrâce et la ruine. Il luttait donc de toute son énergie et, chaque fois que l’opposition réclamait la dissolution, il arrivait, à force de promesses habiles, à reculer la date fatale d’un vote négatif.

Ces manœuvres occultes contraignaient le préfet à un travail accablant auquel il ne résistait qu’en faisant appel à toute son énergie. Le tranquille et impassible fonctionnaire des temps passés n’existait plus. Ses yeux fatigués, son air inquiet, témoignaient d’une préoccupation constante.

Cependant, malgré sa fatigue et l’état de prostration dans lequel il se trouvait, Afsoul ne perdait pas courage. Il espérait toujours mettre la main sur Napal et arrêter les efforts de l’opposition.

Un soir, après onze heures, retiré dans son cabinet, il travaillait, le front penché sur sa table, à classer des dossiers importants, lorsqu’un léger bruit attira son attention. Il leva la tête. Un homme se tenait immobile devant lui et le regardait fixement.

Comment ce personnage se trouvait-il là, près de lui, dans son cabinet ? Aucun bruit venu du dehors n’avait annoncé sa présence. Toutes les portes étaient fermées. La fenêtre seule, élevée de plus de dix mètres au dessus du sol, restait entr’ouverte.

Afsoul passa la main sur ses yeux comme pour chasser une apparition extraordinaire. Un instant il se crut sous le coup d’une hallucination étrange, terrible. Il se leva vivement pour secouer sa torpeur et fit un pas vers l’inconnu qui demeurait immobile.

—  Napal ! s’écria-t-il.

—  Oui, Napal lui-même, répondit l’inconnu d’une voix calme.

Surpris, troublé malgré lui, Afsoul fit un pas en arrière. Mais il se remit vite. Il ne chercha même pas à savoir comment Napal avait pu pénétrer dans son cabinet. Il ne vit qu’une chose : c’est que son rival était en son pouvoir et qu’une fois enchaîné il ne serait plus à craindre. C’était le triomphe mérité après de si laborieux efforts.

Il fit un mouvement rapide pour toucher le bouton d’une sonnerie d’appel. Soudain Napal, qui le suivait des yeux, étendit le bras. Une lueur éblouissante jaillit sur Afsoul et varia d’intensité en quelques secondes.

Fasciné, Afsoul voulut fuir pour échapper à l’influence de ce phénomène inexplicable. Il ne put en détourner le regard. Sa volonté vacillait dans son cerveau, puis toute trace de pensée s’effaça dans son esprit. Il resta sans bouger, dans une complète inertie !

LXXXVI – Dans lequel se trouve accomplie la prophétie d’Hassir

Le lendemain de cet événement, une stupeur profonde s’empara de l’esprit des gouvernants réunis en conseil, à la lecture d’une lettre dans laquelle Afsoul, leur plus ferme appui, se désistait de toutes ses fonctions.

En même temps, l’Impartial publiait, sous la signature de l’ancien préfet, un long article où se trouvaient détaillées les tortueuses intrigues auxquelles Afsoul s’était livré, sous le couvert du gouvernement, pendant son passage au pouvoir.

À quelle étrange aberration s’abandonnait son esprit pour le pousser à commettre un acte qui lui faisait perdre honneur, position, fortune, sans lui rapporter la plus petite compensation en échange ? Le gouvernement n’y comprenait rien !

Ce fut bien pis encore lorsque Afsoul, mis en demeure de s’expliquer, déclara, après une courte hésitation et une sorte de lutte contre lui-même, qu’il avait dit en tout et pour tout la vérité. L’ancien préfet agissait visiblement sous une pression plus forte que sa volonté, mais cette vérité, qu’il proclamait, n’en paraissait pas moins évidente aux yeux de tous. Et, devant le scandale produit, le gouvernement tomba définitivement pour ne plus se relever, entraînant dans sa chute les vampires de la politique qui n’avaient usé du pouvoir que pour trahir leur mandat, tromper leurs concitoyens et avilir leur patrie.

Les élections se firent sur une base nouvelle appuyée sur des règlements et des éléments complètement différents des anciens. Napal obtint l’unanimité des suffrages.

Dès lors commença le système des réformes qu’il s’était proposé d’établir. Loin d’être pris au dépourvu, les nouveaux élus arrivaient au pouvoir avec un système gouvernemental préparé d’avance. Mais le travail de reconstitution totale demandait de longues années pour réussir. Ce fut à cette tâche que Napal consacra désormais son temps et ses soins, aidé par ses collègues, par Geirard lui-même auquel il écrivait toujours quand il s’agissait de questions difficiles afin de recevoir son avis.

Il espérait en outre, grâce aux relations amicales qu’il entretenait avec Geirard, Robertson et Guadiala, arriver à conclure un traité d’alliance entre l’Europe et l’Inde, traité qui hâterait l’évolution sociale qu’il méditait et ferait rejaillir sur sa patrie un peu du reflet lumineux que l’Europe jetait autour d’elle.

***

Un mois après l’arrivée de Napal au pouvoir, Sivadgi, en compagnie de sa femme et de Kattyawar qui servait le thé, était assis un soir sous le dais de verdure où jadis madame Sivadgi avait reçu le jeune Indien pour la première fois.

L’ancien ambassadeur semblait profondément accablé. Plusieurs journaux délaissés étaient étalés sur une table à côté de lui. Madame Sivadgi le regardait avec tristesse et lui reprochait doucement les malheurs que son rapprochement avec Afsoul avait attirés sur leur maison.

Sivadgi gardait le silence. Il reconnaissait ses torts et songeait avec effroi que le déshonneur de l’ancien préfet aurait rejailli sur lui, s’il avait été son gendre. De plus, comme l’ambition ne perdait jamais ses droits chez lui, il regrettait amèrement de s’être lancé dans une aventure qui lui avait coûté beaucoup, sans rapporter autre chose en échange que l’isolement et le discrédit.

La nuit tombait peu à peu, couvrant d’ombre les bois silencieux, Personne ne parlait sous le berceau, chacun restait plongé dans ses pensées, quand subitement une blanche clarté traversa le feuillage et jeta uns lueur brillante sur les eaux du bassin qui s’enfuyaient en cascades à travers la verdure.

Sivadgi, sa femme et Kattyawar levèrent les yeux. Ils aperçurent deux lumières éblouissantes qui se projetaient sur le fond du ciel étoilé et paraissaient se rapprocher rapidement de la terre. Eu regardant plus attentivement, Ils distinguèrent une masse noire d’où partaient deux puissants fanaux électriques. La masse descendait et grandissait de plus en plus. Bientôt son mouvement se ralentit, elle plana quelques instants comme pour choisir un endroit favorable à la descente, et vint doucement se poser dans le parc à deux cents mètres du bassin.

Quatre personnes apparurent dans le cône de lumière. Deux d’entre elles, un homme et une femme, se détachèrent du groupe et s’avancèrent dans la direction du berceau de feuillage. Sivadgi reconnut Napal et Oudja. Surpris, il attendit, immobile.

Oudja s’approcha, s’agenouilla et lui prit la main :

—  Mon père, dit-elle, pardonnez-moi de vous avoir quitté pour échapper à un mariage qui m’effrayait, mais je ne pouvais trahir mes serments, ni mentir à mon cœur. Je reviens aujourd’hui, toujours digne du nom que vous m’avez transmis, pour vous prier de vouloir bien me permettre de le changer contre celui de l’homme que j’aime et qui a su conquérir l’estime de l’Inde entière.

Oudja se releva, attendant la réponse de son père dans une attitude respectueuse et pleine de dignité.

Sivadgi se taisait, partagé entre son amour-propre humilié par l’échec d’Afsoul et son intérêt qui lui conseillait d’accueillir favorablement Napal aujourd’hui tout-puissant.

Le jeune Indien, devinant ses pensées, lui dit :

—  Le parti que vous serviez est tombé sans vous avoir compromis, puisque vous n’en avez rien reçu. Votre honneur politique reste donc intact. L’Inde se prépare à évoluer vers un avenir meilleur. Elle réclame le concours de ses plus intelligents serviteurs pour avancer sans faiblir dans cette voie salutaire. Voulez-vous être un de ceux-là et me permettre de vous offrir une situation qui soit en rapport avec vos capacités, votre fortune et votre situation dans le monde ?

Sivadgi n’attendait qu’une bonne raison pour se rendre. Napal la lui présentait aussi belle qu’il pouvait l’espérer. Il se leva, mit la main d’Oudja dans celle de Napal et dit :

—  Vous, ma fille, et vous, Napal, mon fils, soyez les bienvenus. Vous êtes ici chez vous. Soyez mes hôtes ce soir.

Mme Sivadgi ouvrit les bras à sa fille. Oudja se précipita vers elle et l’embrassa avec effusion.

Papillon et Synga, qui se tenaient à l’écart, s’approchèrent à leur tour, afin de présenter leurs hommages à Sivadgi et à sa famille. Sivadgi tendit franchement la main à Papillon.

—  Je comprends, dit-il en riant, nous aurons deux mariages à célébrer ensemble.

Un mois après, en effet, les deux cérémonies eurent lieu à Delhi au milieu d’une affluence considérable d’invités et de spectateurs.

En descendant les marches du temple, Papillon, toujours à la hauteur des circonstances, dit à Synga qui se tenait fière à son bras :

—  Les plus beaux diamants ont leur prix, mais une femme douce et aimante n’en a pas.

Conclusion

À la pointe Malabar, près Bombay, se dresse sur un petit monticule une pyramide en pierre de jade, ombragée par de hauts acacias. Sur la face qui regarde la mer à l’Occident, on lit cette inscription :

Hassir !

Mort le 1er septembre 2400

Ses élèves reconnaissants.

Le lendemain du jour où Ils furent unis, Napal et Oudja, venus de Ghamabad, gravissaient le monticule et s’arrêtaient au pied de la pierre tombale sous laquelle reposait Hassir.

Ce n’était pas la première fois que Napal visitait cet enclos sépulcral, mais il avait voulu rendre hommage à son professeur, à l’heure qu’il pensait devoir être la plus heureuse de sa vie.

Il demeura quelques instants rêveur sous l’ombre légère du feuillage qui dominait la mer, évoquant l’image de celui qui l’avait encouragé aux heures d’amertume, puis regardant le tombeau d’un œil attendri par l’émotion.

—  Ô sage vieillard, dit-il, toi qui m’as soutenu dans le malheur, toi à qui je dois le bonheur et la réussite de mes efforts, reçois encore une fois l’expression de ma profonde reconnaissance. Tu vivras toujours dans le fond de mon cœur, et jamais je n’oublierai les préceptes que tu m’as donnés dans mon enfance. Ta seule ambition a été de former des hommes de bien, dont l’âme généreuse fût capable d’élever leur patrie au rang qui lui appartient dans le monde. Ton vœu se réalise aujourd’hui. L’Inde entière marche dans la voie que ta vertu nous a tracée. Et en son nom, au nom de tous mes concitoyens, je te salue, Hassir, comme un père et comme un bienfaiteur !

Oudja inclina son front vers les marches du sépulcre en murmurant une prière. Ensuite Ils descendirent tous deux du monticule, et, après avoir jeté un dernier regard sur la pierre funéraire, Ils gagnèrent l’endroit où Papillon les attendait avec le planeur.

L’appareil s’éleva lentement dans les airs pour se diriger vers Delhi. Il était à deux cents mètres à peine au-dessus du sol, quand les voyageurs entendirent une bruyante clameur partir au-dessous d’eux. Ils se penchèrent et virent une foule immense qui les acclamait en poussant des cris d’enthousiasme. On avait aperçu l’aéroplane. On savait que, seul, Napal voyageait avec cet appareil. La nouvelle s’était répandue dans toute la ville, et la population, rassemblée, rendait hommage à l’homme généreux qui méritait sa confiance, après avoir travaillé, au péril de sa vie, à lui préparer son bonheur dans l’avenir !

Hassir avait dit à Napal :

« Tu surmonteras les obstacles qui te seront opposés par tes ennemis, Car une tâche n’est jamais trop lourde pour les forces d’un homme quand c’est l’amour de l’humanité qui le guide ! »

Le prophétie du vieillard s’était accomplie !